Grand Prix d'Allemagne 1951
12 novembre 2024

Nürburgring 1951, la renaissance.

Pour les amateurs allemands de sport automobile, la date du 29 juillet 1951 est essentielle : elle marque le retour de la compétition au plus haut niveau sur ce territoire en pleine reconstruction après l’anéantissement d’un régime responsable de plus de vingt millions de morts. Le Grand Prix d’Allemagne accueillait enfin la Formule 1 sur le Nürburgring qui avait vu s’affronter les plus belles monoplaces d’avant-guerre avant que d’être défoncé par les chenilles des chars.

Pierre Ménard

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Les chars US traversant l’Allemagne en 1945 furent-ils réellement les auteurs des dégâts sur le Nürburgring qu’il fallut réparer dès 1946 (on remarquera sur le document de droite l’enseigne Auto Union, vestige de l’orgueil nazi) ? © D.R.

Les Thunderbolt et Sherman à l’assaut du Nürburgring

Le 8 mars 1945 sous une fine pluie de neige fondue, la 3e Armée du général Patton arriva en fin de matinée en vue du village de Müllenbach, au sud du Nürburgring. Elle avait progressé depuis l’été 1944 à travers le Nord de la France, puis la Belgique durant le rigoureux hiver 1944-45. A l’issue de la terrible bataille des Ardennes où la Wehrmacht fut à deux doigts de faire plier les forces alliées, le fameux quatre étoiles au colt à la poignée en ivoire fit mettre le cap sur le Rhin à ses blindés. La ligne la plus directe pour atteindre le fleuve passait par le célèbre circuit allemand.

Aux alentours de 15H00, les chars Thunderbolt et Sherman pénétrèrent sur la Südschleife par l’entrée de Müllenbach et remontèrent jusqu’à la ligne de départ et d’arrivée, la Start und Ziel. Pendant qu’une compagnie investissait le Sport Hotel, transformé en hôpital militaire, le gros de la division reprit sa progression vers le nord-est en remontant la longue ligne droite qui menait jusqu’au secteur de Schwalbenschwanz, puis remontait vers Pflanzgarten. C’est à cet endroit qu’elle quitta définitivement la piste pour filer vers sa cible désignée, le Rhin. Le 12 mars, des véhicules du 133e Bataillon d’ordonnance prirent à leur tour un ticket pour la même portion de l’autodrome. Est-ce là la raison de l’état déplorable du circuit tel que le découvrirent les premiers visiteurs dès la fin des hostilités ? Tout cela reste flou et sujet à caution.

L’itinéraire suivi sur le circuit par l’armée américaine © Plan Pierre Ménard.

La lente reconstruction

Les lourds blindés américains furent accusés d’avoir défoncé le bitume et les bas-côtés. Passe pour les bas-côtés, mais des chars peuvent très bien rouler sur du goudron sans l’exploser comme il le fut au Ring. Il y eut là une volonté manifeste de détruire un symbole de l’Allemagne nazie, mais rien ne put être prouvé. Quant au Sport Hotel, l’explication est plus limpide. Au sortir de la guerre, le célèbre hôtel-tribune fut transformé en Quartier Général des forces US dans la région, puis abandonné. Mais avant de partir, des gens mal intentionnés le saccagèrent, peut-être là aussi en signe de vengeance vis-à-vis de ce régime honni qu’ils avaient âprement combattu. Et là encore, aucun témoignage, aucune preuve.

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Cette rage n’épargna pas non plus les bâtiments annexes dont certains furent incendiés, quand d’autres servirent tout bonnement de matériau de reconstruction pour les maisons environnantes des civils ayant tout perdu dans la terrible aventure. Bref le légendaire circuit était dans un triste état à l’issue des hostilités. En 1946, les forces françaises occupant la zone ouest du Rhin ordonnèrent, en accord avec les autorités locales, la remise en fonction du circuit. Des centaines d’hommes furent mobilisés pour débroussailler les abords, reconstruire les édifices et resurfacer le tracé.

Nürburgring 1951
Alberto Ascari lors du Grand Prix de F2 en 1950. Les spectateurs sont venus en masse pour retrouver leur circuit fétiche © D.R.

En 1947, la vie mécanique reprit dans l’Eifel avec une modeste course de motos sur la Südschleife, mais la grosse affaire eut lieu en 1949 avec la réouverture officielle du Sport Hotel rénové, suivie par une course de voitures en catégorie sport, cette fois sur la Nordschleife. En 1950, les dirigeants du Ring réclamèrent leur part du nouveau gâteau de la Formule 1. Les cicatrices de la guerre n’étant pas encore tout à fait refermées, la CSI fit valoir qu’une course de F2 serait plus appropriée et déciderait de l’éventuelle venue de la F1 à une date ultérieure.

Ce 13e Grand Prix d’Allemagne eut lieu le 20 août 1950 et rassembla bon nombre de pilotes de renommée. Il fut gagné par Alberto Ascari sur sa Ferrari 166 F2, devant les gordinistes Simon et Trintignant. Convaincus par le sérieux de l’organisation, les membres de la fédération internationale donnèrent donc leur feu vert pour la venue de la Formule 1 sur le Nürburgring.

La consommation au menu

C’est la foule des grands jours qui se presse le 27 juillet 1951 autour des 22,800 km du Ring pour assister à ce qui s’annonce comme un événement exceptionnel. En plein Wirtschaftswunder (1), la venue de monoplaces représentant le summum de la technologie a de quoi attirer ce peuple épris de progrès. Le nombre de spectateurs, toujours difficile à évaluer avec précision au Nürburgring (les chiffres ronflants souvent claironnés par les organisateurs allemands étant à prendre avec précaution), reste néanmoins un peu en deçà des espoirs placés dans la manifestation. L’explication est simple : un seul pilote allemand inscrit, Paul Pietsch, et aucune voiture représentant la jeune Bundesrepublik (2) ! Il faudra attendre 1954 et le retour de Mercedes pour connaître des affluences records dans l’Eifel.

Nürburgring 1951
Les Alfa Romeo 158 à compresseur bénéficiaient du moteur le plus puissant (425 chevaux contre 380 pour le V12 atmosphérique Ferrari), mais le plus gourmand aussi © D.R.

Le dernier grand prix disputé sur le Nürburgring remonte à 1939 et la quasi-totalité de ses protagonistes ne sont plus là, en retraite ou bien décédés. Le susnommé Pietsch est le seul rescapé de cette époque paraissant tellement lointaine maintenant. Il pilotait alors une frêle Maserati au milieu des impressionnantes Mercedes et Auto Union, il bénéficie cette année d’une des quatre Alfa 158 officielles, après qu’il a été initialement inscrit sur une Maserati. La plupart des pilotes décident d’explorer les mystères et les pièges des innombrables virages de ce circuit à la terrible réputation, Fangio, actuel leader au championnat, le faisant au volant de son Alfa personnelle.

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La venue des F1 sur ce tracé tortueux et vallonné n’est pas sans poser des problèmes à Alfa Romeo. Ses voitures sont encore favorites cette saison, mais quinze jours plus tôt à Silverstone, l’impensable s’est produit : une de ces nouvelles Ferrari, pilotée par l’Argentin Froilan Gonzalez, a mis fin à l’hégémonie du Trèfle milanais. La puissance supérieure du 8 en ligne compressé Alfa ne sera pas un atout ici, d’autant qu’il consomme plus que le V12 atmosphérique des voitures de Modène, et exigera deux ravitaillements contre un. La tactique des prétendants au titre Fangio et Farina sera donc de faire la différence entre les arrêts. Ascari et ses coéquipiers de chez Ferrari bénéficieront, eux, d’une plus grande autonomie. Quant aux autres !…

Nürburgring 1951
Juan Manuel Fangio fut le seul à contester la victoire à Ascari, mais dût abdiquer en fin de grand prix à cause d’une boîte faisant des siennes © DR

Dictature italienne sur le Nüburgring

Le clan Français, pourtant bien représenté (8 Talbot-Lago T26 et 3 Simca-Gordini T15), n’a pas de quoi se réjouir : les voitures sont totalement larguées face aux reines italiennes qui monopolisent les fauteuils d’orchestre. Les sociétaires de chez Talbot peuvent encore espérer des places à la corbeille grâce à une consommation maîtrisée de leur 6 en ligne (qui avoue tout de même 150 chevaux de moins que le 8 cylindres Alfa Romeo, et 100 de moins que le V12 Ferrari), mais les pilotes des petites Gordini sont relégués au poulailler, même si Amédée a annoncé des rentrées d’argent frais suite à la récente victoire aux Sables d’Olonne ! Pour les accompagner dans leur misère, deux Maserati 4CLT complètement dépassées.

Le résultat des qualifications va clore les débats : les huit premières places sont occupées par les Italiennes, avec Ascari en pole devant Gonzalez, Fangio et Farina, les Talbot, Gordini et Maserati étant reléguées derrière pour la figuration (à titre indicatif, le premier Français, Yves Giraud-Cabantous sur sa Talbot, est à 58 secondes de la pole). La pole position réussie par Alberto Ascari a, par contre, de quoi inquiéter Fangio et Farina : même sur un tour lancé, il a été le plus rapide. Sa Ferrari parait à l’aise sur ces montées et descentes folles, il va donc falloir se cracher dans les mains !

Le champion du monde en titre, Nino Farina, demanda trop à son moteur Alfa qui dépassa la température limite au premier tiers de la course © D.R.

Victoire dans un fauteuil

C’est bien ce que Fangio semble décidé à faire puisqu’il prend la tête d’autorité lors du premier freinage à la Courbe Sud, suivi par Ascari, Gonzalez et Farina. Ce dernier semble avoir beaucoup de peine à suivre le trio de tête et le moteur de son Alfa déposera rapidement le bilan à force de rudes sollicitations. La bataille pour la victoire finale va se jouer entre les trois hommes qui se passeront et se repasseront au gré des ravitaillements.

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Comme prévu, les pilotes Alfa Romeo vont être contraints à deux arrêts. Dans la deuxième moitié du Grand Prix, le combat se résume à un duel Fangio-Ascari. Il reste indécis jusqu’au second pit-stop de l’Argentin, qui se passe mal : la boîte de la 158, déjà capricieuse en course, fait des siennes à la relance et Juan Manuel cale ! Il parvient à redémarrer son moteur mais reprend la piste en deuxième position à une minute d’Alberto sur sa sobre Ferrari. Le match est plié, mais au 17e des 20 tours, l’Italien stoppe, à la surprise générale : il fait changer ses pneus arrière et repart avec encore 30 secondes d’avance sur son poursuivant.

Le vainqueur dans son tour de décélération derrière les stands, décasqué comme le tolérait alors le règlement © D.R.

Alberto Ascari se permet de lever le pied dans le dernier tour pour enlever en souplesse ce premier Grand Prix d’Allemagne de F1 de l’après-guerre. Ferrari confirme ainsi sa puissance montante, ainsi que son pilote : c’est sa toute première victoire en championnat de Formule 1 ! Le fier Italien lève alors le voile sur ce deuxième arrêt improvisé : il voulait montrer qu’il pouvait gagner sur les Alfa Romeo avec le même nombre d’arrêts ! Il pouvait se le permettre, vu son avance. Les voitures rouges occupent les six premières places, deux Gordini venant ensuite, suivies par deux Talbot, mais à plus d’un tour. Malgré l’absence de Pietsch au classement final (3), le public allemand quitte le Nürburgring avec la consolation que son beau circuit constitue un décor inégalable à la tenue d’une course de haut niveau. Il en sera ainsi encore bien des années.

Notes

(1) Le miracle économique, période allant de la fin de la guerre au tout début des années soixante, durant laquelle toutes les forces vives de la nation se retroussèrent les manches pour reconstruire à grands pas un pays dévasté aux deux tiers.
(2) La nouvelle Allemagne fut divisée en deux en 1949, République Fédérale d’Allemagne à l’Ouest et République Démocratique Allemande à l’Est.
(3) Victime en course d’une spectaculaire sortie de route, heureusement sans gravité.

La saison de F1 1951 sur Wikipedia

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