10 février 2022

Rikky von Opel, F1, jet-set et Liechtenstein (1/3)

Une trilogie sur le Liechtenstein dans Classic Courses ? « Etonnant, non ? », comme disait le regretté Pierre Desproges. Pourtant, cette discrète principauté alpine n’est pas restée en marge de l’histoire de la course. C’est donc par ce biais géographique que nous allons évoquer trois personnages. Chacun d’eux étant étroitement lié à un grand constructeur allemand. Commençons par Opel.

Olivier FAVRE

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En Europe, et en France surtout, quand on pense à une principauté, c’est Monaco qui vient immédiatement à l’esprit. Glamour, idylles princières, mésalliances et autres turbulences sentimentales, le confetti monégasque fait les choux gras de la presse people depuis plus d’un demi-siècle. Et, pour le sujet à quatre roues qui nous intéresse ici, Monaco a acquis depuis un siècle une légitimité incontestable.

Une autre principauté

Maintenant, si je vous parle du Liechtenstein ? Bien que 80 fois plus étendue que Monaco (160 km², soit un peu plus du quart du lac Léman), cette autre principauté d’opérette vous est sans doute beaucoup moins familière. Logique. Il n’y a pas les yachts des rois du pétrole, on y parle allemand et sa famille princière est beaucoup plus discrète que les Grimaldi.  De surcroît, on n’y trouve aucun circuit de course, aucune épreuve renommée.

Principauté alpine
Le Liechtenstein, petit paradis alpin – © DR

« Coincée » entre la Suisse et l’Autriche le long du Rhin, cette petite monarchie partage quelques caractéristiques avec son voisin helvétique : le franc suisse, une union douanière et des outils de démocratie directe tel le référendum. Contrée rurale et pauvre à l’origine, le Liechtenstein a bâti sa prospérité au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale sur un puissant secteur financier et des conditions fiscales avantageuses (euphémisme) pour les entreprises. Ou du moins les « sociétés boîtes aux lettres », deux fois plus nombreuses que ses habitants. Néanmoins, sous la pression des organisations internationales qui lui faisaient les gros yeux, ce micro-état a fait des efforts de transparence ces dernières années. Aujourd’hui il n’est plus officiellement considéré comme un paradis fiscal. Pour autant, ne vous inquiétez pas pour les quelque 38 000 Liechtensteinois. Ils bénéficient toujours de l’un des niveaux de vie les plus élevés de la planète (1).

Rikky von Opel, l’héritier

En sport, le pays s’est distingué surtout en ski alpin. Notamment au tournant des années 80 avec Hanni et Andreas Wenzel, multi médaillés olympiques et tous deux vainqueurs au général de la coupe du monde en 1980. Ou, plus récemment, Marco Büchel et Tina Weirather (qui n’est autre que la fille d’Hanni Wenzel). Au total, le Liechtenstein compte dix médailles olympiques, toutes en ski alpin. Ce qui en fait tout simplement le pays le plus médaillé par habitant. En course auto, le Liechtenstein fut plus discret, mais pas inexistant, loin de là, comme nous le verrons. Il figure même dans les annales de la Formule 1 grâce à Frederick, dit Rikky, von Opel, qui disputa une dizaine de Grands Prix sous ses couleurs en 1973-74. Evidemment, la dynastie Opel était allemande et ce lien avec le Liechtenstein n’était donc sans doute qu’opportuniste et de nature fiscale.

Hanni et Andreas Wenzel
Andreas et Hanni Wenzel, avec leurs globes de cristal en 1980 – © DR

Né à New-York en 1947 d’une mère colombienne, le jeune Frederick est le fils de Fritz von Opel, alias « Rocket Fritz ». Un surnom gagné à l’occasion de ses tentatives de record au volant de la fameuse voiture-fusée Opel RAK2, sur l’AVUS en 1928. Et un goût de la vitesse dont son fils semble avoir hérité. En effet, adolescent, alors qu’il partageait son temps entre les bonnes écoles londoniennes et le luxe feutré des Alpes suisses, Rikky entraînait ses copains dans des descentes nocturnes et clandestines sur la piste olympique de bobsleigh de Saint-Moritz. Du bob à la course auto, le pas est vite franchi quand le compte bancaire est bien garni. Néanmoins, afin de s’affranchir de la pression de son nom et de la probable désapprobation familiale, il fit ses premiers pas en 1970 sous un pseudonyme à consonance hispanique, « Antonio Bronco ».

Champion d’Angleterre F3

Puis, ayant démontré qu’il tenait son rang dans le peloton de la Formule Ford, Rikky reprit son nom de baptême. Et il eut la bonne idée de s’associer à Mo Nunn, l’ex-pilote Lotus qui s’était reconverti comme constructeur des Ensign. Le binôme fonctionna très bien. Rikky s’adjugea même un championnat d’Angleterre F3 en 1972, devant Tony Brise et Roger Williamson, entre autres (2). Puis, l’argent n’étant pas un problème, nos deux compères se mirent en tête d’accéder directement à la catégorie reine.

Rikky von Opel, champion d'Angleterre F3
Avec l’Ensign F3 en 1972 – © DR

Classic Courses a évoqué il y a trois ans les débuts en F1 du jeune héritier de la dynastie Opel lors du GP de France 1973 : https://www.classiccourses.fr/magazine/circuit-paul-ricard-grand-prix-de-france-1973/). Sans être ridicules, ses performances au cours de la seconde demi-saison 73 furent évidemment assez ternes. Tout comme Rikky, Mo Nunn et l’équipe Ensign débutaient à ce niveau et avaient donc tout à apprendre. Initialement, l’association Nunn-Opel devait être reconduite pour 1974. Mais en Argentine tout comme à Brands Hatch (Course des Champions), Rikky renonça à prendre le départ en queue de grille. Pour lui, sa voiture était inconduisible. Dès lors, la rupture entre Mo et Rikky était consommée.

Rikky von Opel sur Ensign à Brands Hatch
Aux essais de la Course des Champions à Brands Hatch en 1974 – © DR

Rikky von Opel à la peine chez Brabham

Cette séparation n’échappa pas à Bernie Ecclestone, en panne de sponsor après s’être fait souffler le budget Marlboro par McLaren. Un pilote au portefeuille épais, voilà qui était intéressant ! D’autant plus que le jeune patron de Brabham n’était pas du tout satisfait de Richard Robarts, le second de Reutemann. Ni de ses performances, ni de son apport financier. On retrouva donc Rikky von Opel à Jarama pour le GP d’Espagne. Avec une voiture qui venait de donner à « Lole » sa première victoire à Kyalami, Rikky était en droit de rêver.

Las ! Etre au volant d’une voiture de fond de grille, ce n’est pas une sinécure ; mais au moins vous pouvez entretenir l’illusion que vos résultats médiocres sont à mettre sur le compte de votre monture. A contrario, quand vous vous retrouvez dans le baquet de l’une des trois ou quatre meilleures F1 et que vous êtes loin d’égaler votre équipier (3), le doute n’est plus permis. C’est ce que découvrit notre héritier. Avec, cruelle ironie, l’amertume supplémentaire de voir l’Ensign de Vern Schuppan le devancer largement sur la grille du GP de Belgique à Nivelles. Il faut croire que Mo Nunn avait bien fait progresser sa voiture !

Rikky von Opel chez Brabham
Soucieux avec Gordon Murray à Monaco – © DR

Après une non-qualification à Monaco et deux courses anonymes à Anderstorp et Zandvoort, Rikky débarqua ensuite à Dijon. Là, pas moins de 30 voitures devaient se disputer une place sur une grille limitée à 22 partants en raison de la faible longueur du circuit. Sans surprise, l’affaire ne fit pas un pli : relégué à près de 2 secondes et demie de Reutemann, le jeune héritier faisait partie des huit recalés. C’en était trop pour sa fierté, il décida sur le champ d’abandonner la course (4).

Exil asiatique

D’un GP de France à l’autre, le parcours F1 de Rikky von Opel avait duré exactement un an. Il retourna donc à la vie à laquelle il était prédestiné : celle d’un jeune homme bien né qui n’a d’autre préoccupation que de gérer ses affaires et de satisfaire ses désirs du moment. De préférence en compagnie d’une actrice ou d’une cover-girl. On le retrouva néanmoins sous les feux de l’actualité en 1977 lorsque sa sœur Christina fit les gros titres de la presse à sensation. Il paraît que c’est lui qui, excédé par la faune interlope qu’il rencontrait chez elle et inquiet de ses mauvaises fréquentations, mit la police sur la piste du trafic de stupéfiants qu’elle couvrait (5).

Rikky avec sa compagne Marisa Berenson et Andy Warhol – © DR

Ensuite, on perd sa trace. Cette vie superficielle a-t-elle fini par lui paraître vaine ? Toujours est-il qu’il aurait émigré au Népal, puis en Thaïlande, pour vivre dans un monastère bouddhiste. Il y serait encore aux dernières nouvelles. C’est du moins ce que l’on peut lire en fouinant sur Internet. Si un lecteur de ce blog a des infos récentes sur Rikky, elles seront bienvenues.

NOTES :

(1) Le Liechtenstein affiche le deuxième plus haut PIB par habitant, juste derrière Monaco.

(2) Il y avait en ce temps-là trois championnats de F3 chez les Britanniques. En 1972 Roger Williamson en gagna deux et Rikky von Opel s’adjugea le troisième.

(3) Sauf aux essais du GP de Belgique. Carlos Reutemann y rencontra une telle litanie de problèmes qu’il se retrouva derrière son équipier sur la grille.

(4) C’est Carlos Pace qui le remplacera. Et qui effacera rapidement le dernier doute que Rikky aurait pu avoir. Non, il n’était pas moins bien servi que Reutemann, sa BT44 était aussi efficace que celle de l’Argentin.

(5) Membre de la jet-set faisant la réputation de Saint-Tropez avec entre autres son cousin Günter Sachs (ex-mari de BB), Marie-Christine dite Christina (ou « Putzi » pour les intimes) fut arrêtée lorsque la police saisit près de 2 tonnes de haschich dans sa villa tropézienne. Elle fut libérée en 1981 après quatre ans de prison. En 2006 elle disparut tragiquement en Andalousie, noyée dans sa voiture emportée par des pluies torrentielles.

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