Lionel Froissart
27 mars 2021

Froissart un point c’est tout

Au moment de sa création en 1976, il y avait deux façons d’entrer à Auto Hebdo : emprunter la voie royale ou se faufiler par le soupirail.

Nous fûmes quelques-uns de notre petite bande à se hausser du col en poussant la porte cochère du 7 rue de Lille – la voie royale -, gravissant l’escalier de bois branlant et soumettant à une espèce d’humanoïde, fils naturel de Michel Audiard et Michel Constantin, le rédac’chef Etienne Moity, des photos et des textes gratos.

Ça tombait à pic, ledit Moity cherchait des gus pour écrire de fausses lettres de lecteurs afin de régler son compte à tel ou tel, et pour le fournir en « docs » gratos. Marché fut conclu. Un tantinet léonin, mais bref.

On voyait glisser dans les couloirs un petit gars furtif, noir de poil, qui, lui, était entré par le soupirail. Détenteur d’une meule, il convoyait les péloches au labo. Donnait un coup de paluche de-ci de-là, montait sandwichs et bières dans les bureaux. Moity le désignait sous le nom générique de Froissart, patronyme qui eût pu lui attribuer des chroniques mais que l’impitoyable boss assortissait d’un surnom dont je préfère n’avoir pas à me souvenir.

Alors que la voie royale s’était depuis longtemps refermée derrière nous, petit Froissart est devenu grand après avoir quitté l’hebdo de la rue de Lille – où il avait créé une rubrique « Karting » -, pour intégrer un prestigieux quotidien, Libération.

D’en avoir labouré, trente ans durant, le sillon de la F1 lui a permis de récolter quelques graines somptueuses, à commencer par une amitié profonde avec Ayrton Senna, et une expertise reconnue qui en fait l’un des successeurs de la génération des Gérard Crombac, José Rosinski, Christian Moity, Luc Augier, etc.

Sa connaissance intime de la F1 lui a enseigné une chose : ce sport d’exception se nourrit de sa propre légende, plus prégnante que toutes les fictions. S’il offre prise à sa documentation – et Froissart ne s’en est pas privé via ses essais sur Prost, Senna, Hamilton, il rejette telle une greffe qui ne prend pas, le roman. Tous ceux qui l’ont tenté s’y sont brûlé le clavier.

Aussi pour son entrée dans la voie royale du roman (après les nouvelles qui composent « les boxeurs finissent mal… en général »), Lionel Froissart a-t-il sagement évité la course auto, sinon celle, moins sportive que sanglante, qui opposa le 30 août 1997 une Mercedes noire à des paparazzi à moto dans le tunnel du pont de l’Alma, avec une Fiat Uno en chicane mobile.

Curieux choix de sujet de roman qui semble avoir été alimenté par un commissaire de police dont l’auteur garde pour lui l’identité. En déroulant une pelote de laine en forme d’intrigue nouée autour de la propriétaire de la Fiat Uno, une certaine Jocelyne, madame-tout-le-monde habitant Bobigny, lectrice éperdue de Philippe Djian, amoureuse de Mike Brant, l’auteur laisse advenir sous une plume alerte, en filigrane, les causes possibles du drame dont on ressent l’accidentelle comme l’une des moins vraisemblables.

Même s’il s’avère plus convaincant dans une description qui rend Bobigny presque désirable que dans des scènes de cul graisseuses qui trahissent le spécialiste du moteur à pistons, Lionel Froissart donne un joli roman de facture agréable à Héloïse d’Ormesson.

Belle revanche pour l’ex-grouillot d’Auto Hebdo dont le nom écrase sur une très belle couverture celui de l’académicien de Au plaisir de Dieu.

Editions Héloïse d’Ormesson

Lionel Froissart
Lionel Froissart – Punto Basta – Editions Eloïse d’Ormesson
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