9 mai 2019

Jabouille revisite sa victoire au GP de France 1979 avec Eric Bhat

Ce jour-là, un dimanche glacial de début juillet, l’équipe Renault imposa pour la première fois en F1 son révolutionnaire moteur 1500 turbo. Au volant : Jean-Pierre Jabouille, son pilote et son metteur au point. Il n’est guère étonnant qu’après le drapeau à damier, une petite larme l’ait trahi, comme dit la chanson.

Eric Bhat pour le texte et Bernard Asset pour les photos

 

Jean-Pierre Jabouille

GP France1979 – Podium JP Jabouille – G. Villeneuve – R. Arnoux @ Bernard Asset

Journaliste au bord des pistes de F1,  j’appréciais beaucoup Jabouille, ce pilote qui ne nous racontait pas de salades. Au contraire, son parler direct et son langage cru me réjouissaient la plume. Comme Pescarolo, qui appelait un chat un chat. Comme Beltoise,  qui embobinait les gens avec autant de sincérité que de mauvaise foi, selon une description célèbre de Johnny Rives. Ces pilotes étaient des  bêtes de presse. Ils nous donnaient matière à écrire des papiers, ma foi, plutôt sympas,  marchaient du tonnerre, animaient vaillamment les courses. Les paddocks aussi. Nous restions souvent bouche bée, mes collègues et moi,  de leurs exploits comme de leurs frasques. Nous rigolions beaucoup, tandis que naissaient en même temps des moments de légende.

Jamais je vous le dis Jean-Pierre ne m’a déçu.

Ainsi ai-je été témoin, au Grand prix de France en juillet 1979, de sa première victoire en F1.  Deux ans seulement après ses débuts, le moteur Renault décrocha ses premiers lauriers. Un exploit colossal. Les turbos apparurent bientôt dans toutes les équipes concurrentes. La victoire de Dijon fit entrer la Formule 1 dans une nouvelle séquence. Jabouille raconte ce fameux podium.

Quel état ton état  d’esprit en abordant le GP de France 1979 ?

C’était l’occasion ou jamais de gagner. Toutes les conditions étaient réunies. Température fraiche. C’était impeccable : la fiabilité ne pouvait qu’y gagner. Notre Grand Prix national, notre public, une piste très rapide,  favorable à la suralimentation. Dix jours plus tôt nous avions fait sur le même circuit une simulation de course. Tout avait très bien marché. Nous passions à fond dans les grandes courbes, c’était un régal ; j’ai été obligé de m’arrêter aux stands à mi-parcours tellement j’avais mal au cou du fait de l’adhérence.  J’ai particulièrement travaillé ce point avant le Grand Prix.  J’ai signé la pole. Dijon fut une libération

Tu arrives à Dijon. Tu signes la pole. Tout le monde compte sur toi, ça te met la pression ?

Ah oui, tu n’imagines pas. Les gens venaient avant  le départ et me demandaient tous : « ça va ? », « ça va ? ». Evidemment que ça allait, sinon je n’aurais pas été le premier sur la grille. Bref, ils me cassaient les pieds. Il  était normal que tout le monde tienne à m’encourager, mais je n’appréciais pas outre-mesure ces instants inutiles.

Jean-Pierre Jabouille

GP France1979 – Gilles Villeneuve – Jean-Pierre Jabouille @ Bernard Asset

Gilles Villeneuve part mieux que toi et prend  le commandement. Tu as d’abord pensé que c’était foutu ?

Pas du tout. Je suis deuxième après le départ, c’est vrai, mais j’ai  fait rapidement une première tentative pour le doubler. Quoi que très sympa, Gilles Villeneuve ne faisait pas de cadeau une fois la course lancée !  Je me mets en travers en essayant de le passer et me retrouve largué. Mais je m’aperçois assez vite que si on attaque trop, le pneu avant gauche avait tendance à se dégrader. Dans le double droit après les stands, ça leur en mettait plein la gueule.

Dans toutes les courbes à droite, ils étaient au supplice. Donc je fais bien gaffe à ça,  je remonte sur Villeneuve et le double assez facilement. Les pneus prenaient vraiment cher. Nous embarquions à cette époque dans la voiture 250 litres d’essence. Il y avait eu énormément de progrès, et là ça commençait à bien fonctionner. J’ai senti le moment où je pouvais attaquer comme un malade pendant une quinzaine de tours et j’ai fait le trou. J’avais l’affaire bien en mains. J’ai géré jusqu’à l’arrivée. Dans le dernier tour, j’ai compris que j’avais gagné ! 

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Silverstone, Hockenheim, Zeltweg et Monza arrivaient ensuite : des circuits rapides,  pour vous ! Pourquoi n’as-tu pas été champion du monde ?

Tous les circuits que tu cites  nous convenaient. Mais dans la gestion des stands j’ai été victime, pour résumer,  de « patates chaudes » qui nous ont sans doute coûté le championnat du monde. C’était très pointu. Il ne fallait pas commettre la moindre erreur. A Interlagos, par exemple, c’était pour nous. Au début des essais nous étions largués. Je travaille bien sur la voiture et je fais la pole. On met tous mes réglages sur la voiture d’Arnoux, qui gagne la course et prend la tête du championnat. Moi mon moteur casse lors du warm-up, on ne comprend pas la raison de la panne. Il y avait une modification sur le moteur, mais elle n’avait pas tenu.

Un peu échaudé, ne connaissant pas la raison de cette panne, ayant peur qu’elle se reproduise,   je veux courir le Grand Prix avec le mulet et l’ancienne version du moteur. Les ingénieurs refusent, montent à nouveau un moteur nouvelle version, me font partir avec, et ça ne manque pas, il casse de la même façon ! J’étais vert. Il y a eu trop de petites erreurs de ce genre.  Sur ce, Larrousse engage Prost. J’accepte l’offre de Ligier. Mais mon accident au Canada a tout remis en question et je n’ai pas été champion du monde. Cela dit, toute la F1 est très vite passée au turbo et je n’y étais pas pour rien ! Techniquement j’ai fait du bon boulot.

Jean-Pierre Jabouille

GP France1979 – Arrivée en vue @ Bernard Asset

Tu gagnes à Dijon ! Qui t’a félicité le premier ? Peut-être Bernard Hanon, le Président de Renault ?

Je ne peux même pas te répondre, il y avait un monde dingue  autour de moi. J’étais sur une autre planète. Je réalisais à peine ce qui m’arrivait. Tout ce monde ! C’était pour moi. J’avais gagné le Grand Prix de France ! J’étais très ému. Bernard Hanon s’est certainement manifesté, il était très proche de nous.

Il y a bien des gens qui tu connaissais, c’est toujours comme ça une arrivée !

Le premier que j’ai reconnu dans la foule qui me menait vers le podium, ce fut Jean-Claude Guénard, un très grand copain, avec qui nous avions tant  bossé pendant tant d’années. Nous sommes tombés dans les bras. Sur le trajet, je croise le journaliste Johnny Rives, immense ami également. Une seconde à peine, le temps d’une bise. Nos relations étaient très confiantes. Je sentais vraiment que mes amis étaient très heureux de cette victoire !

Ton beau-frère Jacques Laffite est-il également venu te féliciter ?

Non, il l’a fait un peu plus tard. Il y avait trop de monde. Ce n’est pas comme aujourd’hui, où les trois premiers  arrivent pile à l’endroit prévu, tout le monde cloisonné derrière des barrières. A notre époque, les arrivées étaient plutôt inorganisées (il dit « bordéliques », mais par écrit, ça sonne moins bien, je vous avais bien dit qu’il parlait cru).  En Italie, la foule envahissait carrément la piste après l’arrivée, on ne  pouvait même plus rouler. Les mécaniciens avaient un mal fou à protéger les voitures.

Jean-Pierre Jabouille

GP France1979 – Arrivée JP Jabouille @ Bernard Asset

Qu’est-ce que tu as fait le soir du Grand prix, où as-tu fêté cette victoire !

J’ai diné avec l’équipe, dans un bistro pas loin du circuit. C’était important d’être avec toute l’équipe qui avait construit tout ça. Une soirée sympa. Un peu protocolaire tout de même, quelques discours. Mais j’étais sur un nuage !

Combien t’a rapporté cette victoire ? Les primes ont dû pleuvoir !

Zéro ! Les salaires étaient très faibles. Au début, chez Alpine, avec Depailler, nous recevions l’équivalent de 10.000 euros par an. C’était un peu mieux en F1, mais à peine. S’il y a eu un bonus, il devait être symbolique, je n’en ai aucun souvenir. C’était comme ça à l’époque. Nous risquions chaque fois de nous tuer ou de nous estropier, mais c’était une vie exaltante !

Et le lendemain, tu as fait quoi ?

Rien de spécial. J’exultais ! J’attendais cette victoire depuis si longtemps. Nous avions tellement travaillé pour mettre au point cette voiture, et nous avons enfin gagné.  Tu te rends compte ? Gagner le Grand prix de France, avec une voiture française révolutionnaire, des pneus français d’un nouveau type, en présence de tous les potes. C’était le paradis !

Jean-Pierre Jabouille

GP France1979 – JP Jabouille 2017 @ Bernard Asset

As-tu le sentiment que le duel Villeneuve-Arnoux t’a dépossédé d’une partie de ta victoire ?

Franchement, les gens qui connaissent bien la course savent que j’ai nettement gagné ce Grand Prix, à la régulière, loin devant tout le monde. Sur la ligne d’arrivée, je savais que j’avais gagné, je ne savais rien des péripéties derrière moi. Par la suite, quand on demandait sans arrêt à Villeneuve et Arnoux de raconter ce duel, ça les gavait vite ;  je ne les enviais pas.

Aujourd’hui tu  repenses souvent à ta victoire ?

Pas tant que ça. C’est un bon souvenir, mais il y a eu de nombreux projets depuis. C’est un peu ma marque de fabrique : quand un pari technique est gagné, j’en suis heureux et je me tourne très vite vers un nouveau défi…

 

 

 

 

 

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