12 décembre 2012

Une grande saison malade

Olivier Favre nous rappelle la saison 1982. Nous le suivons avec le souvenir aïgu de joies et de peines mélées pour ce qui fut aussi, et malgré tout, un beau championnat pour le sport automobile français.

 

Classic COURSES

 

 

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Début août, au soir du Grand Prix d’Allemagne. Je jette un œil au dernier Sport-Auto, arrivé dans ma boîte il y a quelques jours. Et la couverture, encore anodine deux jours avant, m’apparaît dans toute son atroce ironie : « Pironi, un pas vers le titre ». Evidemment, pour la bande à Crombac comme pour tout le monde, ce terrible accident était imprévisible (mais aussi parfaitement évitable ; pourquoi foncer dans des conditions pareilles ? trente ans après, je ne comprends toujours pas). Mais quelle cruauté ces quelques mots et cette image d’un homme avançant d’un pas alerte portent-ils en eux, quand on les relit après Hockenheim. Des pas, il n’en fera plus avant longtemps ! quant au titre, ça risque d’être juste. Il reste encore quatre courses et Watson n’est qu’à 9 points. Et il y a ce fichu Finlandais qui marque des points à chaque fois ou presque …

 

J’ai toujours été très réservé sur le traitement du sport automobile au cinéma. De belles images parfois (Grand Prix, Le Mans), mais un scénario souvent indigent et, quand le mot fin apparaît sur l’écran, toujours l’envie de dire « so, what ? ». Comme si ce sport ne pouvait qu’être affadi en se coulant dans le moule  d’une fiction destinée au grand public. Car si le cinéma est censé ajouter de l’intensité dramatique à la vie, le sport auto (enfin, celui d’hier en tout cas) porte déjà en lui cette « réalité augmentée ». Il est déjà « bigger than life ». Quelle meilleure preuve que la saison F1 1982 : plus encore que 1976, le script de cette année-là semble tout droit sorti de l’esprit dérangé d’un scénariste abusant de substances illicites. Un scriptwriter qui aurait voulu condenser en une seule année tout ce que la F1 d’alors pouvait produire comme ressorts dramatiques.

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Les cinéphiles connaissent la notion de « grand film malade », popularisée par François Truffaut à partir d’un exemple fameux : Pas de printemps pour Marnie, d’Alfred Hitchcock. Je synthétise ici la définition qu’il en donnait : (…) un chef d’œuvre avorté, une entreprise ambitieuse qui a souffert d’erreurs de parcours (beau scénario intournable, casting inadéquat, tournage empoisonné par la haine ou aveuglé par l’amour, trop fort décalage entre intention et exécution, enlisement sournois ou exaltation trompeuse). Ainsi, et pour autant que le parallèle entre cinéma et sport auto soit pertinent, la Formule 1 a produit en 1982 une « grande saison malade ». Une année qui avait tout pour être l’une des plus belles depuis 1950. Celle qui aurait dû symboliser la prise de pouvoir du moteur turbo dans le cadre d’un passionnant duel franco-italien (les rosbifs en faire-valoir, pour une fois !) entre Renault et Ferrari et se conclure par le couronnement d’un pilote français (ou au moins francophone). Mais ce scénario idéal ne s’est concrétisé que ponctuellement, essentiellement sur les circuits rapides : Kyalami (où Prost gagne à la Clark, en remontant le handicap d’un tour de retard dû à une crevaison), le Ricard (quatre Français aux quatre premières places !) Hockenheim, Monza. Ailleurs et trop souvent, les conflits de stars (Pironi-Villeneuve, Arnoux-Prost) ou de producteurs à gros cigares (la FISA qui disqualifie à Rio, la FOCA qui boycotte à Imola) ou entre les premières et les seconds (la grève de Kyalami) ont empoisonné le « tournage » de cette saison. Quand ce n’était pas l’accessoiriste qui faussait le jeu, pas fichu qu’il était de fournir un moteur d’injection fiable pour le turbo Renault.

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Truffaut ajoutait aussi que si le chef d’œuvre n’est pas toujours vibrant, le grand film malade l’est souvent, ce qui lui permettra de faire plus aisément l’objet d’un « culte » de la part des cinéphiles. Vibrante, la saison 1982 le fut assurément. De chagrin évidemment (Villeneuve, Paletti, Pironi), mais aussi d’émotions positives (le retour gagnant de Lauda dès son 3e Grand Prix, la victoire de Tambay au lendemain de l’accident de Pironi, le podium d’Andretti devant les tifosi), de fins de course à suspense (Zeltweg), voire rocambolesque (les derniers tours à Monaco), de retours au premier plan de « parrains » qu’on donnait pour has-been (Colin Chapman et Ken Tyrrell, à nouveau vainqueurs, quatre ans après). Avec comme têtes d’affiche omniprésentes, pour le meilleur et pour le pire, une marque – Ferrari – et un homme, Didier Pironi. Mais aussi un monstre sacré, toujours pas has-been : l’insubmersible Cosworth qui se refuse à quitter le haut de l’affiche.

 

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Résultat des courses : 11 vainqueurs différents pour 16 grands prix et sans doute le champion du monde le plus inattendu de toute l’histoire de la F1. Car qui aurait misé un kopeck sur Rosberg en début d’année ? certes, personne ne le considérait comme un « branque », mais de là à voir en lui un champion du monde ! Reconnaissons qu’il a parfaitement joué le coup, en profitant de la fiabilité de sa monture. Mais, à l’instar d’un Hulme, Rosberg a sans doute davantage justifié son statut de champion du monde après son couronnement que durant l’année de son titre. Hulme, Rosberg, … il est frappant de constater que ces deux champions du monde atypiques ont été titrés lors d’une saison de transition en matière de motorisation : Hulme à l’aube de l’ère Cosworth, parce que le « moteur du siècle » n’était pas encore assez fiable, Rosberg à son crépuscule parce qu’il était ultra fiable face à des turbos qui ne l’étaient pas encore.

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Alors, une saison-culte, 1982 ? oui et non. Si l’on a le culte des regrets, oui. Mais quand on pense aux tragédies de cette année-là … Il n’en reste pas moins que trente ans après, c’est certainement la saison de F1 dont je me souviens le mieux. Beaucoup mieux que toutes celles qui ont suivi, qui ne m’ont laissé au mieux qu’un flash bien ancré en moi (Adélaïde 86, Suzuka 90, Imola 94, Monaco 96, …). Je pense donc avoir souvent vibré en 1982. Y compris d’agacement, voire d’exaspération : cette année-là, le Grand Prix des Pays-Bas se passait un samedi. Du coup, la course était retransmise sur Antenne 2 et non sur TF1. Ce qui nous valut un commentaire affligeant de nullité par un pilier de Stade 2 sans doute spécialiste de water-polo ou de canoë-kayak. Ce jour-là, j’ai regretté Bernard Giroux, ce que je n’aurais jamais cru possible !

 

Olivier Favre

 

Photo Didier Pironi @ Sport Auto DR

Photo départ Zeltweg @ DR

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