Bernie Ecclestone
11 octobre 2020

Et Bernie Ecclestone prit le pouvoir… 1/3 – Jupes contre turbos

« Les Accords Concorde » régissent le fonctionnement de la Formule 1 depuis 1981. Entre sport et spectacle, entre commerce et finances.

Au terme de ces accords, la Fédération des Constructeurs de Formule 1, la FOCA, a pris en charge les relations commerciales avec les organisateurs de Grand Prix et la Fédération Internationale du Sport Automobile, la FISA, les règlements techniques.

Mais pour en arriver là, il a fallu beaucoup de coups tordus, de hargne et d’orgueil. A un point tel qu’on a cru la Formule 1 perdue.
Il y a presque 40 ans ce combat hors piste entre deux systèmes a opposé deux hommes : Jean-Marie Balestre et Bernie Ecclestone.
Leur affrontement a donné naissance à la Formule 1 actuelle. Pour le meilleur et pour le pire.

Olivier Rogar

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Renverser la table

Max Mosley - Jean-Marie Balestre
Max Mosley et JM. Balestre – 1980 @ DR

Avertissement : Certaines scènes évoquées dans cette série d’articles peuvent sembler excessives. Elles sont issues de la biographie de Bernie Ecclestone « No angel » par Tom Bower ( 2011). Nous les avons reprises en substance car elles donnent une réalité tangible au récit et une idée « physique » de l’extrême détermination de l’étonnant Mr E…

Est-ce son parcours familial, ses bonnes manières ou son sourire moins crispé que celui de Mr E … ? Toujours est-il que lorsque Max Mosley propose un rendez-vous au tout puissant Jean – Marie Balestre, celui-ci a ce petit rictus qui traduit une émotion. Celle qui passe instantanément au coeur ou au ventre sans émuler le cerveau. Certains appellent ça l’orgueil. Il s’empresse d’accepter, voyant déjà l’anglais genoux à terre.
En cette soirée de mai, le soleil déjà bas sur l’horizon irise les couches de vernis de la Rolls. Le président de la FISA s’y reflète. Aussi noir que ses lunettes. Que ses pensées peut-être ? Il va regagner sa suite la tête pleine de cette perspective : demain, la victoire !
Pourtant, l’explication donnée par Mr E… dans le petit bureau de Mosley, à proximité des stands, va laisser le Président incrédule. Il a le pouvoir. Cette course est celle de la FISA. La Fédération est soutenue par douze pays organisateurs de Grands Prix. Il en a d’ailleurs la liste secrète dans sa mallette, ouverte sur la table. Et rien ne se passe comme prévu.
Mr E.. vient de lui dire qu’ici, en Espagne, le Grand, Prix est celui de la FOCA. La FISA n’a rien à y faire. Hébété le Président va réagir quand, « maladroitement », Mosley fait tomber la mallette secrète ! Mr E… , aussi vif qu’une vipère heurtante, se détend, plonge d’un bond et récupère la fameuse liste des douze pays avant que Balestre ait compris ce qui s’était passé. Se ressaisissant trop tard, il ne peut qu’éructer « Cette course est annulée ! ».
En ce début de matinée du 31 mai 1980, il fait déjà chaud à Jarama.

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F1CA et FOCA

FOCA - Bernie Ecclestone
Bernie-Ecclestone-et-les-memebre-de-la-FOCA-1975-@-DR

Mais revenons quelques années en arrière.
Lorsqu’il a racheté Motor Racing Developments – la holding propriétaire de Brabham – à Ron Tauranac en 1971, Mr E… a été convié aux réunions de la F1CA – Formula 1 Constructor Association-. Une association créée en 1963 par le patron de Lotus, Colin Chapman, pour mutualiser les frais de transport des écuries britanniques. Il a même su faire profil bas, allant jusqu’à servir le thé lui même… Il observait ses comparses. Leurs objectifs, leurs centres d’intérêt, leur cohésion. Et il comprit rapidement que ses collègues étaient de petits joueurs. Chaque équipe négociait ses prîmes d’engagement avec chaque organisateur de Grand Prix. Et ceux – ci faisaient ce qu’ils voulaient dans la plus parfaite opacité. Ferrari récupérait la part du roi. Les autres, des miettes. Et tous étaient sur le fil du rasoir côté finances.

Mr E…, en bon chef de guerre, savait que tout était question de circonstances et de timing. Il saisit donc sa chance. Lors d’une réunion du groupe, il demanda à des chefs d’équipe absorbés par d’autres sujets, pourquoi l’un deux ne se chargerait pas de négocier avec les organisateurs pour l’ensemble de la F1CA ? Tout comme la F1CA le faisait auprès des transporteurs. Aussi dur à croire que cela puisse paraître, personne ne manifesta d’intérêt pour cette tâche. Mr E…se dévoua… moyennant une commission dont l’histoire retiendra qu’avec 2% elle surprit par sa modicité. Ce jour-là Mr E… enclencha la machine qui allait faire de la F1, l’un des principaux sports mondiaux. Accessoirement c’est dans ce cadre que Max Mosley, l’un des associés de l’écurie March, trouva son maître.

Max Mosley et Bernie Ecclestons
Max Mosley et Bernie Ecclestone GP Grde Bretagne – 1973 @ DR

Mr E… négociait directement avec les organisateurs de Grands Prix et leur vendait le plateau F1 pour une somme forfaitaire de plus en plus élevée et… de moins en moins forfaitaire. De 10 000 $ concédés par les organisateurs en 1971, les plateaux passèrent en 1973 à 56 000 $ pour l’Europe et 110 000 $ pour l’Afrique du Sud, l’Argentine et le Brésil. Le canada et les USA payèrent 350 000 $ chacun en 1975…
Indéniablement si les manières de Mr E… étaient brutales, il savait mener son affaire et les écuries gagnèrent grâce à lui et à ce qui était désormais la FOCA, les moyens de se professionnaliser. Sponsors d’un côté, barèmes transparents de primes d’engagement et de résultats de l’autre. Un règne débutait…

CSI et FISA

FISA
FISAJM. Balestre @ DR

Dans un autre espace – temps, la Fédération Internationale Automobile – FIA – pouvait vaquer à ses occupations internationales, ayant confié la gestion de sa composante sportive et notamment des championnats internationaux, à la Commission Sportive Internationale – CSI – . Une assemblée extraite du bottin mondain des principaux pays européens, au sein de laquelle, entre noms à particule et gens de bonne compagnie, on savait garder son entre-soi tout comme ses bonnes manières.

Ils se trouvèrent donc bien dépourvus face à un Mr E…qui, pour peu qu’il les eut même considérés, n’entendait leur laisser aucune chance. Et maintenant que le loup était dans la bergerie, le championnat de F1 allait leur échapper, les constructeurs édictant leurs propres règles, ils devenaient juges et parties dans la gestion de leur sport.

Il leur fallait trouver un autre loup. Un loup de leur bord. Un loup apprivoisable. Président de la Fédération Française de Karting, puis de la Fédération Française de Sport automobile – La FFSA -, Jean-Marie Balestre présentait toutes les qualités. Bras droit de Robert Hersant, il était un homme de presse, de média et de pouvoir. Un homme d’autorité aussi. La combinaison parfaite pour contrer Mr E…
Il fût donc élu en 1978 à la présidence de la CSI qu’il rebaptisera ensuite du titre plus statutaire de Fédération Internationale du Sport Automobile – FISA – disposant des pouvoirs les plus étendus pour contrer la FOCA.

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Première escarmouche côté FOCA

Brabham BT46B
1978 Anderstorp S – Brabham BT46B Fan – Niki Lauda @ DR

Les protagonistes étant en place, la première escarmouche entre FOCA et FISA eut lieu lors du Grand Prix de Suède 1978. Gordon Murray, l’ingénieur Brabham avait trouvé une astuce plutôt brutale pour contrer les imbattables Lotus 79 à effet de sol. Il avait doté la Brabham BT46B d’un énorme aspirateur qui faisait le vide sous la voiture bardée de jupes mobiles et permettait d’aller d’autant plus vite dans les courbes que la vitesse augmentait l’effet d’aspiration et donc l’adhérence. Niki Lauda n’eut aucun mal à remporter l’épreuve. Il n’aura pas échappé à nos lecteurs que le patron de Murray et Lauda n’était autre que Mr E…

Rejetant pour des raisons de forme les différentes réclamations déposées par McLaren, Surtees et surtout Tyrrell et Lotus contre Brabham – Et oui – Les commissaires décidèrent de ne pas statuer et l’affaire fut renvoyée vers la CSI. Mr E… très conscient du combat qui se préparait et désireux de ne pas diviser ses troupes, les écuries anglaises de la FOCA, s’était déjà engagé auprès d’elles et sur leur injonction, à retirer son arme de domination massive à partir du 1er aout. Trois Grands Prix plus tard. ( France, Angleterre, Allemagne). Mais la commission spéciale de la CSI qui se réunit le 23 juin décréta que le système d’aspirateur était interdit en F1.
La position de Murray était que le ventilateur avait pour fonction de refroidir les radiateurs de la voiture et ne constituait donc pas un élément aérodynamique mobile. La voiture ne fut jamais jugée illégale, ni même disqualifiée. Raison pour laquelle Niki Lauda conserva ses points.

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Brabham BT46B
978 Anderstorp S – Brabham BT46B – Niki Lauda @ DR

La menace du turbo coté FISA

En juillet 1977, la Renault RS01 participait à son premier Grand Prix, pilotée par le courageux Jean-Pierre Jabouille. Et elle fît bien rire les anglais. Technologie inusitée avec un moteur turbo de seulement 1.5L de cylindrée, comme le règlement le stipulait. Elle gagna rapidement le surnom de « Yellow teapot » à cause des fréquentes ruptures du petit moteur qui lâchait alors un beau nuage de vapeur, d’huile et de fumée.

Renault RS01
1977 Silverstone GB – Renault RS01-JP Jabouille @ DR. jpg

Score vierge en 1977. Quatre points en 1978. 1e victoire en 1979, au Grand Prix de France. Les sacrifices de Jabouille et l’audace de Renault avaient payé. Le pari perdu d’avance devenait gagnant. La panique succéda aux sarcasmes de l’autre côté de la Manche. Seuls les constructeurs pourraient à moyen terme financer et développer des moteurs turbo. Autrement dit, ceux que Mr Ferrari avait nommé les « assembleurs » se retrouveraient rapidement avec un moteur atmosphérique 3.0L dépassé. La FOCA trouva une solution pour conserver son hégémonie : faire interdire le turbo. Mais la FISA ne plia pas. La fracture était consommée entre les constructeurs , Alfa-Romeo, Ferrari, Renault et tous les autres.

FISA
Renault RS01-JP Jabouille 1977 @ DR. jpg

Son caractère et son sens des affaires avaient amené Mr E… à aller beaucoup plus loin que la défense des intérêts des constructeurs britanniques vis à vis des organisateurs. Défenseur, il devint attaquant et s’octroya tous les pouvoirs après une série de coups aussi violents qu’efficaces. Concevant ses batailles avec minutie, il mettait ses plans en pratique avec autant d’énergie que de détermination, jusqu’à la victoire finale. C’est ainsi qu’il put arracher les accords de plusieurs circuits pour devenir avec la FOCA, l’organisateur des Grands Prix dont il facturait par ailleurs le plateau. Il en fut ainsi du Brésil, de l’Afrique du Sud, de l’Allemagne et, comme nous l’allons voir, de l’Espagne.

A suivre….

Bibliographie

Pour réaliser notre enquête, nous avons notamment travaillé avec :

  • Autocourse 1980-81 – Alan Henry – L’analyse de la saison
  • L’Année Automobile 1980-81 – Johnny Rives – FISA v/s FOCA
  • Autocourse 1981-82 – Nigel Roebuck – L’analyse de la saison
  • Les Cahiers de Johnny Rives – Interview Didier Pironi Décembre 1980
  • No Angel – Secret life of Bernie Ecclestone – Tom Bower – 2011
  • Colin Chapman – L’Epopée Lotus en Formule 1 – Gérard Crombac – 1987


Pour en savoir plus

Jean-Marie Balestre : ici
Bernie Ecclestone : ici

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