15 janvier 2022

Eric Bhat – Les inédits de « Pilote et Gentleman »

Eric Bhat est né à Pau en 1957. Il a été contaminé par le sport automobile lors du GP de Pau 1968 en observant les courses « époustouflantes » de Beltoise en F2 et de Jabouille en F3.
Jadis rédacteur en chef de Grand Prix International, l’Automobile-Magazine, Auto-Plus, Moto-Journal, Auto-live, ex-attaché de presse Renault F1, toujours fan aujourd’hui bien qu’il ait quitté le domaine pour se consacrer à la médecine Ayurvédique.

Olivier ROGAR



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Si cette interview inédite vous intéresse, vous en trouverez de nombreuses autres dans la biographie de Patrick Tambay : Biographie Patrick Tambay

1985 – Pilote Renault – Rio © Bernard Asset

Olivier Rogar – Classic Courses :  Patrick Tambay, qu’est-ce que ça évoque chez Eric Bhat, le journaliste et ancien attaché de presse Renault F1 ?

Éric Bhat : J’ai connu Patrick dès la Formule Renault. C’est un pilote qui a toujours eu énormément de qualités mais qui n’a jamais été là au bon moment. Il est arrivé chez McLaren, Ligier, Renault à chaque fois au moment où ces équipes déclinaient. Il s’est fait griller la politesse par ses camarades. Très bon pilote, ce qui lui a nuit est sa bonne éducation, peut être la facilité de vie qui avait été la sienne.

C’était terrible parce qu’il n’avait jamais été au bon endroit au bon moment. Sauf chez Ferrari. Et là, il a été flamboyant. Il a remplacé au pied levé l’infortuné Gilles Villeneuve puis s’est retrouvé seul après l’accident de Didier Pironi. Il a gagné deux Grand Prix, a montré qu’il avait la tête sur les épaules, il s’est révélé aux yeux de toute la Formule 1. A tel point que chez Renault Gérard Larousse s’est empressé de le récupérer fin 1983.

Chez Renault il était absolument royal. Présent. Parlant un anglais parfait. S’entendant très bien avec Derek Warwick, il était en parfaite osmose avec le team. Je me souviens de ses démonstrations avec la Renault Espace qui venait d’arriver, lors des opérations de relations publiques. Il avait un vrai enthousiasme pour cette voiture.

Classic Courses : L’analyse de ses exploits montre qu’il n’était jamais aussi performant que dans la difficulté. Il lui fallait sortir de sa zone de confort.

Éric Bhat : Oui, chez Ferrari et aussi chez Theodore. Sponsorisé par le Moulin Rouge, il avait une voiture aux performances limitées qu’il a très bien menée. Il a marqué des points.  Chaque fois qu’il était en bas, il réussissait à rebondir, à refaire surface, comme un phénix.

A cette époque il y avait sept français en Formule 1, lorsqu’on évoque ce temps bénit, on le fait avec recul, pour ne pas dire avec romantisme. On était si fiers de cette équipe. Mais la lutte était sévère entre eux. Ils étaient des compétiteurs coriaces.

Certains étaient très opiniâtres, accrocheurs. Je me demande si dans le cas de Patrick, François Guiter ne l’a pas desservi en contribuant à le faire passer directement de la Formule Renault à la F2. Les autres ont franchi des catégories intermédiaires comme la Formule Renault Europe ou la F3. Ça les a aguerris. Leur parcours a été plus difficile.

Mais Patrick, premier pilote Elf, avait la bénédiction de Guiter qui voyait en lui le successeur de François Cevert. Il a tout de même fait un beau parcours en F2. Mais il n’avait pu se doter de ce supplément d’agressivité qui se forge dans l’adversité.

 Un peu comme si tout avait été trop facile pour lui. Prost était capable de colère, Arnoux a grillé la politesse à tous ses coéquipiers. Tambay, poli, éduqué, semblait trop conciliant, calme, élégant dans cet environnement de « fighters ».

Classic Courses : Lorsque Patrick et Derek Warwick sont arrivés chez Renault, en 1984 ça allait, mais en fin de saison tout le management a quitté l’écurie. Larousse, Têtu et plusieurs ingénieurs et mécaniciens.

Éric Bhat : Et en quelques semaines, le nouveau team manager a réussi l’exploit de démotiver tout Renault Sport ! Ça a fait capoter la F1 chez Renault avec Tambay et Warwick dedans. Il a fini sa carrière chez Haas. (Carl Haas). Là aussi au mauvais moment avec le départ de leur sponsor titre (Beatrice).

Sinon bon compagnon, bon skieur, évidemment, connaissant tout le monde à Val d’Isère où la F1 se réunissait l’hiver. Un poisson dans l’eau. Il était chez lui. Il nous avait aussi reçu à Cannes, pour Grand Prix International. Un charmant personnage. Dont il ne faut pas oublier qu’il a contribué deux années de suite à donner le titre de champion du monde des constructeurs à Ferrari dans un contexte très difficile.

En 1979 Eric Bhat interviewait Patrick Tambay pour « Grand Prix International »

1979 -Avec James Hunt – Long Beach © Bernard Asset

Dans le Boeing 747 qui les ramène de Johannesburg, le journaliste Éric Bhat, qui à l’époque travaillait pour Auto-Hebdo, a pris place à coté de Patrick. Le temps du vol ils auront le loisir, disons plutôt la disponibilité, de revenir sur ce pénible début de saison.

Eric Bhat raconte : « Nous sommes tous en sursis en permanence », m’avait dit Patrick à Interlagos en discutant sur l’avenir des pilotes. Sans donner une teinte dramatique à la situation actuelle, on conviendra tout de même qu’après les trois premiers Grands Prix de la saison, le pilote Cannois se morfond dans une position difficile. Des sept pilotes français en compétions au plus haut niveau, il est certainement celui qui a connu le début de saison le plus pénible. Seules des circonstances particulières – et un pari aussi audacieux que… judicieux – lui permirent de figurer un moment au troisième rang en Afrique du Sud. Mais ce fut là le seul pont favorable d’une période qui mit en évidence le manque de compétitivité des nouvelles McLaren M 28. La troisième place de John Watson à Buenos aires ne fut qu’un feu de paille faussement prometteur. Déçu et un tantinet frustré, certes, de ne pas jouer les premiers rôles, Tambay n’entend pas, pour autant, baisser les bras. A défaut de pouvoir se battre pour la première place, il avoue avoir pour objectif de se montrer meilleur que… son coéquipier. Mais en aucun cas cette situation ne peut le satisfaire. Il a disputé son premier Grand Prix le même jour que Gilles Villeneuve (Angleterre 77), et il rêve de connaitre bientôt les mêmes joies que son ami canadien. Patrick va devoir user, avant tout de patience. Et il en est conscient…

 Lorsque Patrick Tambay s’est emparé de la troisième place au Grand Prix d’Afrique du Sud, ce fut une bonne surprise pour tout le monde et surtout pour lui. Tout n’allait pas pour le mieux pour Patrick depuis le début de l’année, et son accession à ce rang lui fit l’effet d’une libération : « D’un seul coup, quand j’ai lu P3 sur le panneau que mon stand me présentait, j’ai été calmé, rassénéré, comme si une soupape avait fonctionné dans mon influx nerveux, libérant le surplus d’excitation et de tension. Avec les slicks sur le mouillé, j’étais survolté. Une fois troisième, je me suis dit instantanément : attention, pas de bêtises. J’ai gagné en concentration très facilement, tout à fait naturellement. Je me suis rendu compte qu’il doit être beaucoup plus facile et plus intéressant de courir dans le haut du peloton. J’étais très content. C’était la preuve qu’il ne faut jamais baisser les bras. Tout peut toujours arriver. »

Patrick, pourtant, aurait pût céder au découragement, plongé qu’il était dans une période pour le moins démoralisante. A la vérité, personne n’attendait une McLaren en aussi bonne place. Cette position avantageuse aux avant-postes de la course s’expliquait par le pari engagé par Patrick : après qu’une averse eut interrompu la course, il avait été l’un des quatre seuls pilotes, avec Scheckter, Depailler et Piquet, à choisir de prendre le second départ chaussé en slicks, bien que la piste fût encore inondée. « Il s’est avéré que c’était la bonne option, raconte Patrick. Je pensais qu’il ne s’agissait que d’une averse passagère et que la piste sécherait assez rapidement. Les premiers tours furent assez difficiles, mais comme je l’avais espéré, la piste a séché, tout le monde s’est arrêté pour changer les pneus, et je me suis retrouvé troisième. Mon pari semblait gagné. Mais s’il avait plus à nouveau pendant les dix premiers tours, ou pendant la course, c’était fichu… »

Pour tout dire, au vu de l’évolution des conditions de courses, la situation de Tambay était de toute façon mal engagée, et ce pour deux raisons. Premièrement, la McLaren du Cannois et la Tyrrell de Pironi s’étaient légèrement heurtées en début de course, et depuis, une moustache avant de la M 28 pointait vers le ciel, perturbant l’équilibre de la monoplace. Ensuite et surtout, la piste étant sèche, les circonstances correspondaient à nouveau à la normale, ce qui signifiait une condamnation quasi-certaine pour McLaren qui, lors des essais, avait clairement démontré son infériorité par rapport aux Ferrari, Renault, Brabham, Ligier et Lotus.

Derrière les deux Ferrari, Tambay n’occupa la troisième place qu’une vingtaine de tours. Mais Jarier, Andretti, Jabouille, Reutemann et Laffite étaient à ses trousses, et l’on ne donnait pas très cher de sa peau. Ils le rattrapèrent et le doublèrent assez rapidement, réduisant à néant les espoirs de Patrick, qui eut en outre à procéder, un peu plus tard, à deux changements de pneus. John Watson, perdu au fond du peloton, n’était pas mieux loti. Les McLaren jouaient alors le rôle que les essais semblaient leur avoir dévolu. Si on se fiait à la logique, dans des conditions normales, elles n’avaient pas la moindre chance au départ. Quatorzième et dix-septième sur la grille, Watson et Tambay n’avaient jamais réussi, pendant les essais, à estomper le manque d’efficacité de leurs montures.

Hésitations.

Du mercredi Matin au vendredi après-midi leurs séances ont été marquées par une hésitation constante quant aux réglages à adopter. Ils n’étaient guère aidés : leur M 28 ne donnaient satisfaction ni en vitesse de pointe, ni en motricité. « C’était un cercle vicieux, explique le pilote français. Pour avoir de l’adhérence en courbe, il faut ajouter de l’appui si l’effet de sol n’est pas suffisant et tel était bien le cas de nos voitures. Mais dès qu’on rajoute de l’appui, c’est au détriment de la vitesse de pointe. Et les M 28 étaient déjà faibles en ce domaine. Le caractère survireur de ma voiture était très accentué dans les virages lents. Alors pour gagner en motricité, on raidissait l’avant de façon à atténuer le survirage, et on arrivait à créer un sous-virage à l’entrée. Il fallait essayer, par n’importe quel moyen, de trouver le bon compromis. Peut-être que nous avons fait fausse route… » 

Un peu désemparés et ne sachant trop que faire, John et Patrick partirent dans des directions de recherches opposées, travaillant chacun en fonction de leurs idées personnelles pour essayer de trouver une esquisse de solution. Quand on demande à Patrick pourquoi il n’a jamais été tenté de suivre les réglages de son nouveau leader, il hésite longuement avant de répondre : « A chacun de tenter sa chance. Deux pilotes conduisent de manière différente. La façon d’entrer dans les virages lents ou rapides est bien distincte pour chacun. Donc l’équilibre des voitures peut être différent. Et puis, pourquoi adopterais-je les mêmes réglages que les siens alors qu’il ne va pas vite. Nous n’allions vite ni l’un ni l’autre. Autant valait essayer d’autres réglages, quitte à travailler dans des directions opposées. » Et Patrick d’ajouter cette phrase traduisant l’impuissance qu’il ressentait : « Nous étions largués. Qu’est-ce que tu veux faire quand tu es à 2’’ des meilleurs ? »

Tandis que Watson, après avoir cherché à rouler avec peu d’appui, en vint progressivement à une version très chargée, Patrick essaya, pour sa part, de se priver le plus possible d’appui, enlevant les moustaches avant et testant un aileron arrière surbaissé. « Mais ce ne fut pas un test valide, dit-il, dans la mesure où, pour diverses raisons mécaniques, j’ai été obligé de passer sans cesse de ma voiture de course au mulet. Sur ce dernier, qui était « typé »   Interlagos, l’aileron surbaissé n’a rien apporté de positif. Mais sur ma voiture de course, dont la motricité était meilleure grâce à la modification de l’épure de suspension, le peu que j’ai pû voir m’a démontré que l’aileron surbaissé pouvait avoir un intérêt, mais pas dans le sens où je l’attendais. Contrairement à ce qui aurait du se passer, j’avais une meilleure motricité et un meilleur équilibre. C’est un phénomène aérodynamique curieux : la M 28 est telle que l’aileron, en position haute où il est supposé donner plus d’appui, en donne moins qu’en position basse. En haut il travaille moins bien. Surbaissé, d’une manière ou d’une autre, il était plus chargé ! ». Utilisant son mulet en course Patrick n’eut pas le loisir de vérifier sa thèse.

La M 28 mal née ?

Tout n’était que doute et qu’incompréhension pour Patrick, et après un lourd silence, je me permis cette question, sachant très bien que je risquais de ne pas avoir de réponse. Il est toujours mal vu par les responsables de l’écurie qu’un pilote critique la conception de sa voiture : « La M 28 est-elle mal née ? » demande Eric Bhat. Sans répondre directement, Patrick avouait que sa motivation était mise à rude épreuve : « Dans pareilles conditions, tu ne peux pas éviter d’être un peu découragé. Tu te défonces pendant une séance d’essais, tu prends les mêmes risques que les autres, tu as même tendance à en prendre plus parce que tu vois tes copains tourner en 2’’ plus vite que toi. Mais tu ne peux pas compenser 2’’, c’est impossible. C’est dur à avaler. Tu cours pour être bien placé sur la grille et pour faire de belles performances, et tu sens que tous les efforts ne te permettent pas d’y parvenir à cause d’éléments mécaniques. »  Il ne fait pas de doute, en effet, que la M 28 soit en cause. Mais il est difficile d’accuser cette monoplace encore nouvelle d’être mal née, puisqu’elle a fourni bien des promesses cet hiver. John Watson, malgré une suspension faussée, n’a-t-il pas terminé troisième au Grand Prix d’Argentine ?

 « C’est vrai, admet Tambay. Mais cette place était trompeuse, car le déroulement du Grand Prix d’Argentine a été perturbé par le carambolage du premier tour, qui a anéanti les chances de plusieurs favoris, Andretti et Scheckter principalement.  Et puis ça allait déjà moins bien qu’en décembre. John avait alors signé le meilleur temps de ces essais argentins, la liste de travail était fournie, comportant des modifications au niveau des jupes, étanchéité du moteur, structure du capot et profil des pontons latéraux. Cette liste semblait aller dans le bon sens quant au développement aérodynamique de la M 28. Tel n’a pas été le cas. On suppose, par ces modifications, avoir rompu un équilibre. Son comportement n’a pas cessé de se détériorer. En Afrique du Sud, elle se comportait comme une M 26, c’est-à-dire que l’effet de sol avait disparu. Au niveau de la carrosserie, il doit y avoir un « loup » aérodynamique quelque part. »

L’autre défaut majeur de la dernière McLaren réside dans son poids. Ce que l’on craignait lors de sa présentation s’est confirmé : ses 640 kg la désavantagent de manière conséquente.  « C’est bien simple, dit Patrick, au départ d’une course, pilote à bord, j’ai un handicap de 85 kg par rapport à Laffite. Il pèse lui-même 20 kg de moins que moi… et sa Ligier pèse 585 kg. Watson et moi allons souffrir à Long Beach… Une voiture plus lourde subit un handicap en accélération, au freinage, en accélération latérale, et c’est surtout à ce dernier égard que j’estime ce défaut de poids le plus pénalisant. Dans les virages, avec une voiture lourde, les pneus sont mis à plus rude épreuve, ce qui les fait trop monter en température. D’où une perte d’adhérence. L’avantage de cet inconvénient est que si la M 28 est grosse et grasse, elle est aussi sûre et fiable comme toutes les McLaren. Peut-être même peut-on dire que nous sommes au bon poids et que les autres sont trop légères. La McLaren est tout à fait raisonnable quant à la sécurité qu’un pilote doit ressentir dans sa voiture. Mais… cela ne fait pas gagner des courses. »

Il reste que ce poids semble condamner irrémédiablement les McLaren, d’autant que lors du prochain Grand Prix, celui des USA-Ouest, disputé à Long Beach sur un circuit sinueux tracé en ville, les M 28 seront également handicapées, sans doute, par leurs dimensions, et notamment par la largeur de leurs voies avant. « J’en ai parlé à Gordon Coppuck, avoue Tambay. Ces voies avant m’inquiétaient un peu. Il m’a rétorqué qu’au contraire, c’était une solution très satisfaisante : les roues sont plus écartées de la calandre et laissent passer beaucoup d’air sous les pontons. En théorie, c’est plus efficace. »

– Tu en es convaincu ?

– Je ne sais pas… j’évite désormais de dire que je suis convaincu de telle ou telle chose, à cause des effets parfois déconcertants ou contradictoires de l’aérodynamique. Il faut faire des tas d’essais comparatifs avant d’être convaincu de quoi que ce soit. A l’issue de la dernière séance d’essais, le brain-trust de l’écurie McLaren s’est réuni pour un long briefing que Teddy Mayer, l’air soucieux a conclu par ces mots : « J’ai l’impression qu’il va falloir retourner à la planche à dessin. » Les choses vont-elles évoluer dans ce sens-là et verra-t-on apparaitre bientôt une nouvelle McLaren ? La chose n’est pas certaine. Structurés comme nous le sommes, il me parait très difficile que nous disposions bientôt d’une nouvelle voiture ».

Alors les M 28 vont poursuivre leur carrière. Elles vont subir une cure d’amaigrissement dans leurs ateliers londoniens, et peut-être le « loup » aérodynamique évoqué par Patrick sera-t-il découvert ?

 Le passé ?

Après un début de saison aussi terne, on peut éventuellement s’interroger sur le potentiel de l’équipe de Mayer. McLaren, c’est peut-être le passé ? « Non, c’est tout de même une super équipe, s’insurge Patrick, très technique et très sérieuse quant à la préparation. Les moteurs sont toujours très fiables et très constants. Le seul problème, c’est le manque de compétitivité des M 28. Quand une équipe ne gagne plus, les gens ne la regarde plus du même œil ni avec le même respect. Une équipe qui gagne a quelque chose de mystérieux, de fascinant. Tout le monde se demande ce qu’elle a de plus que les autres. Une équipe qui perd est considéré avec dédain. Chez McLaren ils s’en foutent et ils continuent à travailler. Ils ont une très grande philosophie de la course. Eux seront toujours là. Les pilotes seront passés. Car indirectement, ce sont toujours les pilotes qui pâtissent de telles situations… »

Effectivement, comment savoir ce que vaut un pilote lorsqu’il n’a pas la possibilité de jouer les premiers rôles ? Patrick sait que la question se pose inévitablement. « Si on n’a pas la possibilité d’aller prouver ses capacités dans d’autres disciplines et qu’on n’a pas de de réussite en F1, on n’est plus rien du tout. Comment être étalonné ? L’an dernier, je n’ai pas été étalonné. Hunt était le point de comparaison. Mais tout le monde disait et croyait qu’il n’était plus motivé et qu’il allait prendre sa retraite. Je ne l’ai personnellement jamais cru. Quand il est assis dans sa caisse, il se défonce vraiment. Regarde ce qui se passe avec Fittipaldi. C’est une question de machines, uniquement de machines. Nous disputons un championnat de constructeurs. »

Chemin de croix.

Patrick Tambay a connu des périodes de doute depuis le début de la saison jusqu’à ce qu’il accède à la troisième place à Kyalami, l’année ne lui avait été favorable en rien. Tout a commencé par le carambolage de Buenos Aires, dont il fut l’une des victimes. A Interlagos, ce fut pire encore, puisqu’il sorti trois fois de la route. « J’y ai fait mon chemin de croix. Je dois passer un coup d’éponge sur le Grand Prix du Brésil, c’est à oublier. Mais cela s’explique. En Argentine je n’ai pas tourné, ou peu, parce que j’ai eu des ennuis dans chaque séance d’essais. J’ai du faire huit tours au maximum par séance, avant d’avoir des problèmes de pression d’essence, de fuites d’essence et de… prendre feu. Je suis arrivé au Brésil un peu chatouillé par la réussite de mes collègues français. Je voulais être dans le coup. Pendant les premiers essais, j’ai suivi Watson pendant deux tours. Il était à l’abandon. Moi, j’avais l’impression de me promener, de ne pas aller vite. Ca marchait bien. Le circuit me plaisait, j’étais euphorique. Un peu trop peut-être. Je suis arrivé dans un virage un peu vite, je suis rentré un peu trop large, j’ai mis une roue dans la poussière, je n’ai pas pû me rattraper, l’aileron s’est accroché dans les grillages et je suis sorti. C’était parti pour une série. Dur week-end… »

Son écurie ne lui a fait aucun reproche. Tout au plus Teddy Mayer lui a-t-il indiqué, sur le ton de la plaisanterie ou de l’ironie, combien de dollars il lui avait couté au Brésil. Mais Patrick tint à avoir une discussion sérieuse avec son team-manager : « Je lui ai expliqué ce qui se passait. Je n’avais pas tourné de l’hiver : il avait tenu à faire tourner au maximum John Watson pour qu’il s’intègre à l’équipe et pour voir comment il travaillait. Dorénavant, il allait falloir que je fasse beaucoup d’essais, pour mettre au point ma caisse en fonction de mon style de pilotage et pour être moi-même entrainé. Teddy est fanatique de ski, et je lui ai donné l’exemple suivant : si un skieur passe une semaine à l’hôtel devant sa télévision et qu’on lui demande de faire une descente ou un slalom le dimanche, il va se planter, c’est certain. En automobile, c’est pareil. Villeneuve tourne trois fois plus que moi en une saison : il obtient de bons résultats. Il n’y a pas de secret. L’an dernier, c’est à Kyalami et au Grand Prix de France que j’ai été le plus rapide.  Dans les deux cas, nous avions fait beaucoup d’essais avant la course. Teddy en a convenu. Il faut que nous ayons la possibilité de travailler et de tourner. »

Au sortir de ses mésaventures brésiliennes, Patrick disait avoir besoin de reprendre confiance en lui, de se retrouver tout à fait. Bien qu’au volant d’une voiture non compétitive, il en a trouvé l’opportunité en Afrique du Sud : « Pour une fois, j’ai roulé aux essais relativement souvent. En course, je me suis trouvé dans des conditions difficiles puisque j’avais pris l’option de partir en slicks. Je suis resté sur la route. A Interlagos, des gens m’avaient fait des réflexions : « Un pilote doit trouver sa limite et celle de sa voiture. C’est quand on n’a pas d’expérience qu’on dépasse sa limite. » J’ai trouvé ma limite en restant sur la route dans des conditions difficiles. »

Mieux faire que Watson.

Son ambition est intacte. Mieux même, elle est aiguisée et avisée par son manque de réussite actuel. « J’ai envie de gagner des courses, j’ai envie de me battre pour la pole. Ça me fait mal au ventre de ne pas être dans le coup avec cette voiture ».

Eric Bhat lui pose alors brutalement la question :

 « N’as-tu pas l’impression de gâcher ta saison, de la perdre ? »  

Sa réponse n’a pas été moins brutale :

« Comme çà ? Dès la troisième course ?  D’après toi, c’est déjà gâché et fini à partir du moment où on n’a pas une Ligier ou une Ferrari ? Si tu as le sentiment de ne pas disposer de la meilleure voiture au début de la saison, qu’est-ce que tu fais ? Tu t’arrêtes de courir en te disant que tu recommenceras l’année prochaine ? On ne peut pas dire çà. On se dit simplement que c’est dommage de ne pas être assis dans une Ligier ou une Ferrari, voilà tout. Depailler m’a dit qu’il avait attendu cinq ans avant de conduire une voiture ultra-compétitive. Il est certain que notre équipe n’est pas au top-niveau actuellement, mais je me sens en pleine forme. L’an dernier, j’étais à 40% en dessous de ma forme actuelle, ma blessure m’ayant miné physiquement et moralement. J’ai fait aussi bien que James Hunt en 78. Je devrais faire mieux que Watson cette année… »

L’avion descend lentement sur l’aéroport de Roissy qui, à l’image de Patrick, se trouve noyé dans un épais brouillard. Il est temps de récupérer nos valises cabine et de partir chacun de notre côté. Les bureaux d’Auto-Hebdo pour moi et pour Patrick l’attente du prochain vol pour Nice. Nous nous retrouverons dans quatre semaines en Californie sur le circuit urbain de Long Beach.

livre patrick tambay
Patrick Tambay – Pilote et gentleman – livre (c) PH Cahier

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