LES 24 HEURES DU MANS : UN RICHE PASSE … ET UN BEL AVENIR
2023, année du centenaire. C’est en effet en mai 1923 que fut disputée, sur un circuit de 17,262 km, la toute première édition de cette épreuve qui s’appelait alors « Grand Prix d’Endurance des 24 Heures du Mans ». L’histoire a retenu que la plus grande distance fut parcourue par la Chenard et Walcker 3 litres de Lagache et Léonard : 2209,536 kilomètres, soit une moyenne de 92,064 km/h.
Vous le savez, Classic Courses a toujours été particulièrement attaché à cette grande classique de l’endurance, devenue légendaire. En témoignent nos nombreux articles sur telle édition, telle écurie, tel constructeur ou tel pilote. Cette fois, centenaire oblige, nous vous offrirons, au fil des prochaines semaines et jusqu’en juin, une nouvelle série « spéciale 24 Heures du Mans ». Et ce jusqu’à la course du centenaire proprement dite, laquelle s’annonce prometteuse avec le retour de plusieurs grands constructeurs, dont Ferrari, dans la nouvelle catégorie « Hypercars ».
Pour introduire cette série, quoi de mieux que de dialoguer avec Pierre Fillon, président de l’ACO (l’Automobile Club de l’Ouest) et à ce titre, principal responsable de l’organisation de l’épreuve. Notre rencontre s’est déroulée à Paris, sur le stand de l’ACO. Malgré un emploi du temps chargé, il nous a répondu en détail et avec une grande amabilité. Merci à lui et à son équipe.
Par Jacques Vassal (texte) et Christian Bedeï (photos)
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Classic Courses – Jacques Vassal : Pierre Fillon, depuis quand êtes-vous président de l’ACO ?
Pierre Fillon – Depuis 2012. Le mandat est d’une durée de 4 ans, renouvelable.
Classic Courses – Jacques Vassal : Combien l’ACO compte-t-il de membres de nos jours, et comment le président est-il élu ?
Pierre Fillon – C’est un peu compliqué ! L’ACO compte 27000 membres. Les membres élisent un Conseil d’Administration, dont les membres à leur tour élisent un Comité Directeur, lequel élit un président.
Classic Courses – Jacques Vassal : Quelle est la vocation de l’Automobile Club de l’Ouest ?
Pierre Fillon – Les membres des automobile-clubs en général veulent adhérer soit pour avoir de l’aide, des conseils, une assistance pour l’utilisation de leur auto, soit pour le sport automobile. L’ACO est là pour promouvoir la mobilité et en plus, être acteur de la mobilité durable. Dans ce contexte, la compétition joue évidemment un rôle très important.
Classic Courses – Jacques Vassal : Outre les 24 Heures du Mans auto, l’ACO accueille aussi les 24 Heures du Mans moto et celles des camions, le Grand Prix de France moto sur le circuit Bugatti, une école de pilotage, une piste de karting, un musée… Vous-même, ce n’est sans doute pas par hasard que vous êtes devenu président de l’ACO ! Pouvez-vous, pour Classic Courses, résumer votre parcours ?
Pierre Fillon – Je suis né au Mans. Mon grand-père, né en 1900, avait la passion du sport automobile chevillée au corps. Autant dire que j’ai été à bonne école ! La première édition des 24 Heures à laquelle j’ai assisté, c’était en 1966. Depuis lors, je n’en ai pas manqué une seule. Quand j’étais jeune, j’étais scout et l’ACO utilisait les scouts parmi les équipes de bénévoles durant toute la semaine des 24 Heures. Pendant la course, on avait droit à une entrée gratuite moyennant trois heures de service pour diverses tâches. Par exemple, j’ai été assistant dans la cabine du speaker officiel, je devais l’aider à identifier les couleurs des casques des pilotes, pour dire qui prenait le relais de qui.
Classic Courses – Jacques Vassal : Vous avez donc vécu de nombreuses fois dans les coulisses de cette course si captivante. Quelles ont été, pour vous, les éditions les plus mémorables ?
Pierre Fillon – Il y en a eu deux qui m’ont vraiment marqué : 1969, avec la lutte restée très incertaine jusqu’à la fin entre Jacky Ickx (Ford) et Hans Herrmann (Porsche). Et puis, dans les années récentes, celle de 2016, lorsque Toyota a manqué in extremis la victoire. A cause d’une panne, un tour avant l’arrivée ! Nous étions au-dessus des stands. En un instant, on a vu les visages de toute l’équipe Toyota changer du tout-sourire à la consternation, certains au bord des larmes. C’était fort émotionnellement.
Classic Courses – Jacques Vassal : Vous-même, avez-vous rêvé de devenir pilote de course ?
Pierre Fillon – J’aurais aimé être pilote de course… ou médecin. Finalement, j’ai fait mes études de médecine et j’ai exercé pendant trente ans au Mans. Du côté de la course, je me suis tout de même essayé, entre autres en suivant l’école de pilotage du circuit de La Châtre. Sur des monoplaces. Et puis comme spectateur très impliqué, j’allais à des Grands Prix de Formule 1, à Silverstone, à Spa… Avec Jean-Paul Driot, qui est devenu un ami, j’ai rencontré des personnalités du sport automobile, comme Don Panoz ou les gens de Cadillac… Finalement, je suis devenu président adjoint de l’ACO en 2010, j’ai cessé d’exercer la médecine et puis… vous connaissez la suite.
Classic Courses – Jacques Vassal : Les 24 Heures du Mans, activité-phare de l’ACO, exigent énormément de travail pour l’organisation et, on l’imagine, plus encore cette année ?
Pierre Fillon – Les 24 Heures du Mans sont, à la base, une grosse machine ! Il y a 500 salariés de l’ACO en temps ordinaire. Et jusqu’à 5000 personnes qui travaillent pour l’ACO la semaine de la course, dont 2000 bénévoles. Les tâches sont multiples : la logistique, le ravitaillement (nourriture entre autres), les questions de santé, d’hygiène et de sécurité pour tout le monde. Et puis il y a la gestion de course proprement dite, avec quelque 180 pilotes, les mécanos, les ingénieurs et autres personnels des stands, la presse, les sponsors et autres professionnels…
Classic Courses – Jacques Vassal : Et pour l’édition du centenaire ?
Pierre Fillon – Le centenaire est un évènement dans l’évènement. Pour 2023, nous recevons beaucoup de propositions d’animations. Il faut sélectionner et se déplacer dans des manifestations importantes pour représenter les 24 Heures du Mans, par exemple ici à Rétromobile, ou encore à Goodwood, à Chantilly et ainsi de suite. Le public s’annonce très nombreux pour l’édition 2023, nous avons un maximum de capacité d’accueil pour 300.000 personnes (contre 250.000 en moyenne ces dernières années). Presque toute la billetterie est déjà pré-vendue.
Classic Courses – Jacques Vassal : Quant à la course elle-même, des innovations là aussi !
Pierre Fillon – Bien sûr ! La principale concerne le règlement : on a créé un règlement commun avec les Américains, qui concerne la catégorie nouvelle des « Hypercars ». Dès cette année, elle va nous permettre de voir se disputer la victoire à la distance entre Porsche, Peugeot, Cadillac… et Ferrari, dont le retour à ce niveau est très attendu. Et on annonce, en plus, pour 2024, l’arrivée en Hypercars de BMW, Alpine et Lamborghini !
Classic Courses – Jacques Vassal : Tout cela semble évidemment très enthousiasmant mais, concernant l’avenir de la course à plus long terme, vous êtes très attentifs au potentiel de l’hydrogène…
Pierre Fillon – L’hydrogène pour nous se concrétise avec « Mission H 24 », une opération créée en 2017 par l’ACO. Déjà, quand nous avons introduit la motorisation hybride il y a plusieurs années, on a pu voir la consommation d’essence divisée par 2. Cette fois, il s’agit d’aller plus loin en proposant une voiture à zéro émission de CO2. Nous avons été les premiers à croire à l’hydrogène en compétition. Nous sommes en partenariat avec Green GT (qui a construit la voiture avec une équipe basée à Signes dans le Var), Dietsmann qui travaille sur la maintenance de gros sites industriels, dont des ports, Total Energies, Essilor, Richard Mille, Symbio, Plastic Omnium…La voiture (NDLR : qui peut embarquer 8,4 kg d’hydrogène et développe dans sa version 2022 une puissance de 747 ch) ne rejette que de l’eau et n’a un temps de remplissage du réservoir que de 20 minutes, soit beaucoup moins que l’électrique et surtout avec plus d’autonomie.
Classic Courses – Jacques Vassal : Il n’est pas possible, ou pas souhaitable d’un point de vue sportif, de changer de voiture pendant la course, comme en Formule E !?
Pierre Fillon – Non, effectivement. Ici, une station de remplissage mobile accompagne la voiture dans chaque épreuve à laquelle elle prend part et, avec une pression à 700 bars, on parvient à réduire le temps de ravitaillement. Une catégorie spéciale pour l’hydrogène sera créée au Mans à partir de 2025.
Classic Courses – Jacques Vassal : Les 24 Heures du Mans : une course qui a un riche passé et, à vous entendre, un bel avenir ?
Pierre Fillon – Je le crois en effet !
FIN