24 Heures du Mans 1923. Emile Coquille, Georges Durand et Charles Faroux imaginaient-ils la tournure que prendrait leur création et le formidable essor qu’allait connaître cette course d’endurance devenue légendaire ?
Un siècle plus tard, pour aborder l’édition du centenaire, l’A.C.O. se devait de proposer un évènement d’exception à la hauteur de cette célébration. Pour répondre aux légitimes attentes des nostalgiques passionnés des 24 Heures du Mans, les membres de l’A.C.O., Fabrice Bourrigaud, Directeur du Musée des 24 Heures du Mans et toute son équipe ont su mettre les petits plats dans les grands pour présenter une Exposition d’anthologie qui se tint du 1er Juin au 2 Juillet. Nombre de collectionneurs ont répondu présents pour garnir ce somptueux plateau.
Pierre Vassal
La galerie
En prologue à l’exposition automobile proprement dite, le visiteur est convié à emprunter la galerie des portraits des figures majeures qui ont façonné l’histoire de l’épreuve mancelle. Partie intégrante du musée, ce passage obligé prend tout son sens dans le contexte du centenaire. Sélection arbitraire pourrait-on invoquer ? Peut-être, mais le choix opéré reflète une réalité historique couvrant toutes les décennies où ces personnalités majeures se sont illustrées. De Charles Faroux à Sebastien Buemi, on croise les silhouettes de Luigi Chinetti, Enzo Ferrari, Ferry Porsche, Olivier Gendebien, Phil Hill, Jacky Ickx, Henri Pescarolo, Tom Kristensen. Le décor est planté, les bolides peuvent entrer en scène.
D’entrée de jeu, saluons les choix scénographiques opérés par les ordonnateurs de l’exposition. Judicieusement placées dans un déroulé chronologique par décennie, les voitures présentées disposent d’un espace périphérique suffisant pour une mise en valeur parfaite permettant une contemplation idéale.
Symbole presque iconique des 24 Heures du Mans, le panneau routier indiquant « Départ- Arrivée » a été précieusement conservé et figure dans l’exposition. En considérant les dommages causés par les bombardements et les pillages de l’occupant pendant la Seconde Guerre Mondiale, Gustave Singher (Président de l’A.C.O. de 1910 à 1947) fit ce constat : « Il ne restait plus, au seuil de 1946, sur le circuit de la Sarthe, que le poteau de départ qui est aussi celui de l’arrivée ».
Les voitures
Compte tenu de l’ampleur de l’exposition qui ne contient pas seulement des victorieuses mais d’autres voitures qui ont laissé une véritable empreinte, dans cet article, l’accent sera mis sur certaines d’entre elles en raison de leur caractère exceptionnel ou bien de leur originalité technique.
Pour commencer, parlons d’une absence très remarquée. En effet, la Bugatti 57 G numéro 2 pilotée par Jean-Pierre Wimille et Robert Benoist, victorieuse en 1937 fait partie de la collection du Musée de l’Automobile de Philadelphie, malheureusement les responsables de ce musée n’ont pas donné leur accord pour que le beau « tank » bleu revoie la terre de sa victoire.
Dans la salle dédiée aux années trente, au centre, un vaste podium offre la meilleure perspective pour l’Alfa-Roméo 8C 2900B Speciale pilotée en 1938 par Raymond Sommer et Clemente Biondetti.
Un arrière de carrosserie bien galbé et fort enveloppant masque les roues en se terminant par une harmonieuse poupe coiffée d’une arête centrale. Cette magnifique voiture préfigurait déjà les grandes berlinettes des années d’après-guerre. Considérée comme une des favorites, la « belle rouge » numéro 19 domina jusqu’à la 22ème heure creusant un écart de 14 tours sur la Delahaye 135S de Jean Trémoulet et Eugène Chaboud. A la 22ème heure, Sommer fut victime de l’éclatement du pneu avant droit dans les Hunaudières. Après le changement de roue, Biondetti reprit la piste mais dut renoncer à Arnage, un lambeau de caoutchouc ayant endommagé le beau 8 cylindres en ligne.
En 1950, l’homme d’affaires californien Briggs Cunningham décida de tenter sa chance dans la Sarthe. Stimulé par le projet des frères Sam et Miles Collier, qui osèrent engager un somptueux coupé de ville Cadiillac, Briggs Cunningham eut l’idée de cet étonnant spider fortement anguleux vite surnommé « Le Monstre ». Cunningham l’équipa d’un moteur Cadillac V8 de 5439cc. Il fit appel à l’industrie aéronautique pour concevoir cette iconoclaste carrosserie dont la ressemblance avec une portion d’aile d’avion saute immédiatement aux yeux.
Pour son retour en 1952, sous l’inflexible autorité de son directeur de course Alfred Neubauer, Mercedes-Benz remporta une victoire inespérée. Trois de ses nouveaux coupés 300SL avaient été engagés. Distancées par la Talbot-Lago numéro 8 de Pierre Levegh, les 300SL obtinrent finalement un doublé inattendue à cause de l’abandon du courageux pilote français une heure avant l’arrivée, celui-ci réalisant l’exploit de demeurer au volant depuis le départ la veille à 16 heures !…. Dans l’histoire des 24 Heures, Hermann Lang et Fritz Riess signèrent la première victoire d’une voiture fermée.
Malgré leur retour au Mans en 1985, Jaguar devra attendre pendant 31 ans pour renouer avec la victoire grâce aux splendides Silk Cut XJR 9 en 1988. Pilotée par Ron Flockart et Ivor Bueb, la Jaguar D numéro 3 de l’Ecurie Ecosse apporta l’ultime victoire en 1957 de la riche décennie cinquante. Cette voiture a été prêtée par le Musée Louwman de La Haye.
Maserati, la prestigieuse firme de Modène a rarement brillé aux 24 Heures, tout au moins pour ses résultats puisque sur ses 27 engagements, entre 1954 et 1965, elle n’obtint que 4 classements dont une 4ème place. Cependant Maserati engagea souvent des voitures de conception fort originale telle la Tipo 61. Dans le but d’aboutir au meilleur compromis possible entre légèreté, rigidité et aérodynamique, l’ingénieur Giulio Alfieri imagina un châssis multi-tubulaire caractérisé par un entrecroisement de 200 tubes de fine section aboutissant à une sorte de cage qui ne pesait que 35 kilos. La voiture fut vite baptisée « Birdcage » (cage à oiseaux). La disposition inclinée à 45° à droite d’un moteur 4 cylindres en ligne de 2890cc permit d’abaisser notablement le centre de gravité. Ainsi favorisée, la tenue de route fut encore améliorée par la position du moteur placé très en retrait de l’essieu avant. Par ailleurs, un pare-brise fortement incliné et plongeant vers l’avant fut adopté laissant apparaître les éléments tubulaires du châssis. Cette voiture fut engagée en 1960 par l’écurie Camoradi (Casner Motor Racing Division) de Lloyd « Lucky » Casner et confiée aux américains Masten Gregory et Chuck Daigh. Masten Gregory prit la tête de la course pendant une heure et établit le record du tour en 4’04’’ à la moyenne de 198,605 km/heure.
Vers le terme du premier cinquantenaire des 24 Heures, le duel Ford-Ferrari atteignit son apogée en 1966 et 1967. Les actrices de cet affrontement titanesque révèlent toute leur beauté et leur puissance cachée. La Ford MK II numéro 2 de Bruce McLaren et Chris Amon nous fait revivre l’arrivée du trio Ford où les néo-zélandais héritèrent de la victoire pour quelques mètres. En 1967, pour piloter les sept MK IV et MK II engagées par Ford, les responsables firent appel au gratin des pilotes américains spécialistes d’Indianapolis : Anthony Joseph Foyt, Lloyd Ruby, Mark Donohue, Roger McLuskey, Mario Andretti. Pour Dan Gurney et Anthony Joseph Foyt, ce sera l’apothéose en dominant, au volant de leur Ford MK IV rouge numéro 1, cette course d’anthologie.
Lors de la légendaire édition de 1967, l’équipage belge se classa troisième derrière sa sœur la numéro 21 pilotée par Mike Parkes et Lodovico Scarfiotti. Ceux-ci rendirent les armes à l’issue d’un combat loyal et s’inclinèrent en se classant deuxièmes à deux tours de la Ford MK IV numéro 1.
Au détour d’une salle, une photo légendaire illustre l’attitude rebelle affichée par Jacky Ickx lors du départ de 1969. Pour montrer son opposition au départ en épi précédé de la classique course à pied qui contraignait les pilotes à effectuer leur premier relai sans être harnachés, le jeune pilote belge traversa la piste en marchant pour rejoindre sa Ford GT 40 , boucler son harnais de sécurité et prendre son départ. Ce geste de protestation tranquille fut d’autant plus salué que 24 heures plus tard, il remportait une victoire historique en dominant de 120 mètres la Porsche 908 de Hans Hermann. Le mode de départ en épis fut abandonné dès 1971.
Eliminée par l’évolution du règlement à la fin de la saison 1971, la Porsche 917 avait néanmoins marqué son époque au point d’être désignée dans Motor Sport par un jury international de 50 spécialistes « the greatest racing car in the history » (la plus grande voiture de course de l’histoire). Pour crédibiliser pleinement cette rare distinction, les Porsche 917 se taillent la part du lion dans l’Exposition du Centenaire. Tout d’abord, celles que l’on attendait le moins, les 917 K (kurtz) victorieuses en 1970 (Richard Attwood–Hans Hermann) et en 1971 (Helmut Marko-Gijs van Lennep).
Les constructeurs japonais ont longtemps rêvé de décrocher une victoire aux 24 Heures du Mans. En 1991, lorsque celle-ci se concrétisa, enfin, les lauriers allèrent à la splendide Mazda 787B numéro 55 équipé d’un moteur à pistons rotatifs et pilotée par Bertrand Gachot, Volkert Weidler et Jonnhy Herbert. Assurant l’ultime relais, ce dernier se trouva dans l’incapacité de se hisser sur le podium. Déshydraté à cause de la chaleur, le pilote anglais fut conduit à l’infirmerie dès l’arrivée et ne put savourer sa victoire. Le succès de la Mazda demeure très vivace dans la mémoire des passionnés, en partie, grâce à la musicalité de son moteur tri-rotor qui sonnait comme le V12 des merveilleuses Matra vingt ans auparavant.
Confiée durablement au Musée par le constructeur, la voiture exposée n’est pas l’exemplaire victorieux mais en possède toutes les apparences.