Ronnie
J’ai eu la chance d’obtenir ce document certainement unique par un ami photographe allemand de Garmish-Partenkirchen, Addie Blumenthall. Il y a pas mal d’années déjà. Il m’a expliqué se trouver en Suède début 1962 pour des reportages sur l’architecture locale. Un peu par hasard il s’est retrouvé dans la banlieue sud de Stockholm à Skarpnäck où il découvrit un circuit automobile (enfin, un ancien aérodrome transformé) peu fréquenté ce jour-là.
Michel Verrando
Une Volvo 122 limait le bitume mais rien de bien exceptionnel. Il m’a raconté être sur le point de partir quand il entendit un bruit autrement plus rageur que celui de la familiale suédoise.
C’est alors qu’il vit surgir de nulle part une sharknose de surcroit bleue avec Stirling Moss au volant.
On sait tous (ou presque) que Ferrari après les exploits du londonien à Monaco et au Nurbürgring voulut à tout prix l’incorporer à la Scuderia. Toutefois à l’avis de Fangio et sa propre réticence à quitter une écurie britannique le firent longuement hésiter. Il réussit finalement l’exploit de convaincre le Commendatore qu’il viendrait mais à la seule condition que la 156 soit aux couleurs de Rob Walker.
Ce qu’on sait moins, c’est que la Ferrari a bien été préparée et envoyée très discrètement en Suède afin de finir de convaincre Moss. Pour revenir à la photo, ce que personne n’a jamais su, est que la Volvo Amazon qui se trouvait là en même temps, effectuait des temps canons. Bien vite les deux pilotes se sont tiré une «bourre» surréaliste et Addie Blumenthall chronométra les deux belligérants. Verdict improbable et pourtant! La Volvo colla 8 secondes à la monoplace italienne.
Il parait que Moss livide injuria le pauvre Eugenio Dragoni incrédule et remit à plus tard sa décision quant à piloter «italien»…
Mais si la colère de Stirling était orientée vers Dragoni, il ne put s’empêcher de vouloir connaître l’effronté à la Volvo.
Décidément, rien ne lui sera épargné : encore une surprise et de taille, le pilote en question était un gamin suédois d’à peine 17 ans au palmarès peu fourni en karting !
Moss l’invita à boire une bière et lui demanda son nom : « Ronnie Peterson ».
Fin de l’histoire ? Pas encore.
Stirling va connaître un terrible accident au Glover Trophy sur le circuit de Goodwood en avril 1962. Sa carrière de pilote s’arrêtera malheureusement là. Quant au projet italo-anglais, il se prolongera sous la forme d’une collaboration avec British Racing Partnership and UDT-Laystall dont Alfred le père de Moss est un des associés. Le pilote étant Innes Ireland.
Le problème est qu’au lendemain de l’International Trophy de Silverstone, Ken Gregory, Ronnie Hoare et Alfred Moss, après avoir entendu les commentaires de Ireland au sujet des roues à rayons qui se déformaient de façon alarmantes et qui l’auraient empêché de teminer mieux que 4ème à un tour du vainqueur, («I was asked to submit a report to Ronnie Hoare at Maranello Concessionaires. I told them that it wasn’t just understeering, but that the wire wheels were flexing everywhere! I suggested that they fit a wider track.») ont envoyé un rapport drastique à Maranello.
Rapport très mal accepté venant de la part de ces satanés britons.
Dragoni persuada Enzo sans trop de difficultés que Ireland n’était pas le pilote idéal pour la Scuderia. Il est vrai qu’une de ses récentes frasques lors du Grand Prix de Solitude où il célèbra passablement saoul sa victoire en tirant des coups de feu depuis le toit de son hôtel, faisait plutôt mauvais genre !
Encore une fois, c’est sous le prétexte d’accords commerciaux qu’on déplaça le curseur. Innes étant sous contrat avec BP (British Pétroleum), Ferrari, sous contrat Shell, l’excuse était toute trouvée.
Maranello ne traversera donc pas le Channel et la Sharknose ne sera ni bleu foncé, ni vert pâle.
D’un autre côté le Commendatore demandera à ses hommes de surveiller discrètement ce gamin suédois surdoué au volant de son Amazon au nom de Peterson au cas où…
Quant à Alfred Moss et ses associés ulcérés par ce marché de dupes, ils trouveront une alternative au procès en exigeant la vente au prix d’une livre symbolique d’une 250 GTO pour Innes et Masten Grégory… Bonne affaire comptable donc.