6 octobre 1973. Une date maudite pour nombre d’entre nous. Un jour désormais vieux d’un demi-siècle. 50 ans depuis ce léger mais fatal écart de trajectoire d’une voiture bleue au milieu des couleurs de l’été indien d’outre-Atlantique.
Olivier Favre
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Durant cinq décennies l’accident de François Cevert a été abondamment relaté et rappelé. Je n’y reviendrai pas. J’aimerais juste tenter d’analyser ma perception de cet événement. Et comment celle-ci a évolué au point d’embrasser un spectre beaucoup plus large que celui du sport automobile. Cette introspection sera rythmée par des citations de Jackie Stewart, l’ami et le mentor de François.
François Cevert, une blessure d’enfance
« It was a horrendous accident. To this day, I’m still affected by it. – C’était un accident horrible. Aujourd’hui encore, j’en suis affecté. »
J’avais sept ans et quelques mois le 6 octobre 1973. Depuis lors je vis avec cette cicatrice indélébile gravée en moi. J’ai grandi puis vieilli, j’ai vécu d’autres drames, plus personnels et bien plus douloureux, mais je ressens toujours cet accident comme une injustice flagrante, une erreur du destin, une scandaleuse anomalie.
Toute mon enfance puis mon adolescence ont été traversées par le fil rouge du souvenir de François Cevert. Combien de fois ai-je lu et relu « La mort dans mon contrat », premier livre « adulte » de ma bibliothèque ! Et si Rush est mon album préféré de la série Michel Vaillant, le fait que Cevert y soit l’équipier du héros imaginaire de Jean Graton y est certainement pour beaucoup.
Puis, à l’âge adulte, la cicatrice s’est faite plus discrète, évidemment. Mais elle était toujours là et je la sentais se réveiller à chaque fois que l’actualité faisait revenir François à la surface. Soit indirectement, comme avec ce merveilleux clip de « Supreme » de Robbie Williams (1) il y a plus de 20 ans, soit directement avec le beau livre de Johnny Rives et Jacqueline il y a dix ans. Et c’était chaque fois un mélange de tristesse et de plaisir, comme une blessure qui serait à la fois ravivée et apaisée par le traitement.
Regrets en mutation
« I think he would have gone on to win the world championship – Je pense qu’il aurait remporté le championnat du monde ».
Si la blessure est restée vive, c’est parce que des regrets y ont toujours été intimement mêlés.
D’abord il y a eu celui que j’appellerais le « regret canadien » : combien de fois ai-je déploré qu’il ne se soit pas fait un peu plus mal à Mosport. Oh, pas grand-chose, juste assez pour ne pas être en mesure de conduire deux semaines plus tard. Mais le regret principal c’est d’abord celui de tout ce qui aurait pu être et ne fut pas. A commencer par François Cevert, champion du monde 1974. Et davantage peut-être. J’y repensais forcément à chaque fin de saison au tournant des années 80, quand les pilotes français multipliaient victoires et podiums en F1, mais ne réunissaient jamais les conditions idéales pour décrocher le titre suprême. Puis Alain Prost a été champion du monde, plusieurs fois.
Le temps a passé. Et au fil des années, les regrets liés à sa mort ont changé de nature. A présent domine la nostalgie de ce qui fut et qui a disparu, à jamais semble-t-il. Car la société a considérablement évolué depuis 50 ans.
Patience
« François was probably the prime pupil – François était sans doute le meilleur élève qui soit »
Il fut une histoire de patience. En tant que pilote, François Cevert arrivait à maturité à la veille de ses 30 ans après plusieurs saisons d’apprentissage. Appréciables pour polir ses dons, ces années de formation lui avaient aussi donné de l’épaisseur en tant qu’homme.
Aujourd’hui, les sportifs sont des hommes pressés avant même d’être des hommes. Des pilotes teenagers débarquent en F1 et arrivent au sommet de leur sport à 20 ans à peine. Et des footballeurs de 18 ans s’achètent et se vendent à coups de millions.
Transmission
« I told him everything I ever knew » – Je lui ai appris tout ce que je savais »
Il fut une histoire de transmission. Attentif et discipliné, Cevert suivit les cours d’un « maestro » qui lui infusa toute son expérience. Souvent évoquée, cette relation maître-disciple demeure unique dans l’histoire de la course.
Aujourd’hui règne l’individu tout-puissant qui prétend s’être fait tout seul et ne rien devoir à personne. Celui qui s’est émancipé des vieilles lunes que sont les notions d’héritage, de tradition, d’autorité. Foin de la transmission, vive la transgression !
Élégance
« A charming person with impeccable manners – Un être charmant aux manières irréprochables »
Il fut une histoire d’élégance. Bien éduqué, bien habillé, mélomane et pianiste, François Cevert était davantage qu’un pilote de course. Il avait de la classe et de la tenue et personnifiait un certain art de vivre à la française, un style que les étrangers nous envient (enviaient ?). C’est un honnête homme au sens des siècles passés que l’on invitait à jouer du Beethoven à la télé ou à s’exprimer sur une radio publique au cours d’un entretien approfondi dépassant les limites de son sport (2).
Aujourd’hui, il est souvent de bon ton d’afficher son inculture et son mépris des conventions régissant la vie en société. La notion d’élégance vestimentaire est devenue plus hétérogène, jusqu’à prendre des aspects disons … inattendus. Et à l’heure des tweets, des « punchlines » et des réactions à chaud, qui prendrait le temps d’écouter un sportif pendant une heure à la radio ?
Authenticité
« The thing about François was that he was absolutely unpretentious and genuine – Ce qu’il y avait de bien avec François c’est qu’il était absolument sans prétention et authentique »
Il fut une histoire d’authenticité. Cevert semblait touché par la grâce. Il avait tous les dons mais son style était franc, sans affectation. Il ne prétendait pas être ce qu’il n’était pas.
Aujourd’hui, alors que chacun se met en scène sur les réseaux sociaux pour capter une parcelle d’attention de la part de ses contemporains, alors que le « fake » est potentiellement partout, où est l’authenticité ? Et comment la déceler ?
Au-delà d’un destin brisé bien trop tôt, c’est donc la nostalgie d’un monde perdu qui m’envahit aujourd’hui quand je pense à François Cevert et à ce maudit 6 octobre.
NOTES :
(1) https://www.youtube.com/watch?v=ULTtWUZhD9c
(2) Radioscopie avec Jacques Chancel en 1971 – https://www.youtube.com/watch?v=YCS5lxonTRs
Pour être totalement complet sur la photo n°2 avec les grid girls, il faut dire que celles-ci furent également flashées le même jour dans une posture identique en compagnie d’un Lauda quelque peu austère. On comprend mieux leur sourire resplendissant face à au magnétique Cevert.
magnétique Cevert , fort apprécié aussi par notre BB nationale !!!!! Belle tranche d’époque automobile et de liberté !
Très bel article rappelant la personne qu’était François Cevert non seulement comme pilote de course, mais aussi tout simplement comme homme. Et analyse fort pertinente et très exacte sur l’évolution de notre société et de ses moeurs au cours des 50 dernières années. Les photos qui l’illustrent sont remarquables et j’avoue que je les découvre à l’exception de celle de la victoire de 1971.Bravo et merci.
Bel hommage , merci . Sur la photo 1 , le regard vers Stewart interpelle : hasard de l’instantané ou significatif d’une forte envie du no 1 ? J’aime la photo de la ROLLS blanche CRAVEN A qui me renvoie des flashs de ces belles années fin sixties/début seventies ou cette Rolls était souvent de sortie pour parader lors d’évenements sportifs . Autre destin français brisé : Didier Pironi qui allait en 1982 vers le titre qui plus est sur une Rouge . Pas trop d’élégance ni de patience mais une forte personnalité et une sacrée pointe de vitesse ,… Lire la suite »
Bonsoir, si j’en crois Internet, la photo est prise après le crash de Jo Sifffert à la Vicory Race de 71. Le regard m’a aussi interpellé mais j’y vois plus de la gravité.
Bel article en tout cas.
En tant qu’auteur de la biographie en bande dessinée de Jo Siffert publiée en 2018, et travaillant actuellement sur un ouvrage similaire sur François Cevert, je confirme que malheureusement pour la première photo du duo Jackie Stewart – François Cevert, il s’agit bien du 24 octobre 1971 à la Victory Race à Brands Hatch, les voitures sont arrêtées en pleine piste, car les secours tentent d’intervenir un peu plus loin sur la BRM de Jo Siffert en feu. On aperçoit à l’extrême gauche de l’image Emerson Fittipaldi qui marche vers les lieux de l’accident.
Croisé sur la piste devant les stands au Mans en 73 …..Magnifique rencontre à jamais gravé dans ma mémoire (dommage de ne pas pouvoir mettre la photo souvenir sur cette page
J’ai acheté La Mort est dans mon contrat, la semaine pro, une bouchée de pain et en effet livre lu en 2j. Vraiment intéressant ce livre qui raconte minutes par minutes l’instant fatal. Par contre pour moi, un mauvais sujet de Et si en chronique car l’accident fut si violent qu’il ne laisse aucun doute. Hélas une simple erreur de pilotage au conséquence funeste.
Merci Olivier pour ce souvenir douleureux, qui restera dans nos mémoires. François restera notre « James Dean » du sport automobile.