Quelle meilleure conclusion aux notes-interviews de Jean-Paul Orjebin relatives au Professeur Cesare Carani que celle dont nous a gratifié Rossano Candrini, consacrée à Laura Garello Ferrari ? Mais peut on parler de conclusion lorsqu’il s’agit de Ferrari ?
Classic Courses
Madame Ferrari est principalement connue pour son implication dans le conflit qui provoqua le départ du staff en 1961, nous verrons dans ce que nous raconte Rossano Candrini que ce n’est pas si simple et nous découvrirons les coulisses de ce grand théâtre qu’était Ferrari, la Commedia dell’arte à Maranello. Commediante ! Tragediante !
Rossano Candrini, traduit de l’italien par Jean-Paul Orjebin
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Madame Ferrari
Enzo Ferrari un « padrone » bienveillant
Laura Garello Ferrari
Il y a une personne que j’ai connue il y a des d’années et qui, à mon avis, a contribué à la réussite du grand Enzo Ferrari et ce depuis le début. Il s’agit de Madame Laura Garello Ferrari, j’aimerais vous en parler.
Tant qu’elle a été en bonne santé, elle a collaboré avec son mari, de manière prosaïque mais aussi avec cette dose de « dramatisation théâtrale » que les Ferrari pensaient nécessaire à la gestion de leur affaire.
Trop de lieux communs ont été prononcés à son sujet. Ceux qui ne l’ont pas connue ou seulement après le début de la longue maladie qui l’a accompagnée ne peuvent pas être objectifs pour en parler, et je pense qu’ils devraient s’abstenir.
A mon sens, elle a été au début une jeune femme amoureuse, elle avait l’habitude de l’appeler « mon Enzino ». Il lui a fallu ensuite beaucoup de patience pour vivre avec un personnage aussi ′′ hors-série ′′ que pouvait l’être Enzo Ferrari
Habile en affaires
Je l’ai rencontrée les premières fois quand j’étais gamin à Maranello à l’usine Ferrari pour acheter les pneus dont ils n’avaient plus l’usage.
C’était un bon business pour l’entreprise de mon père il s’agissait principalement de pneus neufs qu’ils avaient en stock mais pas utilisables à la suite de nouveaux profils ou de nouvelles sections, et aussi de matériels d’essais démontés, car remplacés par autant de pneus neufs pour la livraison des voitures aux clients.
C’était lucratif pour mon père et toujours agréable pour le garçon de 18 ans que j’étais, d’entrer à l’usine Ferrari. Le matériel que nous achetions était empilé à l’extérieur contre le mur de la gestion sportive à Maranello.
C’était les années des fabuleuses et voluptueuses P4 qui remportaient les courses d’endurance comme Le Mans, Daytona et des F1 avec ce sublime 12 cylindres, j’étais fasciné, mes visites me permettaient de les apercevoir par-delà le mur.
Madame Ferrari, habile en affaire, avait pour mission en contre partie de la reprise des pneus de nous imposer la récupération de tous les chiffons sales que l’usine produisait et dont elle ne savait pas comment se débarrasser.
Présente à l’usine
Aujourd’hui, pour ceux qui connaissent Ferrari, cela peut sembler curieux, mais je suis témoin vivant d’avoir vécu avec plaisir et fierté cette époque ou en plus d’être négociant en pneus j’étais un peu le chiffonnier de Ferrari. La femme du patron était toujours à l’usine, attentive à tout ce qui se passait, en particulier chargée à ce que personne ne soit dispendieux. A la fin des années 60 quand Ferrari est devenue une industrie nous avons continué à acheter les pneus usés mais sans contrepartie, sans les négociations « levantines » mais agréables de Madame Laura. Les chiffons gras furent éliminés en interne et je pense que de nombreuses économies de cette sorte furent abandonnées.
Lorsqu’elle était en service, chaque matin, un chauffeur, très souvent un mécanicien en combinaison de travail , allait au Largo Garibaldi, la maison de Laura et Enzo Ferrari, avec un petit minibus Fiat 850 de couleur rouge a la peinture un peu passée , pour conduire à l’usine de Maranello, la femme du Commendatore.
Un de ces chauffeurs fut pendant longtemps un ancien mécanicien de l’équipe de course, un certain Aldo Savigni.
Aldo qui vivait dans le même quartier que moi , une fois à la retraite, avait pris l’habitude de venir tous les matins à la pompe à essence que nous tenions dans la via Emilia Est , à quelques centaines de mètres de l’ancien siège de la Ferrari à via Trento Trieste. Si je ferme les yeux, je le vois encore sur la selle de son vieux vélo délabré, s’arrêter sans descendre, poser un pied sur le sol et nous raconter un épisode de sa vie de mécanicien de courses des années 50.
L’union fait la force
Le récit le plus sensationnel concerne un voyage lointain pour une course au Mexique, une Carrera Panamericana ou quelque chose comme ça.
Savigni était mécanicien sur les pistes et chauffeur du camion transporteur.
Au retour de ce voyage au Mexique , à son arrivée à Maranello, dans la cour de l’usine il y avait à l’attendre visiblement avec impatience Enzo Ferrari et Laura Garello.
L’intérêt des patrons, raconte Savigni, n’était pas tant de retrouver les voitures qui revenaient, mais le contenu du réservoir auxiliaire qui avait été installé dans le châssis.
Il y avait un réservoir pour le carburant tandis que l’auxiliaire qui n’avait pas de raison d’être utilisé l’était devenu pour l’occasion. En effet il était rempli de pièces de 20 dollars mexicains évidemment en or. C’était la prime d’engagement pour la course et celle due au vainqueur premier.
Le réservoir a été démonté prestement par l’équipe de course, et Aldo ajoute que la bonne humeur du Commendatore et de sa femme faisait plaisir à voir, certainement due au fait de la victoire en course.
Certainement pas un rôle facile qui ne rendait pas les relations simples avec les employés, mais certainement utile pour son mari. Laura était pour la plupart la figure désagréable et antipathique du duo Ferrari. Enzo jouait le rôle de celui qui avait connaissance de tout ce qui se passait dans son usine et qui bon prince paternaliste s’en accommodait en pardonnant les fautifs.
A mon avis, deux très bons acteurs, qui jouaient en parfait accord une comédie qui les arrangeait.
Tentative de coup d’état
Très célèbre est l’épisode qui remonte à 1961, année où furent torpillés presque tous les cadres directeur sportif, directeur technique, concepteur, directeur financier, etc.
Pour la plupart du personnel de direction, Mme Laura était devenue insupportable Tavoni, Bizzarrini, Chiti, Gardini et d’autres avaient fait un front compact. Ils présentèrent à Ferrari un ultimatum :
– Soit Madame Ferrari ne vient plus à l’usine, soit nous démissionnons en masse.
Ce fut un coup de force courageux mais présomptueux. Forts de ce qu’ils pensaient d’eux mêmes ces dirigeants eurent l’audace de faire cette requête au Commendatore.
Enzo Ferrari qui, en tant qu’acteur, n’avait pas de rival, feignant la plus grande surprise, leur répondit que demain matin il donnerait une réponse.
C’était ce qu’Il avait « projeté » pour se libérer en un seul coup des gens qu’Il n’aimait plus, et en plein accord et en coréalisation avec sa femme, il avait mis en scène « la symphonie du Nouveau Monde à Maranello » Les nouveaux acteurs étaient déjà prêts: Forghieri, Benzi, etc.
Le lendemain matin à 10 heures, tout le monde au bureau du Commendatore.
Les quelques mots de Ferrari aux « révoltés » furent lapidaires :
« Que venez-vous faire? Comment un seul d’entre vous, peut-il penser que j’empêcherais ma femme de venir à l’usine ? Bonne chance. »
Généreuse et …patiente
Madame Ferrari mourut à presque 80 ans en 1978, 10 ans avant son mari Enzo.
Elle m’a surpris en plusieurs occasions, je me souviens toujours avec plaisir de son appel pour connaitre l’état de santé de ma mère, lorsque était gravement malade bien qu’encore jeune. Aussi à l’occasion d’une de mes visites chez elle ou elle a tenu à me remettre divers vêtements de « Enzino », qu’il n’utilisait plus car elle avait renouvelé entièrement sa garde-robe. J’étais gêné tant il y en avait, j’ai envoyé un employé avec un fourgon et j’ai apporté tout le stock au curé de San Pio, ma paroisse. Je n’ai gardé qu’une cravate, que j’ai mise au cou de mon père lorsqu’il est parti…
Une autre histoire me revient à propos de Madame Ferrari mais je pense qu’elle va faire grincer les dents des féministes.
Un jour ou je confiai à Monsieur Ferrari un moment de ma vie personnelle, Je venais d’acquérir une Mercedes 190 2.3 E 16 soupapes et je lui racontais que j’avais fait un voyage à Paris avec cette auto dont je savais qu’il appréciait les performances, que tout s’était bien passé sauf qu’au retour mon épouse s’était plainte tout le long du chemin de ce que je conduisais trop vite.
Il me prit par le bras comme il avait l’habitude de faire pour parler en marchant et me dit :
« Ecoute, un jour avec Laura, nous allions à Piacenza, à la sortie de Modène sur la via Emilia a peine après avoir passé Rubiera, Laura me disait que je roulais trop vite et ce depuis que nous étions partis. Cà durait un peu trop pour moi, j’ai vu un restaurant sur la droite avec un grand parking, je m’y suis arrêté brusquement en soulevant la poussière et je lui ai dit : Voilà Laura, tu m’attends dans ce restaurant, je te reprendrais à mon retour afin que tu ne sois plus en peine et que je puisse conduire librement et sans t’entendre crier. »
Je suis resté un peu plus longtemps que prévu à Piacenza, quand je suis repassé au restaurant il faisait déjà nuit, il ne restait plus qu’elle et le restaurateur.
Monsieur Ferrari s’arrêta de marcher, se tourna vers moi me fit son sourire d’enfant et me dit : « Candrini, la prochaine fois, fait comme moi. »
Je reconnais volontiers que ces manières puissent paraitre machistes de nos jours et qu’il a fallu beaucoup de patience à Madame Laura pour aimer autant ce personnage peu ordinaire.
Note :
La photo de couverture est due à Bernard Cahier, elle a été prise lors du GP de Grde Bretagne 1961. Mme Laura Ferrari est entre Wolfgang von Trips et Phil Hill.