27 novembre 2023

Les pionnières – 1 : Camille du Gast, la flamboyante

Camille du Gast
© DR

Née sous le Second Empire, Camille du Gast s’est passionnée pour l’automobile naissante. Arbitrairement entravée, sa carrière de pilote fut très courte. Mais cette personnalité hors normes a néanmoins grandement contribué à faire avancer la cause des femmes.  

Olivier Favre

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Au tournant du XXème siècle, Marie Marthe Camille Desinge du Gast (de son nom complet) disait volontiers : « la vie est trop ennuyeuse pour les femmes ». Le moins qu’on puisse dire est qu’elle s’est appliquée à contredire cette affirmation. Pianiste et chanteuse accomplie, grande sportive (escrime, tir, ski, alpinisme, équitation), pionnière de l’automobile, aventurière, philanthrope, grande figure de la haute société de son époque, … Les qualificatifs et les angles ne manquent pas pour tenter de décrire la vie de Camille du Gast, extraordinairement dense et multiple pour une femme de son époque.

Évidemment, elle avait un avantage de taille : la fortune. Née dans une riche famille bourgeoise du nord de la France, elle épousa un homme au moins aussi riche et devint veuve à 27 ans en 1895. Mais pas question pour elle de se contenter d’élever sa fille et de vivre de ses rentes, comme les conventions de l’époque l’y invitaient. Surtout que quelque chose de nouveau et d’excitant apparaissait alors : l’automobile. Ainsi devint-elle en 1898, après la duchesse d’Uzès, la deuxième femme en France à décrocher le « certificat de capacité », l’ancêtre du permis de conduire.

Camille Paris-Berlin
Au départ du Paris-Berlin 1901. A droite son mécanicien et ami le Prince de Sagan, avec qui son mariage sera annoncé puis annulé l’année suivante – © DR

Camille du Gast, pilote d’usine

Son intérêt pour la course naît, dit-on, à la vue du départ de la coupe Gordon Bennett en 1900. Elle s’inscrit donc à la course Paris-Berlin en juin 1901. Tout comme la baronne Hélène van Zuylen qui, trois ans plus tôt, était devenue la première femme au départ d’une course automobile (Paris-Amsterdam-Paris). Au volant d’une Panhard-Levassor 20 CV, elle termine 33e sur 122 participants. Deux ans plus tard la marque alsacienne (1) De Dietrich (où travaille depuis peu un jeune homme appelé Ettore Bugatti) lui confie une voiture de 30 CV pour la course Paris-Madrid. Elle est la seule femme au départ de Versailles parmi 221 concurrents (dont une cinquantaine de motocyclettes) et devant une foule considérable venue assister au grand événement de l’année.

Paris-Madrid de Dietrich
Camille au contrôle technique précédant la course, dans le jardin des Tuileries – © DR

Sa monture n°29 est couverte de fleurs, roses et lilas, qu’elle éparpillera rapidement sur la route. Très rapidement même, puisqu’elle est régulièrement pointée dans les dix premiers au fil du parcours. Mais, alors qu’il lui reste moins de 100 km à parcourir avant l’arrivée à Bordeaux, terme de la première étape, elle s’arrête pour porter secours au Britannique Phil Stead, sérieusement blessé après l’accident de sa De Dietrich. Elle n’accepte de repartir qu’après lui avoir prodigué les premiers soins, avoir télégraphié à sa femme et s’être assurée qu’il était correctement pris en charge. Cet arrêt lui fait perdre plus de trois heures et une bonne partie de son enthousiasme. Au lieu de la place d’honneur qu’elle pouvait espérer, elle rejoint Bordeaux en 77e position. La course en reste là, comme on le sait (2).

Camille Paris-Madrid
Camille au départ de Versailles – © DR

Interdite de courses !

Racontant sa course pour le magazine sportif La Vie au grand air, Camille se montre modeste : « Quelques amies viennent me serrer la main au départ et me recommandent d’être prudente. Mon Dieu, ce que je fais me paraît pourtant tout simple et tout naturel. » (3). Pourtant, l’ardente féministe – elle est membre de la Ligue française pour le droit des femmes – n’échappe pas aux conventions de son temps sur la place et le rôle des femmes : « … une femme, conduisît-elle à 120 à l’heure, doit toujours s’arrêter pour soigner ceux qui souffrent, et il souffre, le pauvre Stead. » (3).

La « Walkyrie de la mécanique » est pressentie pour disputer la coupe Gordon Bennett 1904 au volant d’une Benz. Mais elle dérange. Une femme au volant ? Et en course qui plus est ? Quelle idée ! En mars 1904 l’Automobile Club de France décide d’exclure les femmes, jugées « trop nerveuses » (sic). Évidemment, Camille s’en insurge. Mais l’ACF précise que cette éviction ne la vise pas elle. Elle a pour but « d’éviter la présence d’autres femmes, moins expérimentées, moins adroites et moins prudentes qu’elle ». Quelle tartuferie ! Au fait, cette décision n’aurait-elle pas été téléguidée par un gouvernement français peu ravi par la perspective de voir une personnalité aussi connue au volant d’une voiture allemande ?

Une personnalité hors normes

Car Camille du Gast est une figure marquante de la vie mondaine. Ses réceptions attirent le tout Paris et l’affaire de « la Femme au masque » en 1902 (4) l’a mise à la une des journaux, à son corps défendant. Méprisant les conventions, côtoyant l’élite économique et politique, très séduisante (on la surnomme « L’Amazone aux yeux verts »), elle suscite l’admiration ou la jalousie et ne laisse personne indifférent, surtout pas les hommes.

Camille Alger-Toulon
Dans le port d’Alger, à la veille du départ de la course Alger-Toulon en 1905 – © DR

On lui interdit les courses sur terre ? Qu’à cela ne tienne, Camille décide de passer sur l’eau ! Elle devient là encore, en 1905, la deuxième femme à participer à une compétition de bateaux à moteur. Cette même année elle fait les gros titres par son naufrage lors de la course Alger-Toulon, dont elle gagne néanmoins le premier prix. Puis elle part explorer le Maroc, d’abord seule, puis pour le compte du gouvernement français. Mais l’année 1910 marque un tournant : elle est victime d’une tentative d’assassinat commanditée par sa fille, sans doute pressée d’hériter. Indemne physiquement mais blessée dans son cœur, Camille se tourne alors vers les bonnes œuvres, en faveur des femmes et enfants dans le besoin et des animaux (elle sera présidente de la SPA pendant plus de trente ans).

Camille au Maroc
© DR

Une femme d’action

« On aime peu les femmes qui s’analysent et se racontent et, au fond, je suis de cet avis. Du reste, il vaut toujours mieux agir que conter. » (3) Camille a beaucoup agi. En démontrant par l’exemple qu’une femme ne devait rien s’interdire du simple fait de son sexe, elle a grandement fait avancer la cause du féminisme, alors que le concept venait de naître en tant que mouvement d’émancipation. Cette contribution est rappelée aujourd’hui dans l’espace public, avec la rue Camille Crespin-Du Gast à Paris, ainsi que plusieurs établissements scolaires à son nom.

Tombe Crespin du Gast
La tombe de Camille du Gast au Père Lachaise – © DR

NOTES :

(1) Les origines de la marque sont alsaciennes mais, suite à l’annexion de l’Alsace-Moselle par le Reich allemand, De Dietrich s’est scindée en deux entités. Une alsacienne, une en Lorraine française, à Lunéville où a été fabriquée la voiture de Camille.

(2) Le gouvernement français alarmé par les nombreux accidents, dont plusieurs mortels, décide de stopper la course à Bordeaux. C’est la fin des raids de ville à ville.

(3) La Vie au grand air N°247 – 5 juin 1903

(4) Un avocat ayant affirmé publiquement que Camille du Gast était le modèle ayant posé nue pour ce tableau d’Henri Gervex datant de 1886, celle-ci entama des poursuites. Les péripéties judiciaires qui suivirent firent la joie des échotiers pendant plusieurs semaines. L’affaire fit le tour du monde, elle fut même évoquée dans des journaux australiens et néo-zélandais !



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