Je ne suis pas très « cimetière ». Et pourtant, en passant non loin du Vaudelnay, petit village angevin, je réalise que je ne peux pas ne pas m’arrêter. Je modifie mon trajet et immobilise ma voiture sur la castine du petit parking attenant au monde de l’au-delà.
Pierre Ménard – texte & photos

Le ciel d’Anjou de ce début septembre est éclatant, bien plus que celui du sombre 11 octobre 1973. Je marche le long du mur en pierres et pousse la grille. Exposées toute l’année aux vicissitudes climatiques, les grilles des cimetières possèdent une forte propension au grincement métallique glaçant. Celle du Vaudelnay ne fait pas exception à la règle.
Je sais que ce que je cherche est adossé à un des murs d’enceinte. Je commence par celui du fond. L’inspection des sépultures n’ayant rien donné, je poursuis ma tournée pour finalement arriver sur le dernier parapet, celui du nord-ouest, où je remarque tout au bout un petit médaillon en bronze scellé dans les pierres. Je suis arrivé.
La plaque de marbre noir est assez sobre, surmontée par quelques inévitables objets de ce qu’on appelle « art funéraire », appelant au souvenir éternel. Des plantes en pot décorent simplement l’espace, tout est parfaitement soigné et taillé : ceux qui reposent là ne sont d’évidence pas oubliés.

Plus surprenant, un bouddha à la tête ornée d’une fleur en émail baisse les yeux en signe de protection. Posé sur la pierre sombre tachetée, un cœur où est gravé : In loving memory of someone very special, indique une douleur jamais apaisée. Dans le coin opposé, une drôle de monoplace désuète donne une indication sur l’identité d’une des personnes gisant dans ce caveau familial.
Je ne peux m’empêcher de repenser à ces quelques photos de mauvaise qualité, publiées le lendemain du 11 octobre 1973 dans un quotidien du Maine-et-Loire. On y voyait un champion du monde et sa femme devant cette dernière demeure, les épaules basses et le dos courbé par le poids du chagrin. Le texte de l’article précisait que l’homme s’était effondré et avait dû s’éloigner, soutenu par son épouse.
Je ne suis pas resté très longtemps, quelques minutes tout au plus. Je voulais juste voir où « il » était enterré. J’ai refermé la grille, qui a couiné à nouveau, suis remonté dans ma voiture et ai mis le cap sur une destination plus illuminée. Je ne suis pas très cimetière. Et pourtant…
