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Il y a cinq ans, Jean-Pierre Beltoise… ( 3/7)

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« Avec un seul bras valide Beltoise ne parviendra jamais à maîtriser une voiture de course. Son infirmité le condamne. Il est fini. »
 Jean-Luc Lagardère ne pouvait pas ignorer ce leit-motiv. Il l’avait entendu si souvent… Ceux que Jean-Pierre avait ironiquement critiqués dans sa rubrique « A cœur ouvert » de Moto Revue pouvaient exercer leur revanche.

Matra venait de prendre le contrôle des automobiles René-Bonnet. Pour étayer ce nom peu connu dans le monde de l’automobile, le directeur-général de Matra avait eu l’idée de poursuivre les activités sportives de René-Bonnet en construisant des Formule 3 pour 1965. Il avait engagé J.P. Jaussaud et Eric Offenstadt. Et même le convalescent Jean-Pierre Beltoise qui venait de sortir de huit mois d’hôpital.

Johnny RIVES

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Le premier épisode de l’hommage à Jean-Pierre Beltoise a été publié pour la première fois le 6 janvier 2015.

Le jour où Jean-Pierre Beltoise est « sorti de la mélée »

Jean-Pierre lui avait été chaudement recommandé par Gérard Laureau, pilote officiel de René Bonnet depuis une décennie. Laureau était convaincu du talent de Jean-Pierre. Il avait été admiratif de le voir, lors des 12 Heures de Reims 1964, maintenir leur René-Bonnet dans le sillage du rapide prototype Alpine M64 de Mauro Bianchi. Jusqu’à son élimination due à un accident terrible à 250 km/h dans la courbe après les stands qui, quelques années plus tôt, avait déjà été fatale à Annie Bousquet puis à Luigi Musso. C’était en pleine nuit, le départ des 12 Heures ayant eu lieu à minuit. Jean-Pierre avait fini par être retrouvé affreusement blessé, ayant été éjecté de sa René-Bonnet en flammes. Il n’y avait pas de harnais à l’époque.

Laureau s’était précipité à l’hôpital de Reims à temps pour s’opposer à l’amputation envisagée du bras gauche de Jean-Pierre. Il fit appel à un médecin de ses connaissances, le Pr. Dautry. Lequel sauva Jean-Pierre de l’amputation qui aurait ruiné sa vie.

Jean-Pierre Beltoise à l'hopital
Jean-Pierre Beltoise à l’hôpital de Reims @ Johnny Rives

Sur son lit d’hôpital, Jean-Pierre, criblé de broches apparentes, était si impressionnant à voir qu’un jour je dus le quitter précipitamment pour ne pas tourner de l’œil. Quelques jours plus tard, apprenant que l’articulation de son coude ne pourrait être rétablie, il me fit voir, gestes à l’appui, l’angle qu’il avait choisi entre le bras et l’avant-bras pour tenir sa fourchette en coupant un steak, saisir son portefeuille dans une poche intérieure. Et, bien sûr, être à bonne distance d’un volant.

Mais quel volant ? Les René-Bonnet étant menacées de disparition, il axa ses objectifs sur la moto. Sur pied en mars, il découvrit les difficultés auxquelles, à moto, se heurtait son bras gauche. Il voulut courir quand même, chuta à Pau et au Mans.

« JE COMPTE SUR VOUS ! »

C’était clair : la moto n’était plus pour lui. C’est alors qu’apparut Matra en repreneur des automobiles René-Bonnet. Gérard Laureau, encore et toujours lui, rencontra Jean-Luc Lagardère pour le convaincre  d’engager Beltoise. En dépit de son infirmité.

Clermont-Ferrand, 27 juin 1965, trois Matra F3 sont engagées. Montlhéry, Monaco et La Chatre se sont déjà résumés à des apparitions inabouties. Rebelote à Clermont. Jean-Pierre a tapé à la sortie d’une épingle. « La direction s’est bloquée ! » se plaignit-il.

Jean-PIerre Beltois egangan à Reims en F3 en 1965
Victoire Reims F3 1965 @ Eric Della Faille

Alors les bonnes âmes de ricaner : « Sa direction ? Mais non, c’est son bras  qui est bloqué. Son infirmité le condamne ! » Lagardère ne connaissait Jean-Pierre que depuis deux mois. Mais il croyait en lui. Il l’interrogea avec gravité : « Jean-Pierre, j’attends de vous une réflexion sincère. Votre carrière et votre vie en dépendent. Que s’est-il passé ? Direction bloquée vraiment ? »
Jean-Pierre n’hésita pas : « Oui ! »
« C’est bon, admit le patron de Matra Automobiles. Il faut que nous gagnions bientôt. »
Et il ajouta : « Je compte sur vous ! »

Lagardère n’eut pas à attendre longtemps : une semaine plus tard, le 4 juillet 1965, sur le circuit de Reims, Jean-Pierre Beltoise créait la sensation en imposant sa Matra dans l’épreuve de F3. A l’issue d’une course brillante et d’un sprint habilement mené, il triomphait des meilleurs espoirs britanniques emmenés par Piers Courage. Un triomphe d’autant plus émouvant qu’il survenait  tout juste une année après l’accident ayant failli lui coûter la vie sur le même circuit. En outre, cette résurrection symbolique se produisait 13 ans après l’historique victoire que Jean Behra avait remportée en 1952 en imposant sa Gordini bleu de France devant les Ferrari. Les journaux saluèrent ce succès avec une belle unanimité.

LA MORT D’ELIANE

Après Reims, Jean-Pierre se classa 2e à Rouen (derrière Courage, qui eut ainsi sa revanche), 2e encore à Magny-Cours, puis vainqueur à Cognac devant un « privé » dont on allait bientôt reparler, Johnny Servoz-Gavin. Et enfin de nouveau 2e aux Coupes du Salon de Montlhéry. Champion de France F3, il avait réduit ses détracteurs au silence de la meilleure des façons, confirmant la confiance que Jean-Luc Lagardère avait placée en lui.

Ce dernier eut souvent l’occasion de revenir sur la victoire de Reims, à l’origine de tant de décisions positives : « Ce jour là, a-t-il dit, il s’est passé quelque chose d’énorme. Si, la veille, on avait dit que Matra, cette marque inconnue, et que Beltoise, ce pilote « fini », allaient gagner une course, personne ne l’aurait cru. Et pourtant c’est arrivé. Bien sûr c’était la victoire d’une équipe, d’ingénieurs, de mécaniciens. Mais plus que tout ce fut la victoire d’un homme, Jean-Pierre. Parfois, pour faire avancer les choses, il faut qu’un homme sorte de la mêlée. Ce jour là, c’est bien Jean-Pierre qui est sorti de la mêlée. Cette victoire, quoiqu’il arrive désormais, restera pour moi la plus belle de toutes. »

L’année suivante, 1966, Lagardère donnait le feu vert pour la création d’une équipe de F2, avec Jean-Pierre et Jo Schlesser, le pilote français le plus en vue de l’époque. Hélas, le chemin vers les étoiles qu’avait envisagé le tout jeune Jean-Pierre Beltoise, était jonché d’épreuves terribles. En avril, après guère plus d’un an de mariage, il avait la douleur de perdre sa jeune femme Eliane dans un accident de la route alors qu’elle se dirigeait vers leur maison, « La Vallée » récemment achetée à Saint-Vrain au sud de Paris.

« Décidément le mauvais sort ne cesse de s’acharner sur moi, » me dit-il alors. Il était en pleine détresse. Mais il parvint à se raidir face à l’adversité. Il reprit son combat, endossant en fin de saison un second titre de champion de France auto, cette fois dans la catégorie suprême F1/F2. Il s’était mesuré d’égal à égal à Jim Clark soi-même. En outre, engagé dans le prestigieux G.P. de Monaco F3, il y avait signé une victoire d’importance devant le grand espoir britannique Chris Irwin .

Jean-Pierre Beltoise - Victoire à Monaco F3 1965
Victoire  Monaco F3 1965 @ Jean Bernardet

Jean-Pierre était sur une voie royale. Il le confirma avec un éclat extraordinaire au début de 1967. Matra avait engagé trois F3 dans la Temporada argentine mise sur pied sous l’égide du grand Fangio. Quatre courses (Buenos Aires, Mar del Plata, Cordoba et encore Buenos Aires) et… quatre victoires de Beltoise. Devançant  ses équipiers Jaussaud et Servoz-Gavin, il confirmait sans ambiguïté sa position de leader de l’équipe Matra. La presse argentine l’avait surnommé « El ganador » !

L’année suivante, 1968, il devenait champion d’Europe F2 – prouvant qu’il avait mérité plus que tout autre de se voir confier en F1 la Matra MS11. Une F1 propulsée par un moteur à 12 cylindres en V, un vrai moteur de course conçu et réalisé chez Matra, événement qui paraissait inconcevable trois ans plus tôt. Désormais, l’objectif suprême de Jean-Pierre était là, tout proche : courir en Grand Prix.

Jean-Pierre Beltoise -Victoire au Championnat d'Europe de F2 1968
Champion F2 1968 @ DR

(à suivre…)

Retrouvez le témoignage dans son intégralité dans « Beltoise comme un frère » par Johnny Rives paru aux éditions du Palmier .

https://www.editions-palmier.com/beltoise-comme-un-frere-biographies,fr,4,lautodro037.cfm

A lire aussi : On a lu : Beltoise, comme un frère – Johnny Rives

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Johnny Rives

« Lorsque j’ai été appelé sous les drapeaux, à 21 ans, j’avais déjà une petite expérience journalistique. Un an et demi plus tôt j’avais commencé à signer mes premiers « papiers » dans le quotidien varois « République », à Toulon. J’ai envoyé le dernier d’entre eux (paru le 4 janvier 1958) à Pierre About, rédacteur en chef à L’Equipe. Il m’a fait la grâce de me répondre après quoi nous avons correspondu tout au long de mes 28 mois d’armée. Quand je revins d’Algérie, très marqué psychologiquement, il voulut me rencontrer et me fixa rendez-vous au G.P. deMonaco 1960. Là il me demanda de prendre quelques notes sur la course pendant qu’il parlait au micro de Radio Monte-Carlo. J’ignorais que c’était mon examen d’entrée. Mais ce fut le cas et je fus reçu ! Je suis resté à L’Equipe pendant près de 38 ans. J’ai patienté jusqu’en 1978 avant de devenir envoyé spécial sur TOUS les Grands prix – mon premier avait été le G.P. de France 1964 (me semble-t-il bien). J’ai commencé à en suivre beaucoup à partir de 1972. Et tous, donc, dès aout 1978. Jusqu’à décembre 1996, quand les plus jeunes autour de moi m’ont fait comprendre qu’ils avaient hâte de prendre ma place. C’est la vie ! Je ne regrette rien, évidemment. J’ai eu des relations privilégiées avec des tas de gens fascinants. Essentiellement des pilotes. J’ai été extrêmement proche avec beaucoup d’entre eux, pour ne pas dire intime. J’ai même pu goûter au pilotage, qui était mon rêve d’enfance, ce qui m’a permis de m’assurer que j’étais plus à mon aise devant le clavier d’une machine à écrire qu’au volant d’une voiture de compétition ! Je suis conscient d’avoir eu une vie privilégiée, comme peu ont la chance d’en connaître. Ma chance ne m’a pas quitté, maintenant que je suis d’un âge avancé, puisque j’ai toujours le bonheur d’écrire sur ce qui fut ma passion professionnelle. Merci, entre autres, à Classic Courses. »

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olivier

Toujours un plaisir de vous lire et de vous entendre, à l’occasion de ce magnifique et charmant entretien avec Manzon, Beltoise, Manzon et beaucoup d’autres sont des leçons de courage et d’esprits combatifs, sur la piste et en dehors. Le temps est passé, y avait il jadis ces « Mauvais gestes » ? Qui me désolent depuis, disons, ce magnifique pilote qu’a été Senna (Je n’oublie pas non plus son extraordinaire geste pour Comas qui est attaché à ceux lors de l’accident de Lauda ou l’effroyable désespoir de Purley) et d’autres depuis lors. Leurs extraordinaire talents se seraient passés de… Lire la suite »

CHRETIEN Pierre

En lisant ces noms: Manzon et J.P. Beltoise, je ne peux m’empécher de réagir, tant ils m’ont marqué. J’ai eu l’honneur et la chance de les cotoyer, Robert Manzon (à 95 ans) m’avait invité chez lui à Cassis, il m’a résumé sa carrière, depuis son achat de sa Cisitalia qu’il avait raporté d’Italie par la route, jusqu’à sa dernière saison chez A. Gordini en 1956. L’orsque je lui ai demandé quels pilote il craignait le plus, il m’a répondu: « Aucun! c’est la voiture qui fait la différence, chez Gordini, j’étais le plus rapide ». Quant à J.P.B., je l’ai rencontré plusieurs… Lire la suite »

olivier

Merci Johnny , c’est passionnant ces tristes et beaux souvenirs du renouveau
du sport automobile Français des années 60 avec J.P.B.
Écrit par : François Blaise | 30/01/2015

olivier

Ce rappel me ramène au GP de Pau 1964. J’étais étudiant à Toulouse et je m’étais offert une place de loge (50 F à l’époque !) qui donnait accès au paddock. C’est à cette occasion de j’avais vu pour la première fois et cotoyé (sans oser leur parler) Gérard Laureau et Jean Pierre. J’admirais l’originalité de leurs René Bonnet F2 et j’étais très déçu par leur manque de compétitivité. C’est aussi à cette occasion que j’avais fait la connaissance de Georges Fraichard qui m’avait proposé un stage d’été à Moteurs, ce qui m’avait permis d’aller à Reims. Pau 64, c’était… Lire la suite »

olivier

Merci Luc. Ce GP de Pau fut un de mes jours de gloire. En tout cas les essais: je m’étais qualifié en 1ere ligne avec une Lotus 18 de l’école Winfield!
Écrit par : Johnny Rives | 30/01/2015

olivier

très bel hommage un très grand pilote mais aussi par ricochet à un très grand entrepreneur tout aussi précieux que François GUILTER pour la filière du sport auto français j’ai nommé Jean-Luc LAGARDERE.
Écrit par : fouillen | 30/01/2015

olivier

Beau texte, tellement personnel.
Merci.
Écrit par : ferdinand | 30/01/2015

olivier

Johny, j’adore vos merveilleux articles que je lis sur FB…depuis l’Amerique. Cela me rappelle ces fabuleuses compétitions des années soixante, le courage, la passion et la camaraderie de tous ces grands champions disparus. MERCI, take Care. Phil Henny
Écrit par : Phil Henny | 30/01/2015

olivier

Tout ce que vous racontez Cher Johnny, nous le savons déjà au travers des livres sur JPB mille fois parcouru, mais continuez à nous raconter tout cela, moi je ne m’en lasse pas.
Johnny refais nous un livre sur JPB !!!
Écrit par : serge Meyer | 30/01/2015

olivier

Félicitations Johnny… Ta plume met vraiment en valeur les qualités de mon « parrain sportif », Jean-Pierre Beltoise RIP
Écrit par : Philippe STREIFF | 30/01/2015

olivier

Encore merci Johnny pour ces souvenirs si précis
J’ai ressorti récemment les photos de sa victoire à Reims en 65 qui faisaient partie des archives de L’automobile club de Champagne
Certaines seront exposées sur le stand de l’organisateur du salon champenois des véhicules de collection les 7 et 8 Mars prochains
Écrit par : olivier Barjon | 31/01/2015