1 juin 2014

Cœurs brisés (2) Louise et Peter

Ce furent de belles histoires d’amour. Rien de plus, rien de moins. Comme dans la vraie vie. Sauf qu’on n’était pas dans la vraie vie : ces couples charismatiques plongés dans la furia de la compétition automobile étaient emblématiques d’une appétence débridée de la vie, leur passion fut fulgurante et la course, impitoyable, les brisa à tout jamais. Trois époques différentes, trois cœurs brisés.

Pierre Ménard

Voir également :

Coeurs brisés 1 Elie et Bernd
Cœurs brisés 2 Louise et Peter
Cœurs brisés 3 Nina et Jochen

Si la vitesse est bien l’apanage des pilotes automobiles, Peter Collins détient certainement un record dans celui de la course à côté de la piste : il rencontre sa future femme le 4 février 1957… et l’épouse le 11 ! Des témoins ont beau leur affirmer qu’ils se sont en fait vus pour la première fois lors du Grand Prix de Monaco 1956, aucun des deux tourtereaux n’avoue s’en souvenir. Il faut dire que lors de ce Grand Prix, Peter était en bonne compagnie : il fut vu, et photographié, très empressé auprès d’une « belle de stands » D. Et ce n’était pas Louise King !  Afin que les choses soient bien claires, le jeune pilote anglais a fixé sur le pare-chocs arrière de sa Ford Zephyr une petite plaque portant la mention ‘I like girls’, comme nous l’a rappelé René Fiévet dans sa note sur Monaco 1956 ! De la même façon vingt ans plus tard, cet autre rapide que sera James Hunt arborera sur sa combinaison un écusson ‘Sex, breakfast of champions’ (faut-il traduire ?). En un mot comme en cent, Peter Collins est, avec son grand pote Mike Hawthorn, le dangereux responsable de ravages incommensurables dans les cœurs des demoiselles. Il aime les plaisirs de la vie, la course, la bonne chère, et… ce qu’on peut trouver dans les lits des bons hôtels. Selon son manager Ken Gregory – qui est également celui de Moss – Collins est un garçon assez impulsif en tout ce qu’il fait, et ce mariage au bout d’une semaine ne l’étonne guère : c’est du Peter Collins tout craché ! Ce qui va plus l’étonner par la suite, c’est qu’il dure. Et surtout que l’impénitent coureur de jupons s’astreigne à un régime draconien à ce niveau. Mais Louise King (1) n’est pas n’importe qui.CC 3 Louise & Peter.jpg

 Fille d’un fonctionnaire de l’ONU à New York, c’est une femme de caractère à qui on ne dicte pas sa conduite. Elle devint actrice contre l’avis de ses parents qui voulaient la voir occuper une activité professionnelle « normale » puis, lorsque le succès commença à arriver après une triomphale tournée théâtrale à travers les Etats-Unis, elle se paya le luxe de refuser le contrat d’exclusivité sur sept ans qu’Hollywood lui proposait. La belle voulait avant tout rester libre et savait comment les actrices étaient traitées dans les studios californiens. Elle continua donc sa carrière théâtrale qui la mena à Broadway, puis découvrit en parallèle la griserie des voitures sportives grâce à sa rencontre avec les gens du SCCA (Sports Car Club of America). Elle acheta aussitôt une Austin Healey qu’elle appris à manier et s’inscrivit avec dans quelques rallyes locaux. C’est donc tout naturellement qu’elle se mit à fréquenter l’univers des courses automobiles, et qu’elle rencontra Stirling Moss lors de la Semaine de Vitesse à Nassau en décembre 1956. Quelques semaines plus tard, celui-ci, se souvenant sans mal de la belle Louise, proposa à Peter Collins de faire un détour par la Floride avant de rallier Cuba pour la course de voitures de sport afin d’aller applaudir sur scène une actrice qui lui plairait fort, à n’en pas douter. Ils se rencontrèrent au bar du théâtre à l’issue de la représentation et la semaine suivante, ils se marièrent dans une petite église des environs de Miami !

Ce coup de foudre – car c’en est un beau ! – va véritablement transformer les deux jeunes gens. Leur amour fusionnel va rayonner sur le monde de la course et tous ses amis s’avouent ravis de voir enfin Peter Collins trouver un équilibre sentimental, surtout en si belle compagnie. En 1957, Peter Collins n’est pas loin d’atteindre son apogée professionnelle : vainqueur de la Targa Florio en 1955 avec Moss sur Mercedes, pilote Ferrari depuis l’année précédente où il gagna deux Grands Prix officiels, il est devenu, avec Moss et Hawthorn, le porte-drapeau d’une Angleterre fière de briller enfin sur les circuits internationaux. Sa belle gueule en fait le chouchou de la presse à sensation (la presse à scandale n’a pas encore été inventée Outre-Manche) et son attitude chevaleresque à Monza en 1956 lorsqu’il laissa son volant à Fangio l’a presque sacralisé comme un héros (2). Selon certains de ses proches, Peter Collins n’a pas encore l’approche rigoureuse de la compétition d’un Fangio, d’un Ascari ou d’un Moss qui mettent véritablement tout en œuvre pour être titrés en fin de saison. Courir est certainement ce qu’il sait faire de mieux (à tous points de vue !), mais il n’est pas prêt à sacrifier les délicieux à-côtés de la course pour atteindre son but. Le fait d’être marié désormais à celle qui semble parfaitement le tempérer et l’équilibrer pourrait lui permettre de réaliser cette quête prochainement. Au bras de son beau mari, Louise rayonne de bonheur d’autant qu’elle est maintenant admise totalement dans un monde qu’elle aime pour tout ce qu’il a de fou et de pourvoyeur d’adrénaline. Elle va pourtant découvrir l’âpreté de la course automobile lorsque celle-ci devient sans pitié pour ceux qui la pratiquent.

CC 4 Louise & Peter.png

L’accident fatal d’Eugenio Castellotti à Modène quelques semaines après leur mariage, puis la mort peu de temps après du fascinant Fon de Portago lors des Mille Miles 1957 lui font découvrir la face sombre de la compétition, face dont elle n’avait que peu entrevu l’implacable entité lors de ses gentilles activités dans le SCCA. Peter Collins le lui a expliqué : cela fait partie du jeu, tout pilote professionnel sait qu’il peut y laisser sa peau, ce qu’il l’autorise quelque part à croquer à pleine dents dans cette vie qui ne tient qu’à quelques kilomètres/ heures de trop ou à la relative solidité d’une pièce mécanique. Et les deux jeunes gens ne vont pas s’en priver ! les différents voyages à travers l’Europe et le monde sont prétextes à de courts séjours dans les meilleurs hôtels et à de grandes réjouissances lors de réception fastueuses. Peter fait partager à Louise ses passions annexes, notamment celle des bateaux : il possède un yacht, le Genie Maris, ancré dans le port de Dartmouth, remplacé en 1958 par un plus moderne, le Mipooka, qu’il convoie avec Louise depuis son chantier naval d’origine en Italie jusqu’au port de Monaco où le couple a décidé de s’établir. Entre temps, il y aura eu Modène et Maranello.

Enzo Ferrari a toujours eu pour Peter Collins un attachement particulier, dû au charisme et à la joie de vivre du pilote anglais. Sans parler de la parfaite intégration de celui-ci à la vie italienne grâce à l’apprentissage de la langue, chose que dédaignera faire Mike Hawthorn lorsqu’il rejoindra Peter à la Scuderia en 1957 (imité en cela quelques décennies plus tard par un autre Anglais, Nigel Mansell, qui négligera de se donner la peine de comprendre ce qui se disait dans sons dos). Brisé par la mort en 1956 de son fils chéri Dino, Ferrari reporte son amour sur Peter jusqu’à l’installer dans sa maison de Modène. Peter Collins se sent normalement flatté par cette marque d’affection et apprécie réellement la vie émilienne, sa gastronomie, ses habitants, son climat. L’arrivée de Louise va perturber quelque peu cette liaison par procuration, mais très vite Enzo et Laura Ferrari la prendront sous leur aile et décideront d’installer le couple dans leur maison particulière de Maranello en 1958. Cet insigne honneur va vite être vécu par les jeunes gens comme une sensation d’étouffement. C’est à ce moment qu’ils décideront de s’établir définitivement sur le Mipooka dans le port de Monaco. La parfaite entente avec Ferrari se brisera sur cet ultime départ.

CC 5 Louise & Peter.jpgMoyennement heureux sur le plan sportif en 1957, Peter Collins retrouve des couleurs en 1958 grâce à la Ferrari 250 TR qu’il fait gagner en Sport à Buenos Aires et à Sebring avec Phil Hill, et avec la nouvelle « Dino » 246 F1 qu’il a menée à la première place de l’International Trophy de Silverstone et à la troisième au Grand Prix de Monaco. Dans la principauté, les Collins font une nouvelle fois étalage de leur sens de l’hospitalité et de leur bonne humeur en organisant sur leur bateau une grande fête pour tous leurs amis qui veulent voir à quoi ressemble leur nouveau « home » (le yacht venait d’être amené d’Italie un mois plus tôt). A la fin du week-end, Louise s’avoue plus rincée par les incessantes allées et venues des copains que par le Grand Prix lui-même. Peter se satisfait, lui, de son podium, mais a déjà admis l’idée qu’il aidera cette année son « ami mate » Mike à devenir champion du monde. Mike est mieux placé que lui au championnat et sa victoire à Reims un mois plus tard lors du Grand Prix de l’A.C.F. va décupler ses chances de titre. Une semaine plus tard, Peter Collins se voit pourtant relancé dans la course grâce à son triomphe dans le Grand Prix de Grande Bretagne et, à une victoire partout, les deux amis abordent le Grand Prix d’Allemagne d’humeur belliqueuse.

En 1958, l’ennemie de la Scuderia est clairement l’équipe Vanwall de Tony Vandervell, menée par Stirling Moss et Tony Brooks, assistés du jeune Stuart Lewis-Evans. Malgré le fait que Mike soit devant lui au championnat, Peter désire gagner le Grand Prix, ne serait-ce que pour montrer à Ferrari qu’il a toute sa place dans l’écurie (3). Comme c’est devenu une habitude, Louise a rejoint le stand Ferrari pour dresser le tableau de course. Le début de l’épreuve donne lieu à une brillante démonstration de la part de Moss en tête sur sa Vanwall, malheureusement vite abrégée par une magnéto défectueuse. Brooks, Collins et Hawthorn font alors le trou en tête et vont se partager le leadership en roulant à l’extrême limite des possibilités de leurs machines respectives. « Nous étions à fond partout » ! rapportera plus tard le vainqueur Brooks. Malgré sa tenue de route supérieure, la Vanwall ne parvient pas à décrocher les Ferrari dans les multiples creux et bosses du Nürburgring. Au onzième tour, elles dévalent la descente de Pflantzgarten et sautent la petite bosse traîtresse précédant le double droit. Brooks s’engouffre à pleine vitesse dans le virage. Collins immédiatement derrière lui amorce sa courbe, mais l’arrière de la Ferrari se dérobe soudainement. Le contrebraquage n’y peut rien : la monoplace rouge sort en perdition sur la gauche de la piste et va percuter un arbre qui se trouve juste dans la trajectoire à ne pas suivre.

Comme souvent en pareil cas à ces époques où les moyens de communications sont ce qu’ils sont, à savoir médiocres, les nouvelles les plus contradictoires affluent vers les stands, dont celle que Peter n’a que quelques contusions. Romolo Tavoni, le directeur sportif de la Scuderia, vient pourtant chercher Louise en lui disant que l’accident est en fait assez grave et l’emmène en voiture à Bonn jusqu’à l’hôpital où son mari a été transporté en hélicoptère. Peter repose sur le dos et semble dormir. Mais la joyeuse vie s’en est en allée de son corps à peine meurtri. CC 6 Louise & Peter.jpg

L’éternelle question fut posée : que s’était-il passé ? La réponse ne vint évidemment jamais car personne ne pouvait fournir une explication à un fait de course où le principal intéressé n’était plus là pour en parler. La voiture avait bien entendu échappé à son pilote, mais était-ce pour autant une faute de conduite ? Peut-être, car les trois hommes en lutte étaient sur le fil du rasoir, mais peut-être aussi que les freins à tambours très critiqués de la Ferrari jouèrent en la défaveur de Peter. Cela ne changeait rien à l’affaire et Louise quitta l’Allemagne dans un état second : après Eugenio et Alfonso l’an passé, Luigi cette année, c’est son Peter qui s’en allait. Et bientôt, il y aurait Stuart, et un peu plus tard Mike, dans d’autres circonstances il est vrai. Le dure course avait une nouvelle fois réclamé son dû, mais Louise ne lui en tint pas réellement rigueur. Cela faisait partie du jeu, se remémorait-elle avec la voix de Peter résonnant dans sa tête. Elle reprit le chemin du théâtre dans la troupe de son ami Peter Ustinov, participa plus tard à quelques émissions de télévision puis se retira finalement dans cette Floride qu’elle connaissait bien, dans la ville de Saratosa où elle demeure toujours actuellement.

  

(1)   Née Louise Cordier, elle épousa en 1951 en acteur nommé John M. King. Cette union ne dura pas, mais bizarrement, Louise ne reprit pas son nom de jeune fille et garda celui de son mariage.

(2)   Alors qu’il pouvait espérer remporter le championnat du monde 1956, Peter céda volontairement sa voiture à son coéquipier Fangio dont la Ferrari avait rendu l’âme. L’Argentin gagna ainsi un quatrième titre mondial, et Peter expliqua son geste par sa jeunesse qui lui laissait encore le temps de bien profiter de la vie, chose plus difficile lorsqu’on est un champion officialisé prisonnier des contraintes liées à ce statut.

(3)   Ferrari n’avait pas apprécié le manque de combativité de Collins au Mans au volant d’une voiture qu’il avait décidé d’abandonner – trop hâtivement selon les critères du Commendatore – et fit payer l’addition à son pilote à Reims en ne l’inscrivant que dans la course de F2. Collins réussit in-extremis à participer à la course de F1 et certains proches virent là un règlement de comptes concernant le départ du couple de Maranello pour Monaco.

 

Légendes photos :

1- 1957, Peter et Louise entourés de Fon de Portago et de Wolfgang Von Trips © D.R.

2- Louise en 1955 au volant de son Austin Healey, devant le théâtre où elle joue la pièce « The seven Year Itch » © D.R.

3-  International Trophy Silverstone 1958, le vainqueur resplendissant © D.R.

4-  1957, Louise, Peter et la Ferrari 335 S avant les Mille Miles qui furent fatales à de Portago © D.R.

5-  La dernière victoire, lors de la dernière course : Grand Prix de Grande Bretagne 1958 © D.R.

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