Figure emblématique des années soixante, de la Sicile et de la Targa Florio, Nino Vaccarella s’est éteint il y a quelques jours à 88 ans. Classic Courses se devait de rendre hommage à l’un des meilleurs pilotes d’endurance de son temps, véritable icône sur son île.
Olivier FAVRE
Course emblématique née presque en même temps que l’automobile en 1906, la Targa Florio est morte trois fois. D’abord en 1974 lorsque, ayant perdu son statut d’épreuve qualificative pour le championnat du monde des marques, elle devint une simple course nationale, voire régionale. Puis une deuxième fois trois ans plus tard, quand elle disparut purement et simplement du calendrier, après qu’une Osella ait fauché des spectateurs, tuant deux d’entre eux (1). Avec la disparition de Nino Vaccarella il y a quelques jours, on peut dire que la classique sicilienne vient de mourir une troisième fois. Car aucun pilote n’a davantage personnifié la Targa que ce Sicilien qui courait dans son jardin.
Face aux Porsche
Aujourd’hui encore, à Cerda, Collesano ou Campofelice, des Siciliens dont la plupart n’étaient pas nés quand Vaccarella raccrocha son casque et ses gants entretiennent le souvenir de l’idole locale. Au long des 72 km du parcours de la Targa, ils rafraîchissent d’un coup de pinceau les inscriptions « Viva Nino » que l’on trouve ça et là, sur le mur d’une maison ou sur une borne kilométrique.
Car une passion, même ancienne, ne meurt jamais tout à fait. A l’approche du week-end fatidique du début du mois de mai, Nino Vaccarella, « Ninni » pour les intimes, était le sujet de conversation numéro un. Autour d’un caffe latte ou d’un pizzolo, on évaluait ses chances face à l’armada Porsche. Allait-il cette année pouvoir rabattre le caquet de ces envahisseurs teutons qui avaient pris l’agaçante habitude de monopoliser la victoire aux dépens des « macchine » venues de Milan, Modène ou Maranello (2) ? Bien souvent, les espoirs des tifosi étaient déçus. En effet, les voitures rouges débordantes de chevaux n’étaient pas forcément très à l’aise sur ce terrain accidenté, face aux Porsche légères et agiles. D’autant plus que celles-ci étaient confiées à des as qui, tout étrangers qu’ils soient, étaient eux aussi devenus des maîtres es-Targa : Herrmann, Bonnier, Elford, Siffert, …
Mais par trois fois Nino put vaincre et susciter la liesse populaire. En 1965 avec Bandini (Ferrari P2), en 1971 avec Hezemans (Alfa 33/3) et une dernière fois en 1975 avec Merzario (Alfa 33TT12), quand il sortit de sa retraite sous l’insistance de Carlo Chiti.
Nino Vaccarella, une idole proche
Il paraît que peu après l’une de ces trois victoires, lors d’une procession en l’honneur de la Madone à Collesano il fut reconnu par la foule qui, abandonnant la statue de la Vierge, s’empressa de le porter en triomphe. Légende ? Peut-être, mais comme disent les Italiens, « se non e vero, e ben trovato » (si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé). Et cela en dit long sur le lien qui existait entre Nino et ses compatriotes îliens. Car Nino Vaccarella n’était pas seulement sicilien comme eux. Il vivait avec eux, au milieu d’eux. Il n’était pas une vedette inaccessible que son talent de pilote aurait éloigné de son île. Et il n’intimidait pas non plus par un titre de noblesse comme son aîné et rival local, le baron Antonio Pucci di Benisichi. Qui avait de surcroît le mauvais goût de piloter surtout des Porsche ! (3)
En dépit de ses succès comparables sinon supérieurs à bien des professionnels du volant, Nino resta toujours un pilote du dimanche, au sens purement descriptif et non péjoratif. S’il était souvent absent de Palerme les week-ends, on l’y retrouvait en semaine dirigeant avec sa sœur l’Istituto Oriani. Cette école privée qu’ils avaient héritée de leurs parents lui valut les surnoms de « preside volante » (proviseur volant) ou « Professore » (car il y donnait aussi des cours). Des fonctions qu’il prenait très au sérieux. Au point de manquer les festivités au soir de sa victoire au Mans pour être à son poste le lundi matin à Palerme, à la grande surprise de sa sœur !
Une fierté pour les Siciliens
Le Mans, oui. Car on ne saurait réduire la réussite de Vaccarella à ses terres siciliennes. Il fut bien plus qu’un spécialiste de la Targa Florio. S’il tâta de la Formule 1 sans conviction ni succès (4 Grands Prix entre 1961 et 65), il connut une réussite éclatante dans les courses de sport-prototypes. Ainsi partage-t-il avec Olivier Gendebien et Gérard Larrousse une très rare distinction : celle d’avoir remporté au moins une fois chacune des quatre grandes courses qui formaient à l’époque le Challenge mondial de vitesse et d’endurance (4). Soit, en plus de la Targa Florio, les 1000 km du Nürburgring (en 1964), les 24 Heures du Mans (en 1964) et les 12 heures de Sebring (en 1970).
Cette réussite dans les grandes courses de renommée mondiale contribua certainement aussi à lui donner une place de choix dans le cœur de ses concitoyens. Nino Vaccarella, c’était l’orgueil de la Sicile. Les Siciliens nourrissent facilement un complexe d’infériorité face aux Italiens du Nord. D’autant plus que ceux-ci ne se privent pas de les mépriser en les réduisant à quelques clichés faciles (mafia, omerta, Etna…). Avec Nino, ils pouvaient relever la tête et se montrer fiers d’être dignement représentés par l’un des leurs. Aussi bien à l’étranger qu’au sein de la Scuderia Ferrari où leur héros tenait son rang aux côtés des vedettes de la F1, les Surtees, Bandini, Scarfiotti, Ickx, Amon, Andretti …
La tragédie du fils
Etonnamment, malgré ses trois victoires, Nino préférait se souvenir de l’une de ses premières Targa, celle de 1960. Remarqué par le Comte Volpi, patron de la Scuderia Serenissima, le jeune inconnu est alors apparié avec le légendaire Umberto Maglioli, déjà deux fois vainqueur de l’épreuve. Et les deux hommes dominent la course avec leur Maserati Birdcage, devant les Ferrari et Porsche d’usine. Jusqu’à ce qu’une pierre vienne percer le réservoir d’essence et mettre fin à leur prestation.
Mais cette déception n’était rien à côté du cruel coup du sort que les routes de la Targa lui réservèrent bien plus tard. En effet, en 1993 son fils Giovanni, qui marchait sur ses traces, eut un terrible accident lors des reconnaissances du rallye Targa Florio. Il en sortit paraplégique. Cette terrible épreuve personnelle contribua peut-être à renforcer encore l’amour des Siciliens pour Nino. Les gens ordinaires aiment les héros qui gagnent. Mais, sans forcément oser se l’avouer, ils apprécient aussi qu’ils souffrent dans leur cœur et dans leur chair et démontrent ainsi qu’ils sont comme eux.
Depuis jeudi dernier beaucoup de Siciliens souffrent à leur tour, avec l’impression d’avoir perdu quelqu’un de leur famille. Et moi je ne peux m’empêcher d’avoir un pincement au cœur. Maintenant, la Targa Florio, cette course extraordinaire pour moi aussi mythique que les 24 Heures du Mans, entre définitivement dans les livres d’histoire. Il preside ha volato. Ciao Nino ! (5)
NOTES :
(1) Le nom « Targa Florio » perdura mais pour un rallye qui n’avait plus rien à voir avec la vraie Targa.
(2) Fidèle aux voitures et écuries italiennes, Vaccarella n’a disputé la Targa qu’une seule fois au volant d’une Porsche. C’était en 1962 et elle était rouge, aux couleurs de la Scuderia Serenissima.
(3) En 1964 Antonio Pucci ravit à Nino l’honneur d’être le premier Sicilien à gagner la Targa.
(4) Lorsque le championnat du monde des marques fut réservé aux GT à partir de 1962, les organisateurs des quatre plus grandes courses d’endurance de l’époque créèrent le « Challenge mondial de vitesse et d’endurance » réservé au prototypes. Bientôt adoubé par la CSI, ce challenge survécut tant bien que mal jusqu’en 1974. Soit bien au-delà de la fin de « l’expérience GT », huit ans plus tôt.
(5) Le proviseur s’est envolé. Salut Nino !