Lotus 88
23 janvier 2016

Rétromobile 2016 : Bernard Asset ouvre ses portes à Classic Courses

Le type juché sur la F1 d’Alain Prost qui a fait les premières prises de vue « embarquées » c’était lui. Chevaucher une F1, même à basse vitesse, il faut « en avoir » ! A l’intérieur ce n’est pas évident, même en passager, alors à l’extérieur, l’appareil dans une main, l’arceau dans l’autre, les pieds où ils peuvent, assis sur le carénage du moteur qui chauffe… Chapeau l’artiste. Son nom, aux côtés de ceux de Manou Zurini et Jean-François Galeron, souligne depuis quelques décennies certaines des meilleures photos des magazines de F1. Ca valait bien quelques questions à ce photographe aussi talentueux que discret qui exposera ses photos à Rétromobile du 3 au 7 février dans la galerie des artistes, Stand Bernard Asset / Classic Courses .

Olivier Rogar

Bernard Asset, qu’est ce qui vous a amené à la photographie ?

Dès que j’ai eu mon premier appareil photo vers 12- 13 ans, un Instamatic, je ne le quittais plus et j’ai eu envie de devenir photographe. J’ai tanné mes parents pour passer le concours d’une école de photo, après le BEPC. Inutile de dire qu’ils n’étaient pas chauds. J’ai donc fait la Seconde et remis ça l’année d’après. Comme j’insistais pas mal, ils ont accepté et j’ai donc fait cette école aux Gobelins qui dépend de la CCI de Paris après avoir été reçu à leur concours.  Ca a duré trois ans.

Etiez vous passionné de sport automobile ?

A cette époque je m’intéressais pas mal à la moto. J’avais une Honda CB 125. Et j’allais voir les courses à Montlhéry, au Mans etc… et comme j’étais dans une école de photos, je faisais des photos ! Et l’élément déclencheur a été un concours photos organisé par un magazine du groupe Hommell, le mensuel « Motos ». Il fallait illustrer le Salon de la Moto et de la Voiture de course qui était à l’époque à la Bastille, dans l’ancienne gare. J’ai eu le deuxième prix de ce concours. J’avais gagné un petit télé – objectif, un 135 mm Soligor. J’étais content. Sauf que je n’avais pas encore de boitier 24X36… A l’école j’utilisais un Yashika 6X6 bi-objectif.  Et pendant plusieurs mois, j’attendais le fameux second prix en question. Je n’avais pas de nouvelle. A l’époque on n’avait pas le téléphone facile comme aujourd’hui, alors je suis allé rue de Lille au groupe Hommell. Je devais avoir 17 ans. J’ai récupéré mon objectif chez l’importateur. Ca m’a plu et ça m’a donné l’idée d’y retourner pour montrer mes photos de motos.

Asset Pescarolo

J’ai rencontré le réacteur en chef du magazine « Motos » qui s’appelait Remi Fernandez, il m’a tout de suite pris des photos. Et j’y suis retourné plusieurs fois de suite.  Jusqu’au jour où il me présente son voisin de bureau qui n’était autre que Pierre Pagani, rédacteur en chef d’Echappement et pilote. Celui-ci, toujours très enthousiaste, m’a proposé de faire des photos de rallyes cross, rallyes sur terre dans les quels lui-même courait.  Comme j’étais toujours partant du moment qu’il fallait faire des photos, j’ai accepté et c’est comme cela que j’ai eu mes premières parutions dans Echappement.

La vie est un long fleuve tranquille !

Non ! La fin des études est arrivée, le diplôme puis un stage que mon père m’avait trouvé à Detroit aux Usa, dans une société qui fabriquait des convoyeurs. J’étais au service photos et marketing. J’ai fait des photos et beaucoup de laboratoire. Je ne me doutais pas que j’allais y retourner si souvent plus tard.

Lors de mes week ends j’allais parfois voir des courses de voitures. Notamment une course d’IROC – International Race Of Champions – qui voyait s’affronter des pilotes des championnats Us et des pilotes européens, notamment de F1, sur des voitures identiques : des Chevrolet Camaro. J’ai envoyé des photos à Pierre Pagani qui les a montrées au rédacteur en chef du nouveau magazine « Scratch », en l’occurrence Etienne Moity qui en a prises et en a également passées à son frère qui travaillait à l’Automobile Magazine.  J’étais donc content de ces quelques diffusions. Puis est arrivé mon service militaire et j’ai fait le break. Je n’ai vu personne pendant un an. Pourtant je n’étais pas loin au Service Photographique des Armées, le CPA, au fort d’Ivry. Je faisais aussi de labo.

Aucun contact avec la presse auto pendant cette période !?

Non, ce n’est qu’à mon retour début 1976 que je décide d’aller dire bonjour à tout le monde rue de Lille. Et tout à fait par hasard, je me présente le jour où ils avaient passé une annonce dans un quotidien, France Soir je crois. Ils cherchaient quelqu’un pour le labo photo pour Auto-Hebdo qui allait se créer le mois suivant.  Etienne Moity m’a donné ma chance. Au départ il n’était pas question que je fasse des photos. Jef Lehalle était là pour Echappement et Auto-Hebdo. J’étais sensé le soulager pour le labo. Une fois embauché ils m’ont dit que je devais être également coursier. J’allais porter les plis chez le photograveur, chez le compositeur etc… une bonne école. Bon rapidement il a fallu faire des photos. L’un de mes premiers   sujet était l’atelier de F2 de Elf Switzeland, il fallait présenter la saison de F2, je crois que j’y étais allé avec Etienne Moity d’ailleurs. Et ensuite ils m’ont demandé des petits reportages de plus en plus régulièrement. Au bout de six mois je suis allé voir Michel Hommell et lui ai demandé si je pouvais réduire côté « coursier» et me partager davantage entre le labo et les prises de vues.  Ce qui a été accepté. Je devenais photographe d’Auto-Hebdo. J’ai fait – volontairement – mes classes avec Christain Courtel qui partait en voiture tous les week-ends avec sa femme sur tous les circuits français, Nogaro, Albi, Magny-Cours, Croix en Ternois… Quand je pouvais je partais donc avec eux, accrédité par le journal et je faisais des photos. Ce qui m’a mis le pied à l’étrier, notamment en termes de connaissances.

Asset Williams

Avez-vous des souvenirs marquants d’évènements dont vous avez été témoin ?

Il n’y en a pas de particuliers mais il y en a beaucoup en général. Par exemple cette photo de Elio de Angelis. A cette époque le magazine « Grand Prix International» venait d’être créé et à la demande de Michel Hommell je suivais tous les Grands Prix – une situation de rêve.  Le rédacteur en chef était bien sûr Eric Bhat. On travaillait comme des malades mais c’était super. On avait toute liberté. On pouvait prendre des initiatives. Par exemple cette photo. C’était un peu plus tard en 1981. On savait qu’il y avait des essais à Laguna Secca, j’avais tissé des liens avec les sponsors de Lotus, Essex – de David Thieme – représenté par François Mazet qui s’occupait de la communication. J’avais su qu’il y avait cette séance d’essais très confidentielle une semaine avant le Grand Prix de Long Beach.  Avec la fameuse Lotus à double châssis.  Pas encore bien au point. Ils veulent faire des essais et là j’avais directement parlé avec Colin Chapman, le patron de Lotus qui était un Monsieur assez impressionnant. Mais l’année d’avant on était allé le voir avec Eric Bhat en Angleterre et je le connaissais donc un peu. Puis via Essex on avait eu un accord pour que je vienne sur cette séance d’essais et j’avais manifesté mon souhait de faire poser Elio de Angelis en fin de journée avec le soleil couchant. Mais les essais duraient, le temps passait, le jour déclinait. Et rien n’arrivait.  Finalement Colin Chapman m’a annoncé que c’était bon, qu’ils m’amenaient la voiture où je voulais et qu’Elio était à ma disposition. Mais le soleil était couché. Et finalement c’est pas mal. Je m’étais allongé par terre avec un télé de 300 et lui posait en haut du fameux virage de Cork screw derrière sa voiture. J’étais content du résultat. C’est un super souvenir.

Asset Angelis

Est-ce que les pilotes s‘intéressent à vos photos d’eux ?

A l’époque oui. Aujourd’hui ils s’en fichent un peu. Sauf les jeunes dont la notoriété n’est pas encore très forte. J’ai un souvenir marrant de l’époque où Schumacher était chez Ferrari avec Eddie Irvine. On avait fait une séance photo avec Stéphane Sanson. Les deux pilotes posaient à Monaco autour du cockpit de leur F1.  Eclairages photo etc… On va ensuite à leur rencontre pour leur montrer le résultat en double page du magazine. Schumacher toujours très curieux et intéressé, sympa, avait trouvé ça bien. Stéphane lui dit de garder le magazine. Content, il nous remercie. Même chose avec Irvine ; il regarde en une seconde. Et quand Stéphane lui propose de garder le magazine, lui répond, non, non, merci, c’est bon …. Il n’en avait rien à faire. C’était étonnant.

La F1 est – elle toujours pour vous la discipline reine du sport auto ?

Au niveau technologique c’est ce qui se fait de mieux. Mais au niveau des retombées, de l’intérêt des courses, autour de moi je n’en entends que des critiques, des gens qui ne s’y intéressent plus, qui vont arrêter de regarder les Grands Prix etc… S’ils ne font pas quelque chose rapidement, ça va encore perdre de son intérêt et de son auditoire… Mais que vont-ils faire ? … on en parle tous les ans mais….

Planifiez-vous beaucoup votre programme lors d’un Grand Prix et l’apparition du numérique a-t-elle changé beaucoup de choses ?

Avant d’y être oui je planifie, mais sur place j’improvise beaucoup. Je laisse la place au feeling. Et d’une manière générale, fruit de l’expérience «Grand-Prix International», j’essaye de ne pas aller me mettre là où il y a tout le monde.  Même si ce n’est pas toujours envisageable – départ au premier virage incontournable –  Aujourd’hui il y a de jeunes photographes, notamment chez les anglais – qui sont très créatifs, qui ont des idées. Très innovants, ils font évoluer la photo.

Par ailleurs l’arrivée du numérique a entrainé de très bonnes choses. Comme la disparition du stress du dimanche soir. Il fallait rentrer vite, voire même donner nos films à des inconnus qui prenaient l’avion avant nous. On peut désormais travailler tranquillement le soir au circuit. Mais il y a aussi de mauvaise choses comme la facilité de faire de bonnes photos d’un côté et la vulgarisation des images, par le numérique mais aussi par internet, de l’autre. Il n’y a plus d’originaux comme avant. D’où les copyright ou les watermarks sur les images, notamment sur Facebook. Et même en travaillant avec des agences, une fois que l’image part sur le web vers les correspondants étrangers on ne sait pas où elle finit.

Asset Ligiers

Y-a-t-il des pilotes avec lesquels vous avez eu des liens privilégiés au cours de ces années ?

Oui il y en a eu quelques-uns. Au tout début c’était plutôt les français, notamment à l’époque Ligier – Laffite – Pironi. J’ai eu des relations assez privilégiées avec Didier Pironi qui m’avait demandé de faire les photos de son mariage. Avec Johnny Rives, Eric Bhat, on a passé des vacances à Cabourg dans une maison à côté de celle des Laffite – Jabouille. Ca créait des liens.

Sinon avec d’autres pilotes, grâce à « Grand prix International » qui était traduit en plusieurs langues et touchait tout le monde, en faisant des sujets j’ai eu de bonnes relations avec pas mal de pilotes comme Nelson Piquet, Elio de Angelis, Jan Lammers etc…  Le dernier avec lequel les relations ont été très proches a été Jean Alesi. Un des rares de son époque à entretenir des relations directes sans passer par qui que ce soit, attachés de presse ou autres.

Pour conclure, pouvez-vous nous parler de vos fameuses prises de vues «embarquées» ?

La première a été faite chez Renault dont Eric Bhat était devenu l’attaché de presse. Je ne sais plus comment j’ai eu cette idée. Alain Boisnard avait fait des films embarqués pour Elf.  Puis après cette photo, comme ça plaisait j’en ai faite d’autres. Notamment avec Nelson Piquet. Il était un peu le patron chez Brabham. Il faisait un peu ce qu’il voulait. C’est lui qui m’a imposé à l’équipe. Bernie ne devait pas être là ce jour là… Je l’ai fait aussi sur la Ligier avec Jacques Laffite, sur la Larrousse avec Yannick Dalmas, à nouveau sur la Renault avec Cheever puis chez Alfa Romeo encore avec Cheever. Toujours en  montant sur la voiture. Jacques avait un peu fait le c… en donnant des coups de volant. Je m’étais accroché au roll bar. Mais, bon, c’est Jacques…c’était inévitable ! Pourtant même Piquet avait été sérieux. On ne se rend pas compte mais ça peut être dangereux (!). Lui il est à 80 km/h mais quand il est dans un virage serré tu ne peux plus faire de photos, tu dois t’agripper. Ce n’est pas un fauteuil confortable. Un tour c’était suffisant.

Asset Prost

La dernière que j’ai faite en montant sur la voiture c’était avec la McLaren, avec Prost à Silverstone. Et là c’était Ron Dennis qui avait fait spécialement aménager la voiture pour qu’un photographe puisse s’installer derrière. Ce n’était pas que pour moi. Au moment de la transition Tag-Porsche / Honda. Ils avaient aussi des films à faire avec Marlboro. Un an auparavant en 84, Ron Denis m’avait demandé de faire les photos de son mariage. Moi ce n’était pas trop mon truc et j’avais refusé. Mais malheureusement je le rencontre en région parisienne lors d’une manifestation Shell – qui avait les trois titres mondiaux cette année là – et il se montre très insistant, persuasif «tu pourras faire des photos comme dans Barry Lyndon, à la lumière des bougies» et emporte mon accord en me promettant une caméra embarquée sur la McLaren.  Je ne pouvais pas refuser. Il a tenu sa promesse. Et c’était la dernière de ce type.

Asset Prost embarqué

Photos © Bernard Asset  – Ces tirages signés seront en exposition vente à Rétromobile 2016. 

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