Jackie Stewart 1965
18/06/2025

Jackie Stewart 1965 : L’autre Écossais.

2e partie : Une saison exceptionnelle.

Jackie Stewart avait indubitablement impressionné les connaisseurs en 1964 avec sa mainmise sur la F3 britannique, mais il demeurait inconnu du grand public à l’ouverture du championnat de Formule 1 1965. En quelques semaines, le jeune Écossais changea totalement la donne, avec une assurance étonnante.

Pierre Ménard

Monza 1965, en route pour la gloire © DR

Vous pourriez aussi aimer :
Jackie Stewart : son combat pour la sécurité.
Jackie Stewart : le deal Matra-Tyrrell.

La saison 1965 de Formule 1 commençait bizarrement mi-décembre 1964 par une course hors-championnat en Afrique du Sud, le Grand Prix du Rand sur le circuit de Kyalami. Pour les équipes venues d’Europe, cette épreuve servait de préparation pour le grand prix officiel prévu le 1er janvier 1965 sur le tracé d’East London. Le team Lotus y avait inscrit deux Type 33, confiées à Michael Spence et Jim Clark. Peu avant l’envol vers le continent africain, eut lieu à Cortina d’Ampezzo dans les Alpes italiennes, un petit séjour récréatif entre pilotes. Lors d’une furieuse bataille de boules de neige, Jimmy ne fut pas le dernier à canarder ses congénères et, malheureusement pour lui, se coinça le dos !

Débuts chez… Lotus

En prévision de l’ouverture officielle à East London, il préféra mettre ses vertèbres au repos et en avertit Colin Chapman. Qui se souvint des belles dispositions démontrées par le jeune Stewart lors des tests à Brands Hatch l’été passé et surtout de sa victoire en F2 à Snetterton sur une Lotus 32. Il lui proposa carrément de remplacer son pilote vedette, BRM n’ayant pas jugé indispensable d’être présente à Kyalami. Ainsi John Young Stewart éprouva-t-il le singulier plaisir d’effectuer ses premiers tours de roues officiels dans la catégorie reine dans le baquet de son illustre compatriote !

Grand Prix du Rand 1964 : débuter en Formule 1 dans une autre écurie que la sienne et dans le baquet de son compatriote vénéré, voilà qui n’est pas banal © DR

Il s’y comporta de manière plus qu’honorable, malgré une casse mécanique dans la première manche, en gagnant la deuxième devant son futur coéquipier chez BRM, Graham Hill, qui pilotait pour l’occasion une Brabham de l’écurie de John Willment ! Mais le véritable examen allait avoir lieu quinze jours plus tard sur les bords de l’Océan Indien à East London. Le débutant le passa haut-la-main en terminant cinquième pour son premier grand prix officiel. Puis s’annoncèrent les courses hors-championnat britanniques. Même si ces manifestations étaient non officielles, elles restaient relevées et il convenait d’y briller.

Cet article qui pourrait vous intéresser :  Zandvoort Circuit,

Sans complexes, Jackie termina deuxième de la Course des Champions à Brands Hatch, établit à Goodwood la pole devant Clark et Hill pour le Sunday Mirror Trophy – avec malheureusement un abandon mécanique à la clé – puis enleva l’International Trophy à Silverstone devant le tout frais champion du monde, John Surtees sur sa Ferrari. En quelques semaines, tout le gotha du sport automobile savait désormais qui était ce nouveau pilote au casque blanc orné du tartan de son clan ! Ne restait plus qu’à confirmer ces beaux résultats dans les compétitions officielles à venir.

Entrée réussie dans la cour des grands : Jackie engrange ses premiers points dans le Grand Prix d’Afrique du Sud 1965 © Motorsport

La lumineuse éclosion

Monaco fut la première. Et quoi de plus beau que de s’offrir son premier podium dans une des courses les plus prestigieuses, qui plus est derrière Graham Hill qui engrangeait là sa troisième couronne d’affilée en Principauté ! Mais l’ardent Écossais ne comptait pas s’arrêter en si bon chemin. Il termina deuxième derrière Jim Clark sur l’exigeant circuit de Spa-Francorchamps et encore deuxième sur le tracé technique de Charade. A cette occasion se produisit un événement assez significatif dans la relation Clark-Stewart.

Terminer deuxième sur un circuit aussi dangereux que Spa sous la pluie pour sa première apparition dans les Ardennes magnifia grandement le statut de Jackie Stewart © Rainer Schlegelmilch

Après ses succès en Formule Tasmane et surtout à Indianapolis, Jim était en train de dominer de toute sa classe une saison qui ne pouvait lui échapper. Sur le circuit auvergnat, il démontra sa maîtrise absolue du pilotage en portant son avance à près de quarante secondes sur son poursuivant immédiat qui n’était autre que Jackie. Estimant que rien ne pouvait plus lui arriver, le plus âgé des deux Écossais leva imperceptiblement le pied pour éviter tout pépin en fin de course. Mais quelle ne fut pas sa stupéfaction de voir bientôt dans ses rétros grossir la BRM de son compatriote ! Jim ne craignait pas pour sa victoire, mais pour la vie de son jeune adversaire. Redoutant qu’il ne tente une folle manœuvre pour le dépasser, le pilote Lotus remit les gaz pour dételer définitivement son concurrent, ainsi qu’il l’avoua après la course à son grand ami Graham Gauld (1).

Départ à Charade : Jackie est troisième (12) derrière Lorenzo Bandini (4) et Jim Clark (1) © LAT

Victime d’un mauvais choix de pneus à Silverstone, Jackie ne put faire mieux que cinquième, mais une semaine plus tard dans les dunes de Zandvoort, il remit le couvert en grimpant sur le podium aux côtés de Jim qui se dirigeait à fond de cinquième vers un sacre mondial amplement mérité. Si le titre de meilleur débutant avait existé, il aurait sans conteste été décerné à Jackie Stewart. Mais le plus beau restait à venir.

Cet article qui pourrait vous intéresser :  Robert Simac : La passion en partage 2/3

Sur le tracé de référence qu’était le Nürburgring, la nouvelle coqueluche du sport automobile fit encore forte impression aux essais en étant plus rapide que tout le monde, à l’exception de Jimmy, bien entendu. N’oublions pas qu’il découvrait ce circuit à nul autre pareil ! Il démontra par contre en course qu’il restait perfectible en faisant une légère faute qui lui fit taper une borne sur le bas-côté avec pour conséquence une rupture de suspension. Mais la journée restait belle pour l’Écosse : par son éclatante victoiresa toute première ici – Jim Clark devenait le champion du monde 1965 ! Les trois derniers grands prix seraient disputés sans pression.

Forza Stewart !

La tension monte sur la première ligne à Monza entre Jackie Stewart, John Surtees et Jim Clark (Graham Hill est derrière) © DR

A l’inverse du Ring, Monza représentait un circuit « sans grandes difficultés mais où il fallait être brave », selon les propres mots de Jackie. Et aller chercher sa chance ! De fait, le jeune Écossais sentait qu’il y avait un coup à faire dans ce temple de la vitesse. Même s’il était devancé aux essais par Clark et Surtees, il occupait la première ligne. Et savait qu’ici, rien ne servait de mener d’entrée : il fallait avant tout rester dans le wagon de tête jusqu’à l’avant dernier tour pour faire tapis dans le dernier. Sa BRM se comportait bien, il suffirait de correctement se faire aspirer au moment venu.

La course fut en tous points conforme à ce qu’on pouvait attendre des affrontements dans ce Parco Reale enfiévré : les leaders Clark, Hill et Stewart s’échangèrent régulièrement le commandement, jusqu’à ce que Il grande Surtees vienne mettre tout le monde d’accord pour le plus grand bonheur des tifosi massés dans les gradins, les arbres et même les panneaux publicitaires. Hélas, la belle Ferrari rouge réintégra soudainement les stands, embrayage fusillé. Dan Gurney sur sa Brabham vint alors prendre place dans la discussion, avant d’abandonner. Ne restait plus que les deux BRM face à la Lotus, qui dut à son tour se retirer sur un problème d’injection – premier abandon cette saison pour Jim Clark. Il n’y avait plus qu’une quinzaine de boucles à couvrir et, ni Hill, ni Stewart ne voulaient lâcher prise !

Cet article qui pourrait vous intéresser :  Wolfgang von Trips - 60 ans
En action dans la fameuse Parabolica où tout se joue dans l’avant-dernier tour © DR

Les deux sociétaires de BRM se rendirent coup pour coup jusqu’à cet avant-dernier tour où tout devait se décider. Ils débouchèrent côte à côte dans la Parabolica qui conditionnait la très longue ligne droite des stands. Stew tenait fermement l’intérieur et poussa Hill à glisser vers l’extérieur jusqu’à la portion de la piste moins utilisée… et donc copieusement garnie de gravillons. Le public se leva d’un coup en voyant la BRM partir en travers, être habilement rattrapée par son pilote, puis survirer de l’autre côté pour enfin retrouver la bonne trajectoire. Mais il était trop tard ! Master Stewart venait de s’envoler vers sa première victoire dans le championnat de Formule 1.

Quelle saison !

L’an passé, ils portaient en triomphe « Il grande Surtees », cette année, c’est le nouveau chouchou écossais que les tifosi en délire amènent vers le podium © Motorsport

Submergé par les événements, Jackie fut porté en triomphe par les spectateurs ayant envahi l’autodrome, comme il était de tradition à Monza. Puis revenant vers son stand, il alla voir Graham, presque confus de ce qui venait de se passer. Celui-ci lui assura qu’il n’était en rien fautif, qu’il n’avait fait que son boulot… et l’avait bien fait. « Graham Hill est un des hommes les plus droits et les plus honnêtes que je connaisse. Il ne me garda aucune rancune de l’incident. Il m’entoura de considération, c’était pour moi un maître et un modèle vivant » précisa Jackie Stewart des années plus tard (2).

Au soir de ce fameux Grand Prix d’Italie, Graham et Jackie n’étaient plus séparés que d’un petit point. L’Écossais ne fut pas en veine lors des deux dernières manches aux États-Unis et au Mexique alors que son coéquipier triompha à Watkins Glen. Au final, le moustachu anglais conservait une petite avance au championnat sur son dauphin et terminait deuxième (loin) derrière l’intouchable Clark. Le natif de Dumbarton pouvait, lui, se réjouir d’une première saison exceptionnelle dans la cour des grands : une troisième place au championnat, une victoire et quatre podiums démontraient à quel point il faudrait compter avec ce jeune homme précocement mature. Deux ans devraient néanmoins s’écouler pour le voir accéder aux plus grands honneurs, grâce aux retrouvailles avec son mentor Ken Tyrrell.

Entre les deux coéquipiers de chez BRM (ici vus au Mans en 1965 lors de leur prestation sur la Rover à turbine), l’entente et le respect ont toujours été maximum © DR

(1) Anecdote recueillie lors d’une interview en 2018 pour Grand Prix Magazine.

(2) Grand Prix, Jackie Stewart & Eric Dymock © Solar sport 1970

5 2 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notifier de
guest

3 Commentaires
le plus ancien
le plus récent le plus populaire
Inline Feedbacks
View all comments

D’autres articles à découvrir :

Vous avez apprécié cet article ? Partagez-le !

Facebook
LinkedIn
WhatsApp

Visitez notre boutique en ligne :

Vos commentaires les plus récents :

Contribuez à Classic-Courses

Pour raconter l’histoire de la course automobile, il nous faut du temps, de la documentation, des photos, des films, des contributeurs de tous âges et des geeks qui tournent comme des F1 !

Nous soutenir

Pour que notre aventure demeure bénévole et collaborative et que nous puissions continuer à écrire nos articles au gré de nos envies, en toute indépendance.