Mauro Forghieri rejoint Ferrari
Ce n’est pas une énorme surprise en soi, car on le savait « très fatigué ». Il n’empêche : avec son air d’éternel étudiant dans la lune, Mauro Forghieri semblait indestructible. Il avait 87 ans, un âge respectable qui lui permit de vivre une existence de grande intensité : il ne s’est jamais vraiment arrêté de cogiter pour trouver des solutions aux problèmes d’ingénierie qui se posaient à lui. Il était temps pour lui de rejoindre tous ceux qu’il a côtoyés avec bonheur dans la grande maison du Petit Cheval Cabré.
Pierre Ménard
Pour aller plus loin :
La Ferrari 312 T2
Ferrari 70 ans de course automobile

Madame Forghieri se plaignait d’un disfonctionnement sur sa voiture ? Mauro prenait quelques heures pour remédier au problème. Les frères Pederzani avaient besoin d’un bon V12 pour leur future F1 en 1972 ? Mauro se penchait sur le problème et leur fournissait le bloc dont ils rêvaient, le 123 Tecno, fait en « perruque » car à l’époque, le grand sorcier de la course travaillait officiellement pour une grande maison sise à Maranello. C’est dans cette institution que Mauro Forghieri a bâti sa légende durant près de 25 ans. Il n’aurait d’ailleurs pas aimé qu’on parle de lui comme une « légende ». Il était modeste et considérait qu’il ne faisait là que son travail. C’est la marque de fabrique des grands créateurs détachés de la flagornerie institutionnalisée.
La pièce maîtresse
Il est le directeur technique resté le plus longtemps en poste chez Ferrari, de 1962 à 1986 exactement. Son impressionnante carrière s’étend des 156 V6 « sharknose », et des 250 GTO, aux F1 V6 turbo soufflant près de 1000 chevaux de la moitié des années quatre-vingt, c’est dire ! Il était considéré comme un des génies de la course avec Colin Chapman, Gordon Murray ou plus récemment Adrian Newey. Il fut capable de concevoir des F1, des F2, des sport prototypes ou des Grand tourisme qui ont toutes marqué de leur empreinte l’histoire du sport automobile. Bref, il fut incontournable à la Scuderia pendant ces fabuleuses années 60, 70 et un peu des 80. Durant cette dernière décennie, il ne fut pourtant plus le directeur omnipotent qu’il avait été.
Les technologies du turbo et de la fibre de carbone demandaient des compétences précises que Forghieri ne possédait pas. C’est à cette époque qu’on vit arriver chez Ferrari de nouveaux ingénieurs étrangers, britanniques comme Harvey Postlethwaite ou John Barnard, français comme Jean-Claude Migeot ou Jean-Jacques His. Maranello se mondialisait et le directeur technique historique sentit de lui-même que sa place n’était plus vraiment dans cette équipe à qui il avait tout donné.
Il passa à « l’ennemi » Lamborghini pour tenter de donner vie au projet d’un V12 destiné à la Formule 1 qui ne laissa, hélas, pas de grands souvenirs tant il fut utilisé par des structures inadaptées aux standards imposés par la discipline la plus huppée des sports mécaniques. Lassé de ces fourvoiements, il fonda sa propre société de consulting, Oral Engineering, spécialisée dans le R&D aussi bien auto que moto. Mais pour tous les connaisseurs, il restait le grand Forghieri, celui qui avait maintenu Ferrari sur le devant de la scène durant des années. Celui qui avait travaillé avec les plus grands pilotes passés par Maranello.

Amon et Lauda au Panthéon
Lorsqu’on lui posait l’inévitable question de savoir qui était celui avec lequel il avait établi la meilleure collaboration, deux noms arrivaient en tête : Amon et Lauda. De façon assez bizarre, il avait une réelle affection pour le Néo-Zélandais qui, s’il était indiscutablement rapide, n’était pas quelqu’un sur qui pouvait reposer un programme de longue haleine. Mauro reconnaissait qu’à ce niveau, l’Autrichien était irremplaçable. Mais les deux forts caractères eurent du mal à s’acclimater l’un à l’autre, surtout à partir de 1976 lorsque Niki découvrit l’avion et la vie dorée d’Ibiza avec Marlene.
Forghieri put s’appuyer sur les compétences de grands noms comme Surtees, Parkes, Ickx, Andretti, Regazzoni, Reutemann, Scheckter ou Tambay, sans oublier les deux précités. A l’inverse de Colin Chapman, il ne sortait pas de grands coups d’éclats qui démodaient instantanément ses adversaires, mais mûrissait longuement sa réflexion pour aboutir à un projet solide. Ainsi naîtra au mitan des années soixante-dix la fabuleuse lignée des Ferrari 312T qui mit fin à une longue disette en Formule 1.
Il n’était pas toujours facile pour ce créateur bouillonnant d’appliquer ses recettes dans une maison tenue de main de fer par son fondateur qui dictait ce qui était « bon » ou pas. Ainsi en 1978, Enzo Ferrari refusa à Forghieri le projet d’une F1 wing-car, à l’image de la Lotus, au prétexte que l’anglaise était « illégale ». Dès que le « vieil homme » se rendit compte de son erreur, l’ingénieur sortit en quelques mois les plans de la T4 qui allait réussir l’impossible : adapter au large V12 à plat l’architecture des pontons déporteurs, avec à la clé les titres pilotes et constructeurs fin 1979.

Il ne s’occupait « que » de technique
Jusqu’en 1973, il dut aussi jongler avec les programmes sport, GT et F1, sans oublier la Montagne et la F2, ce qui explique certaines années la prédominance accordée à l’Endurance aux dépens des monoplaces. Les victoires des protos au Mans jusqu’en 1965 lui doivent beaucoup. La championne du monde 330 P4 aussi.
Toujours soumis à la « volonté suprême », il fut contraint d’utiliser pour la nouvelle Formule 1 de 1966 le fameux V12 des prototypes, ramené à 3 litres. Autant ce bloc était somptueux dans la Sarthe ou en Floride, autant il était inadapté pour les sprints de grand prix. Mais Forghieri devait faire avec. Un jour que je lui demandais pourquoi diable Ferrari avait détruit tous les châssis 156 fin 1962, il me répondit avec un sourire : « Il ne voulait pas garder des voitures dont la carrière était terminée. A l’époque, il [Ferrari] ne désirait pas faire de l’argent en revendant ces voitures. C’était un pur (rires). Mais moi, je ne m’occupais pas de cela ». La disparition d’un homme aussi compétent que charmant ne peut qu’attrister les nostalgiques indécrottables que nous sommes devenus. Mais, il n’y a rien à redire à cela. Les pages de l’Histoire se tournent. Nous avons juste la possibilité et le loisir de « feuilleter le livre à l’envers », comme disait Gérard Ducarouge.

Merci Pierre pour cet hommage mérité.Mauro Forghieri » il Furio » a incarné le génie mécanique italien, la Terra dei Motori est en grand deuil.
Il était fait pour FERRARI et FERRARI était fait pour lui. D’aiLleurs, après, il n’a plus rien fait ou si peu vu son talent;
Rien que pour la P4 , il mérite le Panthéon.
Forghieri, un nom indissociable de Ferrari et que j’ai l’impression d’avoir toujours connu puisqu’il avait commencé sa prolifique carrière à Maranello avant ma naissance. C’est un pan énorme de l’ingénierie de la course qui disparaît avec lui. RIP et respects pour l’œuvre accomplie, aussi bien technique qu’esthétique : la P4 et les 312 « boxer » F1 et protos des années 70-73 sont des merveilles pour l’œil, je ne m’en lasse pas, 50 ans après les avoir découvertes.
La P4 était en effet d’une beauté incroyable, sans doute inégalée.
Par contre, comparée à la Lotus 72 (en particulier en version JPS), je trouve que la 312 B des années 70-73 ne s’impose ni par sa beauté, ni par sa modernité.
La Lotus a tué Jochen Rindt , que je sache la 312B n’a tué personne .Voilà ou est sa sa beauté .
Concernant cet accident fatal, René Fievet pourrait certainement répondre très précisément, mais il me semble néanmoins qu’il s’agit d’un malheureux enchainement de circonstances parmi lesquelles le fait que le harnais de Jochen Rindt n’était verrouillé, à sa demande, que par 4 points au lieu de 6, n’est pas la moindre.
Le fait que le demi arbre de roue de sa LOTUS a cassé est pour moi la cause de l’accident . Light is right disait Chapman ! Faut il rappeler aussi que Jochen RINDT était réticent à aller chez LOTUS , car il craignait que la LOTUS ne le tue . Colin ne se sentait d’ailleurs pas à l’aise car en 71 il n’est pas venu à MONZA et y a envoyé sa Lotus à turbine habillée d’autres couleurs pour ne pas etre saisie .
Je suis d’accord, la Lotus 72 JPS est inégalable, je l’avais d’ailleurs classée en haut de ma liste des plus belles F1 de la période 3 litres ici : https://www.classiccourses.fr/magazine/beautes-classees/.
Quant à la 312 B, c’est surtout celle de 70, comme par hasard la plus performante, qui sort du lot esthétiquement.
Mon cher Olivier, Mon ignorance crasse pour tout ce qui concerne les aspects mécaniques de l’automobile en général, et des sports mécaniques en particulier, me disqualifie totalement pour prétendre au rôle de juge de paix dans un débat de ce genre. Toutefois, je pense que je sais lire, et ce que j’ai lu me laisse penser que Richard Jego a raison sur l’essentiel : c’est une rupture mécanique au freinage de Lesmo qui a fait zigzaguer, puis brutalement dévier la voiture de Rindt sur la gauche, et carrément sortir de la piste pour s’encastrer à moitié sous le rail de sécurité.… Lire la suite »
il me semble que le titre serait plus équilibré et compréhensible si l’on ajoutait son prénom
à Enzo Ferrari pour différencier l’homme de la société qu’il a créée,
RIP Mauro. Il accompagnait parfois Enzo Ferrari sur son lieu de villégiature à Viserba di Rimini avec sa Ferrari bleu foncé de fonction.
Synthèse biographique très soignée. Bravo Pierre Ménard