2 décembre 2014

« Biche » : Monte Carlo 2015 en WRC !?

Andruet – « Biche », couple mythique du rallye. Premier équipage vainqueur au nouveau Championnat du Monde lors du Monte-Carlo 1973. Les années ont passé, les victoires se sont accumulées et la passion est restée. A tel point que « Biche » va participer au prochain « Monte – Carlo » en WRC.

Elle a bien voulu nous présenter son projet et nous a donné l’occasion de revenir avec elle sur sa carrière. Ne cherchez pas de détails au centième de seconde, de fastidieuses listes de résultats ou de complaintes sur le thême « c’était mieux avant »; « Biche » est la simplicité et l’humilité personnifiées. Pourtant elle est dans le présent, dans l’action et dans le dépassement de soi. Très « Classic  » en somme…

Propos recueillis par Olivier Rogar

biche,biche espinos,jean-pierre augert,claudine trautman,marianne hoefner,jean-claude andruet,maurizio verini,olivier rogarBiche, prénom, surnom ? Je me pose la question depuis toujours.

Question à 10 francs ou euros ! C’est la question que tout le monde me pose. En fait c’est mon surnom depuis que je suis née. Mes parents et toute ma famille m’ont toujours appelée comme ça. Et je ne sais pas pourquoi ! Je suis née à Crémieux dans l’Isère, dans la propriété de mes parents, dans la maison de famille. Mon père adorait les rallyes, en faisait lui-même et pendant toute ma jeunesse j’ai croisé dans cette maison les pilotes que mes parents invitaient. Tout le monde [ du rallye] connait Crémieu !

Je suppose donc que c’est par votre père que vous êtes arrivée au Sport Automobile ?
Bien sûr, mes parents couraient ensemble en rallye. Mais j’avais un Grand oncle – Mr Grammont – qui faisait de la monoplace et s’est tué en course de côte, près de Grenoble. C’est lui qui a inoculé la passion à mon père. Dans notre propriété il y avait des pistes et Papa avait acheté trois karts. Donc dès l’âge de 7 ans on faisait des courses sur la terre, entre nous, avec les copains, c’était une famille de dingues, et il y avait une sacrée ambiance !
Petite je n’ai jamais joué à la poupée, j’avais plutôt des voitures. Mais je ne pensais pas pour autant à faire du rallye comme mes parents. Ca s’est fait comme ça. Quand les parents couraient, nous nous étions à la maison puis ensuite moi j’étais en fac, je ne n’étais pas très branchée rallyes. Je ne m’occupais pas de ça.

biche,biche espinos,jean-pierre augert,claudine trautman,marianne hoefner,jean-claude andruet,maurizio verini,olivier rogarIl y a bien eu un déclencheur ?
Oui. Souvent quand les équipes rentraient du rallye Monte Carlo, elles s’arrêtaient à la maison. On hébergeait par exemple les mécaniciens Alpine  auxquels ça faisait une étape sur le chemin du retour. Papa les connaissait tous. Ils faisaient une petite fête ensemble. Les pilotes aussi. Laurent, Vinatier, Piot…
Un jour le Monte Carlo est passé à côté de Crémieu, à Bourgoin et nous y sommes allés. Jean Todt, que je connaissais déjà, co-pilotait Jean-Claude Andruet et nous a présentés.
Au mois de mars suivant, Jean Todt qui était encore étudiant, était pris par ses examens. Jean – Claude a téléphoné à Papa pour lui demander s’il connaissait  quelqu’un pour l’aider à reconnaître le « Lyon – Charbonnière ». Et Papa lui a suggéré de me le proposer, sans être sûr que j’en ai le temps ou l’envie. Il m’a donc appelé à plusieurs reprises mais je n’étais jamais là, je faisais mes études de droit à Lyon. Il est donc venu à la maison et j’ai bien voulu aller prendre des notes. Je n’y connaissais rien du tout.

En quelle année était-ce ?
En 67. Mais au mois de mai de la même année, j’ai fait mon premier rallye. Avec la femme de Claude Laurent, Dominique Julien. Nous avons fait le « Paris-St Raphaël féminin » avec la Porsche de son père. Et on a gagné. Du coup ça m’a certainement plus branché que si on avait fini dixièmes.
Quant au « Lyon-Charbonnière », j’ai fait les reconnaissances et Jean Todt est revenu pour la course qu’ils ont gagnée.

biche,biche espinos,jean-pierre augert,claudine trautman,marianne hoefner,jean-claude andruet,maurizio verini,olivier rogarEt ça s’est enchaîné ensuite ?
Pas vraiment. Pour moi ça s’arrêtait là. Puis Jean-Claude m’a demandé de reconnaître un autre rallye. Et en 1968 il a dit à Alpine que je l’avais aidé à plusieurs reprises du fait de l’indisponibilité de Jean qui faisait ses études. Et il leur a demandé de faire un rallye avec moi. Oh là là !!! Il a mis la polémique chez Alpine ! Ils ne voulaient absolument pas qu’il y ait de femmes dans leur équipe, ils n’étaient pas du tout d’accord. C’était pour la Coupe des Alpes. Il leur a alors dit que s’ils n’acceptaient pas, il ne ferait pas le rallye. Il a eu gain de cause et malgré l’objection d’Alpine, on a fait la Coupe des Alpes ensemble.

Comment ça s’est passé ?
Mal bien sûr, je dois le dire. Sur une épreuve il y avait deux passages. Chacun par un col différent. En traçant la carte, moi qui étais novice, je me suis rendue compte qu’il y avait ces deux cols à passer. Mais tout le monde m’a dit que je me trompais. Qu’on ne passait que dans un sens. Je leur ai montré la carte et il s’est avéré que les organisateurs avaient effectivement prévu un passage dans chaque sens. On a donc reconnu correctement. Mais pendant le rallye, j’ai mal classé mes notes. On partait du même endroit, mais soit on passait par un col soit par l’autre et si on se trompait, on arrivait «  à l’envers ». Je ne dirai pas le nom du type en question mais quelqu’un il prévenu toute l’équipe du col par lequel il fallait passer en premier. Toute l’équipe sauf nous. Du coup, nous sommes arrivés en sens inverse… nous étions une dizaine dans ce cas…On s’est fait mettre hors course. Là, vous pensez, après ils ne m’ont pas ratée. J’étais la bête noire. Je ne me souviens pas si j’ai refait des rallyes tout de suite après avec Jean-Claude. Je ne crois pas.

Et vous avez ré-embrayé à quel moment ?
biche,biche espinos,jean-pierre augert,claudine trautman,marianne hoefner,jean-claude andruet,maurizio verini,olivier rogarJ’ai recommencé à courir avec Jean-Claude en 1972. J’ai recouru entre-temps, avec Henri Trautman, avec Claudine, sa femme, avec d’autres femmes pilotes et une saison entière avec Marie-Claude Beaumont sur Opel, en 1972. Puis Jean-Claude a fait appel à moi et nous avons gagné le « Lyon – Charbonnières – Stuttgart – Solitude » sur Alpine, le « Tour de France » sur Ferrari Daytona et la « Corse » sur Alpine.

Comment se passe la cohabitation de deux femmes, dans l’espace clos d’une voiture, avec les tensions de la compétition ?
Avec toutes les femmes avec lesquelles j’ai couru, je n’ai jamais eu de problème. Marie-Claude Beaumont qui était une femme avec un caractère fort, la Michèle Mouton de l’époque, m’a énormément appris. Elle était très méticuleuse. Elle connaissait plein de choses, était perfectionniste. Moi j’étais novice. Elle m’a énormément appris dans mon métier de co-équipière. Je lui dis toujours un grand merci. J’ai couru aussi avec Marianne Trintignant en rallye sur terre. Tout s’est toujours très bien passé.

biche,biche espinos,jean-pierre augert,claudine trautman,marianne hoefner,jean-claude andruet,maurizio verini,olivier rogarSur le fonctionnement homme-femme, c’est peut-être différent. Quand quelque chose ne va pas, « au revoir et merci » on passe à la chose suivante, tandis qu’avec une femme, peut-être , peut-être qu’il peut y avoir des rancunes. Mais moi je n’ai jamais eu de problèmes de ce côté-là.

Il y avait des femmes en rallye à cette époque.
Oui, Claudine Trautman, qui a couru avec son mari René, Marie-Claude Beaumont, mais il n’y en avait pas tant que ça. Et moi j’ai été la première femme à être acceptée comme co-équipière professionnelle dans une usine. Mais non sans mal. Chez Lancia ils m’ont très bien acceptée. Mais quand j’ai voulu faire des rallyes avec Ferrari, ils hurlaient «  pas de femme chez Ferrari ». Et Jean-Claude était sympa, il disait « moi je ne cours pas sans Biche. Malgré tout ils ont été un peu contraints d’accepter. Et après qu’on ait gagné j’ai reçu une énorme bouteille de parfum de la part de Ferrari. Mais j’étais assez vexée ; c’était « Eau sauvage » de Dior, un parfum pour mecs…

biche,biche espinos,jean-pierre augert,claudine trautman,marianne hoefner,jean-claude andruet,maurizio verini,olivier rogarIl y avait un peu de misogynie qui sévissait partout. Comme il n’y avait jamais eu de femme co-pilote en équipe d’usine, ils prenaient ça à la rigolade. Ils n’en voulaient pas. C’était un peu la norme dans ce sport. Moi j’étais discrète. Je n’osais pas parler à plein de gens. Cesare Fiorio par exemple. Il m’impressionnait. J’étais réservée. 

biche,biche espinos,jean-pierre augert,claudine trautman,marianne hoefner,jean-claude andruet,maurizio verini,olivier rogarComment avez-vous vécu l’année 1973 quand Alpine a été championne du Monde des rallyes ?
Q
uand je le raconte, on ne me croit pas. En fait quand j’étais rentrée chez moi, dans ma campagne, c’était fini pour moi. D’ailleurs beaucoup de mes amis très proches n’imaginaient pas ce que je faisais. Je ne racontais rien. Je ne voulais pas me mettre en avant.  Je rentrais à la maison. Je retournais à la fac. Et puis voilà. C’est en partie pour cela que j’ai gardé le pseudonyme que j’avais « Biche ». En fac de droit, ça aurait fait un peu désordre. Je ne me considérais pas comme une professionnelle du rallye. Je faisais mon travail du mieux possible. On était très peu payés. Mais pour moi cet aspect n’était pas important. La passion l’emportait.

Vous avez essentiellement co-piloté Jean-Claude Andruet ?
Après Alpine, on est allé chez Lancia en 1974 mais en 1975 j’ai arrêté parce que je me suis mariée avec Jean-Pierre Augert, qui avait été dans l’équipe de France de ski alpin. Malheureusement en février 1976 il est décédé, enseveli dans une avalanche à deux pas de notre chalet. La vie est bizarre. C’est Marianne Hoepfner, ma meilleure amie, la femme de Jean-Louis Trintignant, qui est venue tout de suite quand c’est arrivé et un mois plus tard Peugeot lui proposait de faire le rallye du Maroc. Et elle a insisté pour que je le fasse avec elle. Je lui revaudrai ça toute ma vie, c’est elle qui m’a remise sur les rails. Ensuite Jean-Claude m’a recontactée. Et j’ai accepté de repartir. J’avais besoin de travailler.

biche,biche espinos,jean-pierre augert,claudine trautman,marianne hoefner,jean-claude andruet,maurizio verini,olivier rogarEn 1977, 1978 et 1979 nous étions chez Fiat. Je me suis remariée à cette époque et j’ai fait le Tour de Corse en étant enceinte de deux mois et demi. J’en ai informé les gens de Fiat que ça n’a pas du tout perturbé ! Et tout de suite après avoir accouché je suis repartie. Moi les congés de maternité, je n’ai pas connu. Jamais personne n’a pris en compte le fait que parce que j’étais une femme, je ne pouvais pas tout faire. Donc personne ne m’a jamais fait de cadeau. J’ai changé des roues, des amortisseurs… Et ça ne me choquait pas !

biche,biche espinos,jean-pierre augert,claudine trautman,marianne hoefner,jean-claude andruet,maurizio verini,olivier rogarVous venez de faire le Tour de Corse Historique ?
Je suis allée faire le Tour de Corse en Historique avec une personne que je ne connaissais pas. Elle m’a été présentée par des amis communs, dont un restaurateur de Roanne et Denis Giraudet. Comme Jean-Claude ne m’a  pas proposé de l’accompagner cette année, j’ai dit ok. Je suis tombé sur une fille charmante qui ne connaissait pas la Corse et moi je ne connaissais pas le principe de la régularité VHRS ! Le premier jour on était nulle part parce que notre appareil n’a pas fonctionné. Par contre les jours suivants ça a bien fonctionné et on est remonté de la 77e place à la 30e.  Si je fais quelque chose, j’essaye de bien le faire. Mais là je ne connaissais pas. Quand j’ai compris et que la technique a été moins capricieuse, ça a bien fonctionné. Une très bonne expérience, dans l’équipe et avec les concurrents qui ont été adorables. J’ai découvert des gens charmants. 

biche,biche espinos,jean-pierre augert,claudine trautman,marianne hoefner,jean-claude andruet,maurizio verini,olivier rogarOn vous voit régulièrement en historique, on pense que vous avez raccroché de la compétition moderne. Mais ce n’est pas le cas. Vous avez couru récemment en WRC et vous avez des projets en WRC. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
En 2011 je suis allée chez Joanny à Antraigues et j’ai revu Maurizio Verini qui a été champion d’Europe des rallyes à l’époque où on était chez Fiat. C’était un copain. Et on s’est dit que ce serait marrant de refaire le Monte- Carlo ensemble. Et effectivement on a refait le Monte-Carlo en 2013. Malheureusement on est sorti de la route, tout bêtement à deux à l’heure, sur une plaque de glace et les commissaires ont interdit aux spectateurs de nous remettre sur la route.

biche,biche espinos,jean-pierre augert,claudine trautman,marianne hoefner,jean-claude andruet,maurizio verini,olivier rogarOn s’est dit qu’on ne pouvait finir notre carrière comme ça, sur un échec. On s’est donc demandé comment on pourrait faire pour remonter un tel projet. On a quelques sponsors, mais comme il manque pas mal de budget, on a fait appel à du Crowd-Funding, sur le site web « Kisskissbankbank ». Notre projet a tout de suite été accepté, ce dont nous sommes très fiers. Le principe est que les amis apportent des fonds, via le site, pour financer le projet. Les sociétés n’ont pas le droit de participer à ça. Ce qui est important ce n’est pas le montant de la mise individuelle, mais c’est le nombre de participants. Les américains sont très friands de ce type d’opération. De notre côté ça a démarré doucement, plutôt côté français qu’italien.

Je sais pourtant qu’en 2013 Caterham F1 a fait cette démarche et a récolté des fonds importants auprès de leurs fans. Il faudrait faire de la pub autour de ce projet, téléphoner aux journalistes, mais je ne sais pas faire. 

LE PROJET MONTE CARLO 2015

La 83ème édition du Rallye Automobile Monte-Carlo, qui se déroulera du 19 au 25 janvier 2015, s’annonce déjà comme un des plus difficiles de son histoire. Le parcours représentera un véritable challenge pour ses nombreux participants. Plus de 70 équipages se disputeront cette première étape du Championnat du monde de Rallye. Mais cette année, ils devront,grâce à votre aide faire face à un équipage de plus: Maurizio Verini, champion d’Italie de 1974, et sa co-pilote Biche, victorieuse avec Jean-Claude Andruet du Rallye Monte-Carlo de 1973 !

Wrc-rallye-monte-carlo-2013-maurizio-verini-mitsubishi-evo-x-1412698919

      – Biche et Maurizio Verini à l’édition 2013 du Rallye Monte-Carlo –

LA P’TITE HISTOIRE

Maurizio Verini et Biche se sont connus chez Fiat dans les années 70.

L’idée de ce Monte Carlo ?  Il y a 3 ans, Biche était venue en spectatrice au Monte-Carlo en Ardèche et Maurizio, lui, était au départ. Il a alors lancé : « Ce serait sympa de rouler ici ensemble ». Il suffisait de demander…! Les voila coéquipiers pour cette édition 2015, poussés par cette même passion et l’envie de prouver à la jeune génération qu’ils sont toujours là, plus motivés que jamais.

LA COURSE : du jeudi 22/01 au dimanche 25/01 2015

ENTREZ DANS L’HISTOIRE  Tout de suite !

Il vous suffit de clicker sur le lien ci dessous :

kisskissbankbank – rallye Monte carlo 2015 

Illustrations @ DR

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notifier de
guest

10 Commentaires
le plus ancien
le plus récent le plus populaire
Inline Feedbacks
View all comments

Contribuez à Classic-Courses

Pour raconter l’histoire de la course automobile, il nous faut du temps, de la documentation, des photos, des films, des contributeurs de tous âges et des geeks qui tournent comme des F1 !

Nous soutenir

Pour que notre aventure demeure bénévole et collaborative et que nous puissions continuer à écrire nos articles au gré de nos envies, en toute indépendance.