Encore un livre sur Jim Clark ? Oui. Mais celui-ci a le mérite d’avoir su éviter l’écueil de la redite. Son auteur, Dominique Vincent, a opté pour un angle de vue original : le tropisme exercé par notre pays sur le champion le plus charismatique des années soixante. Au travers d’anecdotes relayées par les proches du regretté pilote, on apprend à connaître un peu mieux celui qui faisait tout en public pour en montrer le moins possible.
Pierre Ménard
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C’est un beau bouquin. De ceux qu’on peut ranger avec soin dans ses étagères une fois la lecture achevée. Pour mieux y revenir de temps à autre histoire de se régaler à nouveau des belles photos proposées, ou bien consulter telle ou telle fiche technique d’une course clairement retranscrite dans une mise en page gaie et complète. Dominique Vincent a, à l’évidence, voulu que son « Jim Clark en France » soit considéré comme l’un des éléments indispensables de toute bibliothèque automobile qui se respecte.
Évacuons d’emblée la question du prix, que certains trouvèrent un peu excessif sur le stand de Rétromobile où était vendu l’objet. C’est vrai qu’avec 59 euros à débourser, surtout actuellement, beaucoup vont feuilleter plusieurs fois l’ouvrage tout en tripotant fébrilement leur porte-monnaie au fond de la poche. D’une part, il faut savoir que depuis deux ans et les petits problèmes annexes qui pèsent un peu plus chaque jour sur notre joli monde, le prix du papier a grimpé à la vitesse d’un missile balistique intercontinental au décollage, et d’autre part, que le livre les vaut.
Jazz et crustacés
Dominique Vincent ne s’est pas contenté de relater une histoire que beaucoup connaissent par cœur. Il l’a replacée dans le contexte, celui de cette France pompidolienne que le champion écossais aimait à visiter, puis à habiter. On le sait, Jim était aussi timide en dehors de la piste qu’il était décidé à son volant. Mais, si on savait le prendre en main, il acceptait de se laisser guider pour découvrir d’autres plaisirs que ceux procurés par les vibrations des V8. Ce que firent Gérard Crombac et Michel Finquel.
Le deuxième est moins connu que le premier, fondateur de Sport-Auto et entremetteur efficace dans nombre de projets automobiles. Ayant tâté, sans grand succès, des sports mécaniques, Michel Finquel fut le cofondateur avec Jean-Louis Marnat du magasin parisien Rallye Auto Sport spécialisé dans la préparation automobile et la vente de pièces et d’accessoires. C’est ainsi qu’un beau jour, le célèbre journaliste Jabby Crombac, escorté par rien moins que le champion du monde de Formule 1 Jim Clark qui avait besoin en urgence d’une paire de lunettes de pilotage, débarquèrent dans la boutique. Une amitié va naître.
Finquel découvre vite que sous sa carapace de protection, le « fermier des Borders » aime se laisser aller. Il ne crache pas sur un bon resto (où il y a des crustacés et, bien sûr, du vin de qualité) et apprécie la fréquentation des grandes brasseries de Saint-Germain-des-Prés. Les deux hommes écumeront ainsi les nuits parisiennes, iront écouter du jazz dans les caves du 6e et applaudir Erroll Garner à l’Olympia. Car Jimmy, tout comme Stirling Moss, adorait cette musique.
Précision et beaux clichés
L’une des qualités de ce livre est sa riche iconographie. Grâce à une impression impeccable, les nombreux clichés retranscrivent parfaitement la trajectoire de Clark dans l’Hexagone, dans et hors de ses voitures. Beaucoup de photos rares, notamment à Pau ou lors des grands prix hors-championnat comme Reims, Albi ou Rouen. Même les grands prix officiels sont illustrés par des instantanés capturés dans des angles de vue relativement inhabituels.
L’autre vertu de l’ouvrage est sa précision dans les datas de courses. Même si l’auteur, on l’a dit, a voulu se démarquer du strict récit « boulons-rondelles », il n’en a pour autant pas négligé les données objectives des compétitions : plan du circuit, résultats, faits marquants de l’événement, tour par tour (quand disponible), programme, affiche, l’amateur de chiffres y trouvera également son compte. De même qu’un texte assez complet illustre chaque année et retrace en détail les différentes rencontres auxquelles Clark a participé en France.
Papotage et record du tour
On appréciera enfin les témoignages rares de tous ceux qui ont côtoyé, de plus ou moins près, le pilote Lotus. À Michel Finquel et Jabby Crombac déjà nommés, viennent s’ajouter Jean-Pierre Beltoise, Jean-Claude Arnold, Luc Augier, François Mazet, Jean Bernardet, Sally Stokes, Kate Eccles, Bob Dance et tant d’autres, notamment par leurs lettres collectées après la mort de Jim.
Jim Clark éprouvait une vraie attirance pour notre pays. C’était là qu’il avait choisi d’habiter à compter de 1967 pour fuir le fisc britannique qui ponctionnait les hauts revenus à plus de 90 % (Jackie Stewart ou Jochen Rindt s’exileraient pour la même raison un an plus tard, mais en Suisse). Il vécut un moment chez Jabby Crombac, le temps que celui-ci lui trouve un appartement à louer (celui des Bermudes n’étant là que pour l’adresse officielle). La France, et particulièrement Paris, lui semblait le plus central, et sa vie ludique lui plaisait au plus haut point.
Le livre aborde enfin le talent de Clark derrière un volant, comment pourrait-on l’oublier ! L’anecdote la plus éloquente est racontée par Crombac, qui se souvenait de ce fameux jour de l’été 1967 où il fit découvrir le circuit du Mas du Clos à Jimmy. L’Écossais tomba immédiatement amoureux de l’endroit verdoyant et des superbes voitures de Pierre Bardinon : la Bugatti Type 51 le ravit particulièrement et l’essai de la Ferrari P4 l’enchanta carrément. Il emmena son ami journaliste dans le proto iconique tout au long des quelque 3,2 km du circuit creusois, les deux hommes papotant comme si de rien n’était. Tout en souplesse – et sans le savoir – Jim Clark venait d’exploser le record du tour de la piste. Record qui ne serait jamais battu !
« Jim Clark en France » – Dominique Vincent
288 pages, 600 photos (couleurs & N&B) & documents environ – 59,00 €
Coco.B éditions – www.coco-b-editions.com
Bonjour !
Cet article est bien écrit et intéressant et, comme éditeur et auteur de livres, je souhaite les meilleures ventes à Dominique Vincent.
Pour ce qui concerne le prix, si, effectivement, les prix du papier ont augmenté, il faut aussi rappeler que le coût final d’un livre intègre : le volume d’impression, la mise en page, les droits d’auteur, les impôts divers et bien sûr les marges (de l’éditeur au vendeur).
Bien sportivement ! Philippe Vogel
Classic Courses ouvre sur cette photo de Jim Clark devant une R8 G. Cela nous permet de mesurer l’abime qui sépare l’allure des pilotes des 60’s à celle de certains pilotes contemporains.
Oui, et en même temps je trouve que jusqu’à la fin des années 60, les pilotes étaitent un peu ringards avec leurs coiffures gominées et leurs costumes-cravates cintrés alors que la mode du Swinging London faisait rage. Ce que comprit vite Nina Rindt qui jeta aux orties les fringues ternes de son mari pour l’habiller de chemises et pantalons flashy venant direct de Carnaby St. Même si son look n’est pas ma tasse de thé, je trouve qu’un pilote comme Hamilton aujourd’hui est extraordinairement dans son temps, et bien plus intéressant que la majorité de ses confrères qui se contentent… Lire la suite »
Cette photo de Jim Clark devant une R8 G (!), je crois me souvenir l’avoir vu il y a très très, très longtemps sur une revue automobile (Sport-Auto ?). et c’était la « réclame » d’une marque de vêtements. Donc vraiment ringards , à l’époque de cette photo , je ne le pense pas , d’autant plus qu’ici Jim ( ma première idole ) joue le mannequin , et que j’ai beaucoup plus souvent vu des photos il était vêtu de façon bien plus cool , si non même folklorique.
Le petit palois que je suis resté a surtout été très sensible aux quatre victoires de rang remportées par Clark sur le fameux circuit dans la cité ! Elles sont si bien évoquées dans ce livre.
Jim Clark dans l’Hexagone, c’était la formidable série des Grands Prix de France, à l’initiative de Toto Roche et Gérard Crombac, qui permettait au public, dont le journaliste débutant que j’étais, de le voir courir à quelques semaines d’intervalle à Pau, Reims, Clermont, Rouen, le Mans Bugatti, Albi et même à Montlhéry dès 1964. De permettre aux « anciens », Rosinski, Schesser, Ligier, de se mesurer à lui, aux nouveaux, Offenstadt, Beltoise et tous ceux qui ont suivi, de révéler leur talent et à Matra de devenir le châssis de référence aux mains de Stewart, Ickx, Graham Hill et, à l’occasion, de… Lire la suite »
C’est vrai que cet article donne envie de vous lire plus souvent.
Sur Clark et la France : son appartement parisien était-il rue de Sèvres, face à Necker et au-dessus d’un G20 ?… Où l’ai-je lu, pour y penser chaque fois que je passe dans cette rue ?
Je vous réponds ce qu’écrit Dominique Vincent à ce sujet : après avoir loué un appartement au 93 Bd Berthier dans le 17e, Jim Clark loua effectivement à partir de 1967 un appartement rue de Sèvres, au 110, dans le 15E.
Merci Pierre. C’est bien ça.
Toujours étrange d’imaginer le grand Jim Clark pénétrant dans cet immeuble sans style, manifestement bâti après-guerre. On imagine des appartements sans fioritures, pourvus des équipements réduits mais fonctionnels de rigueur, du genre de ceux que montre Godard dans Une femme mariée.
Peut-être avait-il laissé dans un parking voisin, ou le long du trottoir de la rue de Sèvres, sa Lotus Elan, celle-là même dont allait hériter Crombac ?
La « France pompidolienne » commence avec la présidence de G.P., non ?
Auparavant c’était la France gaullienne et malheureusement Jim Clark n’a pu connaître l’époque Pompidou qui commence en 1969.