Monsanto 1959 : Moss plane au-dessus de Lisbonne

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Monsanto. Voilà un nom qui évoque spontanément des notions peu folichonnes : produits chimiques, herbicides, pollution des sols, scandales sanitaires, manipulation et marchandisation du vivant, … Mais Monsanto c’est aussi une colline surplombant Lisbonne et le Tage, avec un magnifique parc public de 1 000 ha (10 % de la surface de la ville) où les citadins en mal de fraîcheur et d’air pur viennent s’oxygéner au milieu des chênes, pins et eucalyptus.

Olivier Favre

Occupée par les humains depuis la préhistoire, cette colline a été consacrée par les druides du cru, d’où son nom, Monsanto, contraction de « Monte Santo », la sainte montagne. Une montagne encore plus sacrée à partir du XVIIIe siècle quand un aqueduc y fut construit pour alimenter Lisbonne en eau potable. Le Parque florestal de Monsanto est quant à lui nettement plus récent. En effet, jusque dans les années 1930 Monsanto était une colline pelée aux sols épuisés par une agriculture intensive initiée dès l’Antiquité par les Romains, qui en avaient fait le grenier à blé de Lisbonne.Monsanto-années 30

Mais le régime autoritaire mis en place en 1933 par Antonio de Oliveira Salazar, l’Estado Novo (Etat Nouveau) décide d’offrir aux Lisboètes un grand site naturel pour s’y aérer et y pratiquer diverses activités sportives et culturelles. Le reboisement du site est donc lancé en 1938, alors que les voies d’accès et les équipements seront définis quelques années plus tard par l’architecte Francisco Keil do Amaral.

Le Portugal arrive

Affiche GP Portugal 54Bon, et le sport auto dans tout cela ? On y arrive, on y arrive … Au début des années 50, le Portugal veut faire entendre sa voix dans le concert international du sport automobile. Faute de circuit permanent, on utilise les routes existantes et c’est ainsi que sont organisées des courses de voitures sport à Porto (circuit de Boavista) et à Monsanto. Et ce n’est pas tout à fait une première pour la sainte colline puisqu’une course de côte y eut lieu en trois occasions entre 1910 et 1922.Affiche GP Portugal 59

Nommées soit GP du Portugal, soit GP de Lisbonne, quatre courses sont organisées à Monsanto de 1953 à 1957 et, après la victoire inaugurale du local Nogueira Pinto (Ferrari) la première année, la liste des vainqueurs est tout à fait respectable : Froilan Gonzalez sur Ferrari 250 MM en 1954, Masten Gregory en 1955 sur Ferrari Monza et, après une année blanche, Fangio himself en 1957 au volant d’une Maserati 300 S.

Mais les Portugais veulent plus et l’Automobile Club du Portugal (ACP) entend profiter de l’ouverture du championnat du monde de F1 à de nouveaux pays et circuits (Pescara, Casablanca, Sebring) en cette fin des fifties. C’est chose faite en 1958, Porto et le tracé de Boavista ayant le privilège d’accueillir le premier GP du Portugal de F1. Puis, en vertu de l’alternance, c’est Monsanto qui est retenu pour 1959.

La course

Moss-Cooper

D’un développé de 5,4 km, le circuit de Monsanto est très rapide avec ses virages amples et sa ligne droite de près d’un km, qui n’est autre qu’une portion de l’autoroute Lisbonne-Cascais. Mais il est aussi particulièrement dangereux avec son revêtement inégal et bosselé (incluant des pavés et des rails de tramway !) et son tracé urbain incluant tout ce qu’on peut trouver comme « obstacles » naturels (arbres) ou artificiels (maisons, panneaux, poteaux téléphoniques).

Pour ce 2e GP du Portugal de F1, sixième manche du championnat 1959, seize pilotes sont engagés, dont trois seulement (Moss, Gregory et Phil Hill) ont déjà roulé sur ce circuit. Cooper-MossEt très vite Moss (Cooper Rob Walker) se positionne comme l’homme à battre en signant la pole avec 2 secondes d’avance sur le 2e, Brabham. Les Cooper se montrent d’ailleurs particulièrement à l’aise ici puisque Gregory et Trintignant suivent Moss et le leader du championnat. Chez Ferrari en revanche, grosse déception pour Brooks, Hill et Gurney, qui pensaient faire parler leur puissance supérieure : leurs Dino n’apprécient pas du tout le profil du circuit et affichent une tenue de route précaire. Brooks est ainsi relégué en 4e ligne, à plus de 6 secondes de Brabham, son concurrent pour le titre. Les Aston MartinThe Portuguese Grand Prix; Monsanto, August 23, 1959. These are the two Aston Martin DBR4s to be driven by Carroll Shelby and Roy Salvadori. Both cars finished, but the Aston design was at least three years too late and it showed. (Photo by Klemantaski Collection/Getty Images) de Salvadori et Shelby, récents vainqueurs au Mans, sont encore plus loin, devant un jeune débutant qui est parvenu à se qualifier honorablement, laissant derrière lui les Lotus de Graham Hill et Innes Ireland : engagé au volant d’une Cooper-Maserati de la Scuderia Centro-Sud, Mario de Araujo Cabral est à 25 ans le premier pilote portugais au départ d’un Grand Prix de championnat.

Le dimanche, le départ de la course (62 tours, soit 336 km) est programmé à 17 h pour éviter la chaleur de ce 23 août. Dès le baisser du drapeau, Moss part en tête et s’applique à tuer tout suspense. Survolant la course avec sa voiture bleu nuit, il s’adjuge le meilleur tour et relègue tous ses poursuivants à plus d’un tour. Moss vainqueurLes spectateurs doivent donc reporter leur attention sur ses poursuivants, qui se signalent par deux accidents. D’abord une collision entre les deux Hill, Graham et Phil, puis surtout un accident qui aurait pu avoir de tragiques conséquences : Jack Brabham, alors 2e, entreprend de prendre un tour au débutant Cabral mais un malentendu entre les deux hommes envoie la Cooper dans les bottes de paille puis dans un poteau téléphonique. La cabriole éjecte Brabham et le fait « rouler-bouler » au sol devant Masten Gregory qui l’évite de justesse. L’Australien s’en tire avec quelques contusions, sa bonne étoile veillait ce jour-là. D’autant plus que Brooks ne lui reprend aucun point au championnat, après avoir raté son départ et s’être traîné en queue de peloton avec un moteur asthmatique. Tout se jouera donc dans les deux derniers Grands Prix, à Monza puis, après une pause de trois mois ( ! ), à Sebring.

Dix ans de survie

Montes Claros 68Monsanto était un circuit non permanent, qui nécessitait donc de gros efforts logistiques et financiers pour y organiser des courses. En outre, l’expansion du trafic automobile rendait de moins en moins envisageable de couper une portion d’autoroute durant tout un week-end.

Aussi, en 1960, alors que la F1 retourne à Porto pour la 2e et dernière fois, la ville de Lisbonne et l’ACP abandonnent le circuit. Réunis au sein d’un club local (le Club des 100 à l’heure), des enthousiastes décident cependant de pérenniser les compétitions sur le site en amputant le circuit de sa portion d’autoroute. Réduit à 2,7 km, le tracé s’appelle désormais Montes Claros et commence à partir de 1962 à accueillir des épreuves nationales de voitures de sport, formules de promotion et motos. Mais le club a peu de moyens, le tracé urbain et peu entretenu du circuit est de plus en plus inadapté à la vitesse croissante des voitures (un pilote anglais de F3, Tim Cash, y perd d’ailleurs la vie en 1967) et, fort logiquement, l’aventure se termine au bout de 10 ans.

On trouve de tout à Monsanto

Heureusement pour les « fanatiques » portugais, la relève sera alors assurée par le circuit permanent d’Estoril, situé au bord de l’Atlantique à une trentaine de km à l’ouest de Lisbonne. Inauguré en juin 1972, il leur permettra de revoir des courses de niveau international, d’abord de F2 dès 1973, puis un cran au-dessus en 1984 lorsque la F1 reviendra enfin au Portugal, 24 ans après.

Parc MonsantoQuant au Parque florestal de Monsanto, c’est toujours aujourd’hui une oasis de nature où évolue un écosystème très riche. En effet, la proximité de la mer favorise une grande diversité de la faune et de la flore. A propos de faune, la colline de Monsanto est aussi, surtout la nuit, le lieu de commerces interlopes tels le trafic de drogues et la prostitution. Et si certains délinquants se font prendre, ils ne vont pas forcément très loin ; car on trouve aussi à Monsanto une prison de haute sécurité, aménagée dans un ancien fort militaire. Là, des pensionnaires peuvent à l’occasion rendre service à leurs concitoyens. En effet, la prison abrite un chenil où pour 10 € par jour des prisonniers modèles en voie de réinsertion s’occupent de votre chien pendant vos vacances.

Toutes photos © DR sauf :

  • La Cooper à la pompe : Edwards Eves/Revs Digital Library
  • Aston Martin n°10 : Klementaski/Getty Images
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Olivier Favre

Le goût de l’automobile est un atavisme familial transmis par mon père, qui l’a manifesté autant à l’échelle 1 que par les Dinky Toys. Mais l’intérêt pour la course est ma spécificité et j’y suis venu très tôt par les miniatures Solido des 24 Heures du Mans, Ferrari 512 M, Matra et autres Porsche 917. Après le jeu sur les tapis est venu le temps de la collection et du modélisme, de l’abonnement à Sport-Auto puis à Auto-Hebdo. Parallèlement, mes études à Sciences-Po ont confirmé mon intérêt pour l’Histoire et renforcé ma confiance rédactionnelle. Une fois trouvée ma voie professionnelle dans la fonction publique territoriale, j’ai voulu réunir tout cela et écrire sur l’histoire de la course automobile, celle que je n’ai pas vécue, celle que j’aurais aimé vivre. C’est ainsi que j’ai collaboré à Automobile Historique pendant trois ans. Puis sont venus Mémoires des Stands et le magazine Autodiva, qui me permet de garder le contact, précieux pour moi, avec le papier. Et enfin Classic Courses depuis 2012.

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Oreste Morzenti

très intéressant cet article, il nous parle d’une époque dont certains pilotes avaient l’habitude de courir pendant toute leur vie. Par exemple on voit dans la vidéo Jo Bonnier, qui trouvera la mort au Mans en 1972, ou encore Graham Hill, qui arrètera de courir en 1975. Toute une époque!

laurent riviere

Les photos cultes de ce GP de Monsanto sont connues montrant Bernard Cahier qui tend une bouteille d’eau à Harry Schell sur sa BRM qui s’arrête pendant la course pour se désaltérer sous le regard de Bonnier ou encore lorsqu’il déverse un seau d’eau sur Trintignant pour le rafraîchir. En prolongeant l’autoroute on rejoint bientôt le circuit d’Estoril qui paraît aujourd’hui bien défraîchi alors qu’il a connu des moments historiques quand Lauda a arraché in extremis le titre à Prost en 1984 et l’année suivante sous un déluge on assista à l’avènement de Senna.

Pierre Ménard

C’est Jo Bonnier (qui avait alors abandonné), et non Bernard Cahier, qui asperge Schell d’eau à l’aide de son casque, Laurent. C’est pas très grave, l’important est de se rappeler de cette époque où les comportements étaient à 1000 lieues de ce qu’ils sont actuellement (peut-on imaginer un millième de seconde Hülkenberg asperger Bottas – par exemple – au passage d’un virage ) ?

René Fiévet

Pierre,
Désolé de te contredire (un peu) sur ce point. Par curiosité, je suis allé voir cette photographie que je ne connaissais pas, et Laurent Rivière a raison : il existe bien une photographie où on voit Bernard Cahier tendre une bouteille à Harry Schell, sous le regard attentif de Jo Bonnier. La photo est en vente sur ebay : http://www.ebay.com/itm/9×6-Photograph-Harry-Schell-BRM-P25-with-Bernard-Cahier-amp-Jo-Bonnier-Portrait-/272514353283
Mais tu as raison par ailleurs : il existe aussi une photographie où on voit Bonnier asperger Schell avec un casque rempli d’eau.

Pierre Ménard

René, je connais bien évidemment la photo de Bernard qui tend la bouteille à Schell. Pour celle de l’aspersion d’eau sur Schell, je parlais de l’autre, celle où Bonnier asperge Schell. Enfin bref, on se comprend !

René Fiévet

Il y a une histoire à raconter à propos de ce GP du Portugal 1959 concernant Masten Gregory, et qui diffère un peu du texte d’Olivier Favre. Comme nous l’indique ce dernier, Jack Brabham fut victime d’un effroyable accident dont les circonstances auraient pu être fatales s’il n’avait pas été éjecté. Assis par terre, et reprenant ses esprits, il vit la Cooper de son coéquipier Masten Gregory foncer sur lui, sans intention apparente de l’éviter. Il fallut que Brabham fasse une roulade au sol pour ne pas être percuté par son coéquipier. Très mécontent de ce qui venait d’arriver, Brabham… Lire la suite »

Olivier FAVRE

Intéressant ! merci René pour cette précision importante que j’ignorais. De quelle source la tiens-tu ?

René Fiévet

Mince ! J’aurais dû m’en douter… Avec Olivier Favre, il faut citer ses sources. J’ai raconté cette histoire de mémoire, mais j’ai retrouvé assez facilement le témoignage de Jack Brabham à propos de cette affaire http://www.speedcafe.com/2014/06/14/feature-sir-jack-brabhams-life-reflections-part-3/ Voici l’extrait en question, en anglais. “ALMOST RUN OVER BY MASTEN GREGORY During the 1959 Portuguese GP I was having a dice with Stirling Moss and was right up his exhaust pipe and as we were going down the straight we passed another driver who didn’t see me. He swung in to go behind Stirling and (in the process) knocked me straight off the… Lire la suite »

Pierre Ménard

Dans le bouquin de référence « Cooper’s cars » de Doug Nye, il est effectivement précisé que Gregory a tout fait pour éviter les fils électriques du poteau télégraphique abattu par la Cooper de Jack, et qu’il frôla celui-ci qui était assis par terre. Jack raconta par la suite :  » Quand j’ai relevé la tête [après s’être fait éjecter de sa voiture et s’être retrouvé assis sur la chaussée], j’ai eu la vision en face de moi du radiateur de la Cooper de Masten ». Quant à savoir si cela eut une incidence sur le non-renouvellement de contrat de Grégory pour 1960,… Lire la suite »

René Fiévet

Pierre,
Tu as raison d’en douter. Je n’ai effectivement aucun élément pour étayer mon propos, et je suis sans doute allé trop loin. La seule chose que je sais c’est que Masten Gregory, fort déçu de ne pas voir son contrat renouvelé, considérait que Brabham était à l’origine de son éviction de l’écurie Cooper. Non pas à cause de l’incident Monsato, mais parce qu’il le considérait comme trop compétitif. Sans porter d’appréciation sur cet aspect des choses, il est sûr néanmoins que Bruce Mclaren était un coéquipier plus reposant pour Brabham.

Pierre Ménard

Plus « reposant », je n’en suis pas si sûr. Bruce était surtout plus compétitif que Gregory, ses deux victoires consécutives aux USA en 1959 et en Argentine en 1960 en attestent. Il était donc un équipier plus menaçant pour Jack. J’imagine plus que Brabham avait su déceler cher McLaren un pilote analytique qui apporterait bien plus à l’équipe Cooper que Gregory, bon pilote mais certainement pas aussi impliqué techniquement. Mais rien n’interdit de penser que l’épisode de Monsanto ajouta un poids de plus à la décision finale de ne pas renouveler le contrat de l’Américain pour 1960.

laurent riviere

Masten Gegory, pilote talentueux mais indépendant n’eut pas la carrière de pilote usine (hormis 1959) à laquelle il aurait pu prétendre. Il connaissait bien le circuit de Monsanto où il avait remporté le GP de Lisbonne en 1955 sur la Ferrari Monza 750 qui curieusement portait le n° de châssis de la voiture avec laquelle Ascari s’est tué. Comme Moss il courut la plupart du temps pour des écuries privées, avec Temple Buell, Camoradi (victoire aux mille km du Nurbürgring en 1961) et bien d’autres mais sa plus célèbre victoire fut acquise au Mans en 1965 sur la Ferrari du… Lire la suite »

Patrick Sinibaldi

Dans sa plus récente biographie, Brabham ne semblait pas spécialement véhément envers Masten à propos de Monsanto 59. Il affirmait que Masten lui avait sauvé la vie, sûr et certain, à Indianapolis en 64 en lui disant de ne pas lâcher la Thompson de McDonald des yeux car il y allait avoir une catastrophe. Ce que Jack fit. L’accident provoqué par McDonald eut lieu dès le deuxième tour, de mémoire.Jack signale aussi que c’est Masten qui devait conduire la deuxième Cooper à Sebring « car il pouvait être terriblement rapide », pour servir de lièvre et pousser Moss à casser… Mais Masten… Lire la suite »

richard JEGO

L’embardée de Von Trips à MONZA en 1961 ne s’est pas faite toute seule ; elle est la conséquence de l’accrochage de la LOTUS de Jim CLARK avec la Ferrari .
D’après les commentaires de l’époque , vu la supériorité en vitesses des shark nose : Von Trips n’aurait jamais pensé que la LOTUS puisse etre si proche de sa Ferrari d’ou sa manoeuvre et l’accident .

S. Carvalho

 » Mais il est aussi particulièrement dangereux avec son revêtement inégal et bosselé (incluant des pavés et des rails de tramway !)  »
Dangereux, oui, mais sans pavés et des rails de tramway! Ceux la, sont en réalité à Porto.