Compétences, capacité à franchir les frontières et sens de l’engagement : voilà ce qui a permis l’itinéraire hors normes d’Ange Pasquali. Un homme précis, exigeant et entreprenant. Rien de ce qu’il a fait n’est banal, son rôle de Directeur Sportif chez Toyota en endurance puis en F1 entre 1997 et 2005 a marqué, mais avant celà il y avait eu le rallye et depuis celà il y a sa structure Quadra Sports. Un parcours passionnant.
Olivier Rogar
Olivier Rogar – Classic – Courses : Ange Pasquali : Comment êtes-vous arrivé en sport automobile ?
Ange Pasquali : J’ai commencé ici en Corse, un rallye sur terre à Ponte-Leccia aux côtés de Jean-Jacques Ceccaldi. Avant mes dix-huit ans. J’avais une licence junior. J’étais coéquipier et c’était entre les épreuves écrites et orales du Bac ! Mes parents n’étaient pas au courant. Comme on avait fait un bon résultat, c’était dans le journal le lundi. Et mes parents l’ont découvert comme ça, pendant que je passais l’oral !
Olivier Rogar – Classic – Courses : Oui mais de là à devenir professionnel ….
Ange Pasquali : Ensuite j’ai eu un parcours atypique. Comme beaucoup de coéquipiers, mon objectif était de devenir professionnel. Mais j’ai accédé au professionnalisme avec Laurent Albertini à partir de 1990. Avant j’ai roulé avec Kiki Franceschi, originaire de la plaine orientale, un super vite, j’ai aussi fait quelques piges aux côté d’Yves Loubet.
Il y a eu aussi Jean-Jacques Ceccaldi, un pilote d’Evisa qui a été mon premier pilote. On avait fait quelque chose d’assez original. En effet il avait racheté en 1982 au préparateur Danielson, une Peugeot 505 groupe 2 préparée pour Claude Laurent, pour le compte du Groupement des Concessionnaires et Agents Peugeot (GCAP).
Et on a fait le Tour de Corse avec, ainsi que le rallye du Var. D’ailleurs on avait fait un petit exploit au Var parce qu’à l’époque il y avait 350 voitures au départ. Pas d’historique, vraiment 350 voitures ! Et dans la 1e spéciale on avait fait le 40e temps. Ce qui était extraordinaire pour nous.
J’ai fait aussi deux piges avec Laurent Poggi qui plus tard a été pilote officiel Citroën. Ensuite j’ai couru avec Laurent Albertini jusqu’en 1990, sur Alfa Romeo principalement.
Et fin 1990 j’ai eu une proposition de la part d’une équipe italienne, celle de Mauro Pregliasco qui était un Ex-pilote Lancia et patron du Team ASTRA en Italie. C’était bizarre car je n’avais que 26 ans et ils m’ont proposé d’être Directeur sportif chez eux. Je trouvais que c’était un peu tôt. Il fallait faire un choix.
Olivier Rogar – Classic – Courses : Ange Pasquali : Et comment avez-vous choisi ?
Ange Pasquali : Quand j’ai une décision importante à prendre je me pose trois questions : Est-ce que je le veux ? Est-ce que j’en ai besoin ? Et surtout : Est-ce que j’en suis capable ? Et donc j’avais des réponses plutôt positives à ces trois questions.
En France j’aurais quand même pu devenir professionnel. Mais je me suis lancé dans le vide et j’ai accepté. Et de là, tout est parti. Ils étaient basés en Italie, dans le Piemont dans la région de Cuneo. J’ai fait deux ans avec eux chez Astra. En France on faisait courir Pierre César Baroni en Championnat de France et en Championnat d’Europe. En Italie on avait le fils de Cesare Fiorio, Alex, qu’on faisait courir en Championnat du Monde. Ma période Astra fût une incroyable experience, sans compter quelques piges avec un certain Tommi Mäkinen.
Et là-dessus Mauro Pregliasco a racheté avec la personne qui gérait le Team, une entité très connue en Europe : RAS Sport. Ils étaient très typés circuit et faisaient courir des Porsche. Le préparateur de leurs moteurs était Henri Lotterer, le père d’André. Nous étions en septembre 1992 et Mauro voulait me nommer Directeur Sportif de cette entité. « Il y aura aussi un Directeur Technique. Vous montez, vous gérez. »
Et là même questionnement ! : Est-ce que je le veux ? Est-ce que j’en ai besoin ? Et surtout : Est-ce que j’en suis capable ? Il fallait partir en Belgique alors que j’étais bien chez Astra. Mais ils avaient recruté un Directeur Technique, une figure de Lancia Martini : Rino Buschiazzo, il avait toujours un bandana autour du cou. Et avec lui on est monté en commandos chez RAS Sport.
Et là on a pris un gros virage Rallye en commençant à travailler avec Ford. Belgique d’abord puis Ford Motor Sport à Boreham. On a vécu des années extraordinaires avec une expérience énorme.
On était engagés en Championnat du Monde, d’Europe, de Belgique avec entre autre Patrick Snjers, jusqu’en 1996 où Patrick Bernardini était pilote Ford et en 1996 on a gagné avec lui le dernier vrai Monte – Carlo, avec les parcours de concentration. On est aussi passé très près de la victoire au Tour de Corse, on a fini 2e derrière le pauvre Bugalski.
Olivier Rogar – Classic – Courses : C’est comme ça que vous passez dans le faisceau radar de Toyota ?
Ange Pasquali : On coopérait totalement avec Boreham à tel point qu’en 1995 j’étais aussi Directeur Sportif pour Ford Motor Sport en alternance. En gestion de course, c’était un coup Boreham, un coup, nous. C’était le même programme : Bruno Thiry, Miki Biason et François Delecour. On se rappelle tous du Tour de Corse 95 avec l’incroyable démonstration de Bruno Thiry leader jusqu’à 40 kms du but trahi par un vulgaire porte-moyeu!
Et fin 1995 j’ai été approché par Toyota Team Europe basé en Allemagne. Après le rallye de Catalogne j’avais un rendez-vous début novembre à Cologne pour rejoindre leur équipe Rallye. Mais 1995 c’est la fameuse année où l’Equipe Toyota a été déclassée à la suite du tristement célèbre Turbo-Gate. ( Brides d’admission non conformes).
Inutile de dire que le rendez-vous a été annulé. Toyota était exclu du championnat du monde. Un vrai tsunami ! Donc je suis resté en 1996 chez RAS Sport. Mais les conditions de leur engagement allaient évoluer après 1996 car Ford se retirait et confiait son programme à Malcolm Wilson. Qui engagerait en 1997 Carlos Sainz et Armin Schwantz. Mais Wilson avait sa structure et n’avait pas besoin de moi. Je le savais et donc je n’ai été présent qu’au Monte-Carlo.
Les choses se sont bien agencées parce que Toyota décidait de revenir en compétition fin 1996 et me recontactait pour 1997 avec comme projet principal… Les 24 Heures du Mans ! En avril 1997 je signais mon contrat avec Ove Anderson, le patron de TTE (Toyota Team Europe) ensuite j’ai rencontré le très quoté Directeur Technique, André de Cortanze.
Faut-il préciser que là-aussi je m’étais posé des questions. Les trois que vous connaissez maintenant. Je n’avais fait que du rallye. J’allais arriver dans un monde que je ne connaissais pas. Parce que à part les suivre à la télévision, je ne connaissais pas les 24 Heures du Mans. Moi j’avais l’habitude des pilotes, des co-pilotes… et d’un coup c’était un nouveau monde. Je me rappelle aussi en avoir parlé longuement avec Carlos Sainz avec lequel j’avais de bons rapports. « Le circuit… je ne connais pas ». Il m’a encouragé à y aller.
Alors je suis allé signer mon contrat. Avec Ove Anderson, comme on l’a évoqué. Quelqu’un que je croisais sur les rallyes. Mais ça a vraiment matché parce que c’est une des personnes les plus exceptionnelles que j’ai rencontrées. Humanité, empathie, passion, quelqu’un de « normal » avec lequel on a envie de se lancer dans un projet.
Ce qui m’intéressait aussi c’était la présence d’André de Cortanze. Quelqu’un de totalement impliqué. Hyper précis. Capable de tomber malade si la voiture perdait un dixième de seconde en piste. Quelqu’un capable de tout pousser à la limite.
Olivier Rogar – Classic – Courses : Comment s’enclenche le projet Le Mans ?
Ange Pasquali : Le Mans : Quelque chose d’incroyable. Pour moi, une révélation ! On ne peut pas comprendre le Mans si on n’y a pas participé. On a préparé ça comme les Jeux Olympiques.
1997 : observation. 1998-99 : en course, sachant qu’il y a un an de préparation pour une course. Pour moi ça a été un travail titanesque. La recherche du détail est quasiment obsessionnelle. En 1998 on était en tête à la 22e heure avec l’équipage Boutsen, Kelleners et Lees mais on a abandonné sur casse. En 1999on a fini 2e avec Ukyo Katayama, Keiichi Tsuchiya et Toshio Suzuki, après avoir été en position de victoire jusqu’à 38 minutes de la ligne d’arrivée stoppés par une crevaison et laissant la victoire à la BMW des vainqueurs.
Et fin 1999 le projet s’arrête parce qu’il y avait dans les tuyaux, la F1.
Olivier Rogar – Classic – Courses : Encore un autre monde !
Ange Pasquali : Ove me proposait le poste de directeur sportif. Et ce qui m’intéressait en F1 c’était ce démarrage à partir d’une feuille blanche. Tout était à construire. A ce moment-là on était 250 chez TTE (Toyota Team Europe) et quand je suis parti en 2005 on était presque 1000 (986 d’après les chiffres des Ressources Humaines). Une montagne à escalader. Très facile de se vautrer.
Je suis donc reparti en vivant la chose comme un sacerdoce et en travaillant 40% de plus que la normale. On ne peut y arriver que par le travail. Et ce qu’on prend pour un objectif devient vite un devoir. Pour moi la F1 n’a jamais été un rêve. Et quel que soit le challenge que je relève, je n’aime pas du tout cette notion de rêve. Je pars du principe que généralement on se réveille des rêves. Et souvent de façon brutale. Pour moi c’est donc un objectif. On s’implique. On souffre et tant que cette souffrance est à un certain niveau c’est qu’on est sur la bonne voie. Alors on essaye d’atteindre l’objectif du mieux que l’on peut.
Et à l’échéance de l’entrée en course, tout ce que l’on a fait avant est derrière nous. Ce qui est important c’est ce que l’on va faire. Ce qui est devant.
Et devant c’est 2002. Nos débuts. Avec Mika Salo et Alan Mc Nish. A l’époque seuls les six premiers marquaient des points. Et nous finissons 6e lors de deux Grands Prix de début de saison, en Australie et au Brésil. Ca a été une période incroyable. Puis en 2003 on a marqué 16 points avec Olivier Panis et Cristiano Da Matta.
Mais courant 2004, comme cela arrive dans ces grandes organisations, j’ai été victime, avec quelques autres, d’une sorte de putsch. Bon à ce niveau et dans cet environnement, ça fait partie du jeu. Me concernant c’est une cabale organisée. J’ai subi quelque chose d’injuste. Je suis allé au tribunal et j’ai gagné. Mais dans ces entités, il faut donner des justifications à certains états de fait au top management et évidemment elles passent par des personnages à des postes clé. Si vous débarquez trois ingénieurs qui restent au bureau d’étude ça passe inaperçu. Ce que les anglais appellent un « reshuffle »…
Olivier Rogar – Classic – Courses : Et ensuite, on a été étonnés de ne pas vous voir revenir en F1.
Ange Pasquali : J’ai eu des propositions tout de suite. Mais j’avais une période de « leaving gardening » pendant laquelle je ne pouvais rien faire. Et j’ai lancé ma propre société de conseil, Quadra Sports, ce qui m’était autorisé. Consultant pour certains teams, management et accompagnement de jeunes pilotes ; Pierre Ragues (Champion ELMS sur Alpine en 2013, champion du Monde FIA GT Rallye 2021 avec Alpine), Edoardo Mortara Champion de F3 Euroseries 2010 et double vainqueur de la prestigieuse MACAO F3) qui est passé chez Audi en DTM et Mercedes ensuite.
En 2000 j’avais créé la première académie des jeunes pilotes, chez Toyota (Toyota Drivers Academy) d’où sont sortis Kamui Kobayashi (Recordman du tour au Mans, actuel patron de Toyota Gazoo Racing), Nakajima, Franck Pereira, Ryan Briscoe (Champion de F3 Euroseries 2003).
Et en Corse je me suis occupé d’un pilote de rallye, Pierre Campana, qu’on a emmené jusqu’en WRC et en équipe de France.
Olivier Rogar – Classic – Courses : Puis votre parcours a pris un virage original.
Ange Pasquali : Ensuite j’ai une partie de mon parcours qui a été consacré à un projet un peu atypique. Il a coïncidé avec mes débuts chez Toyota en endurance. Sans être passionné, je regardais les matches importants de tennis à Rolland Garros. Et un truc m’avait frappé : grâce aux prévisions de Météo France, à Rolland Garros, ils étaient capables, avec un court préavis, de connaître les cours sur lesquels il allait pleuvoir et de les bâcher. Evidemment je me disais qu’avec ce système en circuit, pour organiser les pit-stops, les changements de pneus, ce serait un sacré avantage.
J’ai enquêté et contacté Météo France, comme ça, vraiment en arrivant par la petite porte et je suis tombé sur la bonne personne. Le 23 août 1997 j’ai eu un déjeuner au pont de l’Alma, au siège de Météo France, et j’ai donc présenté mon projet à Dominique Lapeyre de Chavardes. Une personne, comme je les aime, il y est d’ailleurs toujours, en tant que Président de Météorage, une filiale internationale, il m’a regardé et m’a dit « Je ne sais pas si j’ai raison, mais ce projet me plait. », il m’a tendu la main, c’était d’accord. « Shake hands ». On n’avait pas parlé d’argent ni de détails techniques. Quelques jours après, je lui dis « on va mettre ça par écrit ».
Il y a eu le projet Le Mans jusqu’à fin 99 et pour la suite il nous fallait un radar itinérant et donc est né le projet de lancer la construction d’un radar météo dont la conception et la fabrication ont été attribuées à Thomson-Thalès et ainsi aussi une longue collaboration avec Corrinne Rambaldelli (MF). J’ai baptisé ce outil M-Tech, comme Météo technologie et j’ai signé un contrat d’exclusivité pour Toyota. Avec la F1 comme nouveau grand projet de Toyota, cela devenait évident d’avoir ce radar météo sur tous les Grands Prix.
Ce qui m’a valu d’ailleurs une belle reconnaissance avec une médaille de Météo France plus tard en 2006 remise par Jean – Pierre Besson qui en était le PDG.
Ayant été débarqué de Toyota, en 2005 le nouveau staff a cru bon de dénoncer le contrat avec Météo France. J’avais conservé d’excellents contact avec le regretté Charlie Whiting qui était le Directeur de course, Directeur Technique et Délégué à la sécurité de la Formule 1. Il savait ce qu’on faisait, je lui donnais les infos météo durant les Grand Prix. On s’est tout de suite vus et il m’a dit « Ange, il faut faire quelque chose ». Et donc j’ai amené Météo France en F1. Ils y sont toujours et je suis toujours consultant pour Météo France en F1.
Olivier Rogar – Classic – Courses : Et vous gérez la météo en WEC ?
Ange Pasquali : Gérard Neveu que vous connaissez, était le CEO du World Endurance Championship (WEC) et toujours à la recherche de ce qui pouvait se faire de mieux pour le Championnat. J’ai donc amené Météo France au WEC.
Mais fin 2022, Météo France a fait savoir que le contrat avec le WEC ne serait pas renouvelé. Compte tenu de mon expérience dans ce domaine, Frédéric Lequien nouveau CEO de Le Mans Endurance Management – LMEM – et Cédric Vilatte m’ont demandé de leur proposer une solution alternative.
J’avais cinq ou six semaines pour revenir avec un projet. Il ne s’agissait pas de devenir concurrent de Météo France mais d’obtenir leur aval ce qui fût le cas. En fait je pouvais devenir une solution pour eux aussi. Mais pour moi les délais étaient très courts !
A nouveau, projet commando : le Japon à nouveau. Achat d’un radar Furuno en collaboration avec Furuno France avec des personnes très sensibles à ce projet, et très proactives. Discussions avec des ingénieurs Ex- Météo France, dont le prévisionniste phare qui avait participé aux neuf titres de Sébastien Loeb en WRC et fort d’une grosse expérience de la course automobile dans d’autres disciplines : Guy Bottlaender. Et il a accepté immédiatement de me suivre dans cette aventure, ainsi qu’Eric Plantade qui s’occupe de la partie IT sur les épreuves.
Pour ma part j’ai su boucler le montage de l’opération mais je ne suis pas un technicien, et donc il a fallu s’entourer notament de spécialistes dans le domaine IT (software) avec la société Maxisoft en Italie.
Le radar produit des images avec une précision de 75 m mais ensuite il faut les interpréter. J’ai donc des informaticiens qui permettent de lire et traduire les fichiers, contenant ces images, en données. Celles-ci sont interprétées par notre prévisionniste qui les transforme en prévisions « détaillées et ciblées » et ensuite il faut les diffuser via une interface web.
On a passé plusieurs mois à construire et développer notre propre système/support informatique. C’est très complexe. L’ACO, le WEC, la FIA, tous les organisateurs, les teams, tous se connectent à l’applicatif.
Depuis janvier 2023, Quadra Sports est donc le fournisseur officiel du Weather Service pour le WEC, y compris les 24 Heures du Mans. Nous nous rendrons fin octobre à Bahrein pour la finale du championnat 2024.