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Il y a cinq ans, Jean-Pierre Beltoise… (1/7)

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Il y a déjà cinq ans, le 5 janvier 2015, bien davantage qu’un grand pilote nous quittait.
Jean-Pierre Beltoise était, depuis les années 60, l’incarnation du renouveau du sport automobile français . Un talent. Une volonté. Une personnalité.
Pour lui rendre hommage, nous avons décidé de republier le témoignage émouvant de Johnny Rives.

Classic Courses


Et puis, un jour, ce moment tant redouté finit par se produire, la mort d’un frère. C’est peu dire qu’une partie de soi s’en va. C’est en tout cas ce que j’éprouve avec la disparition de Jean-Pierre Beltoise.

J’ai eu cette chance, au cours de ma vie professionnelle, de côtoyer de façon intime des pilotes de course avec lesquels je partageais la même passion. C’est elle qui nous réunissait, faisant de nous comme des frères. Jean-Pierre Beltoise était l’un d’entre eux, l’ainé.

Il fut le premier dans l’ordre chronologique. Il fut surtout le plus décisif car tout est parti de lui. Avec Matra d’abord, bientôt rejoint par Elf, et à la tête de ces entreprises les deux grands capitaines que furent Jean-Luc Lagardère et François Guiter. Tous ont disparu aujourd’hui, laissant des vides béants dans l’histoire de la course automobile française. N’oublions jamais de rendre honneur à leur mémoire.

Johnny Rives

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Cet hommage à Jean-Pierre Beltoise en 7 épisodes, a été publié pour la première fois le 6 janvier 2015.

Mort d’un frère

Frères, Jean-Pierre Beltoise et moi l’étions depuis nos 15 ans sans même le savoir. L’éloignement nous en empêchait. La distance entre sa maison familiale, à Orly, et la mienne, dans le sud. Mais nos élans étaient les mêmes. Ils le furent dès cette année-là, 1952. Des élans puisés à travers un homme que nous ne connaissions ni lui, ni moi. Un pilote de course. Il s’appelait Jean Behra.

J’en avais vu une image fascinante aux actualités cinématographiques. Sa Gordini monoplace de couleur claire filant à grande vitesse dans une ligne droite du circuit de Reims. L’opérateur devait utiliser un gros téléobjectif. Cela lui avait permis, en la cadrant de façon serrée, de faire un magnifique panoramique de très loin. Probablement depuis les grandes tribunes jusqu’à la ligne droite connue alors sous le nom de « route de Soissons », au-delà d’un champ de blé. Les épis masquaient le bas du fuselage, et le suivi de la caméra produisait, grâce à eux, un effet de vitesse concret. L’habitacle, encore échancré à cette époque, permettait le voir le pilote dans sa position assise, les bras à demi fléchis accrochés au volant. Son casque blanc était orné d’une bande à damier noir et blanc qui l’encerclait.

Une admiration commune

Jean Behra avait soulevé de l’enthousiasme en gagnant à Reims, cette année-là. Les actualités en témoignaient. On était début juillet. Quelques semaines plus tard, les mêmes voitures qui avaient couru à Reims – rouges Ferrari, bleues Gordini, vertes HWM – se mesuraient de nouveau mais sur un tout autre circuit, à La Baule. Jean-Pierre s’y trouvait en vacances. Son frère Jean-Claude et lui  ne pouvaient manquer une telle aubaine : assister à un nouvel affrontement de Jean Behra et de ses équipiers de chez Gordini, Maurice Trintignant et Robert Manzon, contre les irrésistibles Ferrari emmenées par l’Italien Alberto Ascari. L’illustre et invincible Ascari. Invincible sauf à Reims où Behra avait gagné.

Jean-Pierre Beltoise
Jean Behra @ DR


La confrontation de La Baule fut sublime. Elle laissa des images ineffaçables dans la mémoire de Jean-Pierre. Qui n’eut plus qu’une idée en tête : faire comme Behra, suivre son exemple, s’en inspirer pour devenir pilote de course. J’étais dans le même état d’exaltation. A une nuance près. Ma rencontre avec Jean-Pierre Beltoise, dix ans plus tard, la mit en évidence : pour moi, il s’agissait d’un rêve. Pour lui c’était un objectif.

Une jeunesse marquante

Quand on s’est rencontrés nous étions encore jeunes, mais bien des événements nous avaient marqués. Le lycée pour commencer. Les études, aussi fastidieuses pour l’un que pour l’autre. En bon « Parigot », Jean-Pierre était allé à Condorcet. Puis, bien plus sérieux que les années de lycée, il y avait eu l’appel sous les drapeaux. C’était l’époque de la guerre d’Algérie, près de deux ans et demi de service militaire dans des conditions extrêmement difficiles. J’en étais revenu abasourdi, presque anéanti. Lui avait une carapace plus forte. En outre, peut-être avait-il subi des coups moins forts que moi ? Quand il retrouva la vie civile, son objectif n’avait pas changé. Il voulait toujours devenir le Jean Behra qu’il avait tant admiré à 15 ans. Et qui, hélas ! s’était entre-temps tué en course. Cela, pas plus que la guerre d’Algérie, n’avait rien changé à son projet : devenir pilote de cours. En commençant comme Behra. Par  la moto.

Jean-Pierre Beltoise Magny Cours 1962 Morini 175 @ Archives personnelles JP Beltoise


J’avais opté pour une autre voie : le journalisme. J’avais 19 ans quand mon nom apparut au bas de quelques articles de la page des sports du quotidien République à Toulon. L’algèbre, la géométrie et la trigonométrie que j’affrontais alors en mathélem étaient éclipsées par mon bonheur d’écrire des articles. Paul Frère, un journaliste belge que je ne connaissais pas encore m’avait montré la voie : il avait accédé aux circuits de vitesse par le biais de son métier. Je voulais en faire autant. Soldat, j’envoyais au cours de mes 28 mois d’armée mon dernier article de République à un rédacteur en chef de L’Equipe, Pierre About. Chance, il me répondit ! Nous échangeâmes plusieurs lettres au fil de mon séjour en Algérie. Au bout duquel il accepta de m’engager à L’Equipe.

Comme des frères

Quelques mois après mes débuts, Pierre About me dit : « Venez avec moi, je suis avec Georges Monneret. Il est accompagné de deux jeunes gens qui aimeraient vous rencontrer. » Georges Monneret était « LA » figure du sport motocycliste en France à cette époque. Pour deux raisons, son palmarès et son entregent. J’étais flatté qu’il veuille me présenter à deux de ses protégés. Ils s’appelaient Jean-Pierre Beltoise et Jean-Paul Behra. Ce dernier n’était autre que le fils du grand Behra, l’homme qui avait joué le précieux rôle de catalyseur dans nos passions communes.

J.Rives JP Beltoise F Cevert @ Fonds Johnny Rives


Voilà comment les circonstances ont fini par nous réunir, nous les frères que nous n’allions pas tarder à devenir. On était en 1962 et Jean-Pierre Beltoise avait déjà une petite célébrité : comptant deux titres de champion de France moto à son actif, il était à l’orée d’une carrière pleine de bruit et de fureur, de gloire et de tragédies.

(à suivre)

Retrouvez le témoignage dans son intégralité dans « Beltoise comme un frère » par Johnny Rives paru aux éditions du Palmier .

https://www.editions-palmier.com/beltoise-comme-un-frere-biographies,fr,4,lautodro037.cfm

A lire aussi : On a lu : Beltoise, comme un frère – Johnny Rives

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Johnny Rives

« Lorsque j’ai été appelé sous les drapeaux, à 21 ans, j’avais déjà une petite expérience journalistique. Un an et demi plus tôt j’avais commencé à signer mes premiers « papiers » dans le quotidien varois « République », à Toulon. J’ai envoyé le dernier d’entre eux (paru le 4 janvier 1958) à Pierre About, rédacteur en chef à L’Equipe. Il m’a fait la grâce de me répondre après quoi nous avons correspondu tout au long de mes 28 mois d’armée. Quand je revins d’Algérie, très marqué psychologiquement, il voulut me rencontrer et me fixa rendez-vous au G.P. deMonaco 1960. Là il me demanda de prendre quelques notes sur la course pendant qu’il parlait au micro de Radio Monte-Carlo. J’ignorais que c’était mon examen d’entrée. Mais ce fut le cas et je fus reçu ! Je suis resté à L’Equipe pendant près de 38 ans. J’ai patienté jusqu’en 1978 avant de devenir envoyé spécial sur TOUS les Grands prix – mon premier avait été le G.P. de France 1964 (me semble-t-il bien). J’ai commencé à en suivre beaucoup à partir de 1972. Et tous, donc, dès aout 1978. Jusqu’à décembre 1996, quand les plus jeunes autour de moi m’ont fait comprendre qu’ils avaient hâte de prendre ma place. C’est la vie ! Je ne regrette rien, évidemment. J’ai eu des relations privilégiées avec des tas de gens fascinants. Essentiellement des pilotes. J’ai été extrêmement proche avec beaucoup d’entre eux, pour ne pas dire intime. J’ai même pu goûter au pilotage, qui était mon rêve d’enfance, ce qui m’a permis de m’assurer que j’étais plus à mon aise devant le clavier d’une machine à écrire qu’au volant d’une voiture de compétition ! Je suis conscient d’avoir eu une vie privilégiée, comme peu ont la chance d’en connaître. Ma chance ne m’a pas quitté, maintenant que je suis d’un âge avancé, puisque j’ai toujours le bonheur d’écrire sur ce qui fut ma passion professionnelle. Merci, entre autres, à Classic Courses. »

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olivier

Malgré la tristesse des circonstances,on savoure cet article,car il nous ramene a notre adolescence… et a ses rêves! merci Johnny!…vivement la suite!
Écrit par : Bacle | 06/01/2015

CROULLEBOIS Michel

Ce matin je vais au cimetière de Saint Vrain. Jean Pierre aurait eu 80 ans aujourd’hui. Il nous manque………..

olivier

Jean-Pierre Beltoise représentait à lui seul le sport automobile français dit « moderne », depuis sa fameuse victoire à Reims en F3 en 1965, là-même où il avait failli se tuer l’année précédente. Il faut rappeler à tous ceux qui l’oublieraient – ou ne le savaient pas – que son bras gauche immobilisé était un handicap majeur dans le pilotage d’une voiture de course, surtout d’une F1. Il faisait office de rappel, c’est à peu près tout. C’est d’ailleurs sous la pluie, qui demande moins d’efforts sur la direction, que JPB réalisa certaines de ses plus belles performances, dont Monaco 72 évidemment.… Lire la suite »

olivier

Le -(à suivre)- au bas du billet de Johnny a cette fois un coté douloureux, nous avons hâte de lire la suite tout en connaissant l’inéluctable fin.
Écrit par : jean-paul orjebin | 06/01/2015

olivier

Au cinéma les morts dans les familles font toujours de beaux sujets. La mort de JPB, n’est hélas pas du cinéma, mais elle offre à la famille auto de se réunir, témoin ce superbe papier de celui auquel on pense en second après la disparition de Beltoise, Johnny Rives.
Son bouquin, « Beltoise le roman d’un champion », je l’ai sorti hier après-midi du grenier, à côté de mon ordi, ouvert à la première page. « Trente seconde. le cercle épais du volant’. Ca vaut tous les « Longtemps je me suis couché de bonne heure ».
Écrit par : Patrice Vatan | 06/01/2015

olivier

Oui la mort de JPB me touche mais hormis son épouse et ses deux fils, c’est à Johnny Rives qui l’a si bien connu et qui nous l’a si bien conté à travers ses nombreux articles et cet ouvrage intemporel dont parle Patrice et à son vieux complice Henri Pescarolo que vont mes pensées.
Écrit par : Marc Ostermann | 06/01/2015

olivier

A Auto-Hebdo, Etienne Moity, mon premier rédacteur en chef, disait de moi : « Bhat a deux idoles : Jean-Pierre Beltoise et Johnny Rives. » Pensez si j’ai lu avec émotion le billet ci-dessus ! Pensez si j’en attends la suite avec impatience, fût-ce avec des sanglots dans le gosier.
Écrit par : eric bhat | 06/01/2015

olivier

Aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours été conscient de l’importance capitale de Jean-Pierre Beltoise dans le sport automobile français et son renouveau à partir de 1965, juste avant ma naissance. C’est pourquoi ma seule conversation avec lui reste un grand moment, encore 10 ans après. Même si ce n’était qu’au téléphone et que cela ne portait que sur une seule course : les 24 h du Mans 1973, que je voulais relater dans Automobile Historique. Il n’aimait pas Le Mans, tout le monde le sait. Mais il était pilote français chez Matra et il ne pouvait pas se… Lire la suite »

olivier

J’attends aussi la suite Johnny et comme tu me le demandais sur FB,je confirme que je vais continuer à ne faire que des photos !
J’ai aussi apprécié ton analyse sur les images de Jean Behra à Reims ainsi que le petit clin d’oeil à « Comme des Frères ».
A trés vite.
Écrit par : Bernard Asset | 06/01/2015

olivier

Un clin d’oeil dû aux seules circonstances.
Écrit par : Johnny Rives | 06/01/2015

olivier

Lui à douze ans rêvait d’être Jean Behra.
Moi à douze ans je rêvais d’être Jean-Pierre Beltoise.
Un des deux a réussi.
Salut l’artiste.
Écrit par : Philippe Durand | 06/01/2015