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Grand Prix de Pau 1955

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Behra, Ascari et la Lancia D50

Au moment même où va avoir lieu le Pau Classic Grand Prix (19-21 mai 2023), il nous a semblé opportun de participer à notre façon à ce grand évènement en diffusant ce documentaire, totalement inédit, sur l’épreuve de formule 1 qui s’est déroulée à Pau le 11 avril 1955. Ce documentaire a été réalisé par une équipe américaine, dont j’ignore absolument tout.

René Fiévet

Production américaine

Grand Prix de Pau1955
GP de Pau1955 © DR

La seule chose que l’on sait, c’est qu’ils ont produit beaucoup de documentaires sur le sport automobile des années 50 aux Etats Unis, et qu’il leur est apparemment venue l’idée d’aller faire un tour en Europe au printemps 1955 pour voir un peu ce qui s’y passait. A cet effet, ils ont assisté à quatre épreuves et produit autant de documentaires : Le GP de Pau, le GP de Monaco, le GP de Belgique et enfin les 24 heures du Mans. Comme toujours, ce genre de produit cinématographique finit son existence sur Youtube, où on peut les consulter à l’adresse Fabulous Fifties. Pour la présente occasion, j’ai donc choisi le GP de Pau. J’ai traduit le commentaire et mis, moi-même, les sous titres en français (1). La qualité de l’image n’est pas formidable, mais suffisante néanmoins.

En ce qui concerne la course elle-même, l’habile montage des documentaristes laisse imaginer qu’il s’est agi d’une course trépidante, incertaine jusqu’au bout. En fait, il n’en fut rien : la course fut longue (3H02, soit le double d’un GP moderne), et son déroulement monotone. Si le public avait dès les cinq premiers tours espéré assister à un duel Behra-Ascari, il fut bien vite évident que la Maserati du premier était loin d’égaler en performance la Lancia du second. Et probablement aussi, les pilotes eux-mêmes étaient de classe inégale.

Duel Maserati – Ferrari au Grand Prix de Pau 1955

Le « campionissimo » Ascari, deux fois champion du monde, deux fois vainqueur à Pau en 1952 et 1953, avait pour lui, en plus de l’avantage que lui donnait sa machine, celui d’une plus grande autorité, et d’une plus grande maîtrise. Il eut tôt fait, parti en seconde position, de remonter Behra puis de le dépasser. Vingt tours avant la fin, Ascari devançait son rival de quarante secondes. Le Grand Prix semblait joué. C’est alors que la chance sourit à Behra. Une rupture de canalisation de frein ayant obligé Ascari à s’arrêter, le pilote français força l’allure et profita de la panne de son concurrent pour lui prendre deux tours. Castelloti, le compagnon d’écurie d’Ascari, tenta bien de revenir sur la Maserati, mais c’était sans espoir.

Behra, sûr de la victoire, termina avec aisance à une allure réduite, sans prendre jamais de risques, certain de n’être plus inquiété par Ascari qui, ayant repris la piste, tenta en vain de combler son retard, prenant tous les risques et finissant avec un tour de retard.

Jean Behra – Maserati 250 F – GP de Pau1955 © DR

La Lancia D50

La principale attraction de ce Grand Prix fut l’arrivée en force de la Lancia V8, avec trois voitures engagées pour Ascari, Villoresi, et Castelotti.

Conçue par l’ingénieur Vittorio Jano, la Lancia présentait plusieurs nouveautés, la principale étant probablement son moteur V8 de 2500 CC en V, très compact et léger. C’est le premier V8 apparu en compétition de Formule 1. Une autre nouveauté était que ce moteur est porteur, participe à la rigidité du châssis et reçoit des éléments de fixation des suspensions, une idée qui sera reprise bien plus tard par Colin Chapman avec le Ford Cosworth et la Lotus 49. Troisième nouveauté : le moteur est placé en biais, selon un angle de 12° par rapport à l’axe longitudinal de la voiture, afin de positionner l’arbre de transmission à gauche du siège du pilote et non pas sous celui-ci : le pilote est ainsi assis plus bas que sur les autres monoplaces, ce qui abaisse d’autant le centre de gravité de l’ensemble machine-pilote.

Lancia D50 – GP Argentine 1955 © DR

Enfin, la voiture apparaît avec des réservoirs d’essence latéraux qui lui confèrent une apparence totalement inédite. Conçue en 1954, cette voiture avait connu une gestation difficile mais était tout de suite apparue extrêmement compétitive à l’occasion de sa première apparition au GP d’Espagne de 1954 où Ascari avait réalisé le meilleur temps aux essais. Ayant pris la tête du GP, Ascari avait dû abandonner au dixième tour. La voiture n’était plus réapparue en grand prix pour la suite de la saison. Au moment du GP de Pau, Ascari vient de remporter sa première victoire sur la Lancia, le 27 mars 1955, à l’occasion du GP de Turin.

Inutile de s’étendre sur le destin de cette monoplace. Tous les passionnés de sport automobile savent ce qu’il advint : l’équipe Lancia ne se remettra jamais de la mort de son premier pilote à la fin du mois de mai 1955 ; puis elle fera faillite et cèdera ses voitures à Ferrari pour la saison 1956. La Lancia D50 deviendra la Lancia-Ferrari D50, après avoir fait l’objet d’un certain nombre de modifications, et remportera le titre de champion du monde en 1956 aux mains de Fangio.  

Les DB Monomill Compresseur

Grand Prix de Pau 1955
Monomill Compresseur – Storez – Armagnac – GP de Pau 1955 © DR

Une autre attraction du Grand Prix de Pau 1955 fut l’apparition pour la première fois des DB Monomill Compresseur à moteur suralimenté de 750 cc, aux mains de Paul Armagnac et Claude Storez. En se fondant sur la réglementation édictée par la CSI (Commission sportive internationale), qui admettait l’équivalence entre des 2.500 cc et les 750 cc à compresseur, et sous l’impulsion de Charles Deutsch qui croyait fermement la chose possible, René Bonnet les lança dans l’aventure. Il est vrai que le circuit en ville avait toute la configuration pour favoriser la maniabilité au détriment de la puissance. L’équation était la suivante : une voiture développant aux alentours de 85/90 CV pour un poids de 350kg pourrait-elle rivaliser face aux 250 CV et 700 kg des Ferrari, Maserati, Lancia et même aux Gordini ? En définitive, ce sera une amère déception : le moteur manquait de nervosité et la tenue de route, sur laquelle on comptait beaucoup, ne rendit pas les services attendus. Dépassées en performance, les voitures se qualifièrent en toute fin de grille à 17 secondes du meilleur tour réalisé par Jean Behra. En course, Storez dut abandonner au 65ème tour sur rupture du couple conique et Armagnac se trainera jusqu’à la 10ème et dernière place à 18 tours du vainqueur. L’expérience ne fut pas renouvelée (2).

Mario Alborghetti

Grand Prix de Pau 1955
Mario Alborghetti – GP de Pau1955 © DR

Le fait le plus marquant de ce Grand Prix de Pau 1955 fut la mort tragique d’un jeune pilote italien de vingt-six ans, Mario Alborghetti, commerçant à Milan. Jeune homme riche, Mario Alborghetti avait chargé le designer Gianpaolo Volpini et l’ingénieur Egidio Arzani de lui construire une voiture de Grand Prix. A cet effet, ils avaient acquis une Maserati 4CLT construite en 1950. La voiture avait été modifiée, avec une nouvelle carrosserie et un moteur conforme à la réglementation de Formule 1 de 2,5 litres alors en vigueur. La voiture, dénommée Volpini-Arzani, fut juste prête à temps pour le Grand Prix de Pau 1955. Pau était considéré comme un circuit difficile, surtout pour un pilote aussi inexpérimenté qu’Alborghetti.

Aux essais, il avait établi le 15e temps sur 16 concurrents, à près de 19 secondes du meilleur temps réalisé par Jean Behra. Au 29e tour de la course, après trois arrêts aux stands, Alborghetti était loin derrière la majorité du peloton quand, en arrivant au virage en épingle à cheveux de la gare, il fut apparemment distrait par la proximité de la Gordini de Jacques Pollet qui s’apprêtait à le dépasser. Il semble qu’Alborghetti appuya sur l’accélérateur au lieu des freins. Pulvérisant les bottes de paille, renversant une palissade, le bolide rouge bondit vers les premiers rangs de la foule, stoppant miraculeusement à un mètre d’elle. On releva sept blessés légers, tandis qu’Alborghetti, victime d’une fracture du crâne, décéda dans les bras des sauveteurs. Etrangement, la voiture était presqu’intacte. La Volpini-Arzani fut engagée à nouveau au GP d’Italie avec pour pilote Luigi Piotti, mais sans succès. Elle ne fut pas capable de faire un seul tour lancé aux essais et ne se qualifia pas pour la course. Elle disparut définitivement des circuits automobiles.

Alberto Ascari

Alberto Ascari © DR

Pour finir, ce documentaire sur le Grand Prix de Pau 1955 met particulièrement en valeur la personne d’Alberto Ascari, personnage sympathique et volubile. Si on considère que la Maserati de Behra avait largement dominé les deux autres Lancia conduites par Castelotti et Villoresi, le déroulement de la course témoigne de l’immense talent d’Ascari qui domina l’essentiel de la course de la tête et des épaules. Un mois plus tard, il aurait probablement remporté le GP de Monaco s’il n’avait pas malencontreusement glissé sur la tache d’huile laissée par la Mercedes de Moss qui le précédait et qui devait rapidement abandonner. Quatre jours plus tard, ce fut l’accident mortel lors d’une banale séance d’essais sur la piste de Monza. Sans cet accident, on sait avec certitude que l’histoire de la Formule 1 des années 50 se serait écrite de façon bien différente

Classement du Grand Prix de Pau 1955

Grand Prix de Pau 1955

Notes

  • Je n’ai rencontré qu’un problème de traduction : quel est le nom du virage à gauche qui passe sous le pont routier ? En principe, il s’agit du virage du Pont Oscar. Mais on entend autre chose. J’ai cru deviner « Léon Say », du nom de l’avenue qui mène au Pont Oscar.
  • Pour en savoir plus sur ces Monomil de Formule 1, on peut se reporter à l’article de Charly Rampal : DB Monomil 750 CC Compresseur sur son blog Panhard Racing Team.
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René Fievet

Né en 1952, économiste de formation, René Fiévet vit à Washington DC où il est fonctionnaire international. Dès son plus jeune âge, il a été passionné par les courses automobiles, notamment en lisant les histoires de Michel Vaillant. Il a appris à lire avec « Le pilote sans visage ». Mais vivant à l’étranger dans sa jeunesse, en Extrême Orient et en Afrique, il a plus rêvé le sport automobile qu’il ne l’a vraiment connu. Ce qui arrange bien les choses quand il s’agit d’écrire sur le sujet. Comme tous les passionnés qu’on rencontre dans Classic Courses, René Fiévet pense évidemment que « c’était mieux avant ». Mais à force de répéter ce qui est pour nous une évidence, on risque de passer pour un vieux con. Alors, pour faire taire les sceptiques, les convaincre que le « c’était mieux avant » n’est pas une impression, ni même une opinion, mais une vérité solidement établie, et vérifiable, il faut transmettre quelque chose de ce passé révolu. Et comment transmettre autrement qu’en écrivant ?

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12 Commentaires
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ferdinand

Merci pour ce film et vos commentaires.
Je ne connaissais pas le documentaire, dont l’apparente candeur me surprend encore alors que j’y retrouve cette recherche d’exotisme typique de l’après-guerre, quelque part entre Vacances romaines et Bonjour tristesse, ces films que les Américains venaient tourner en Europe pour y saisir des couleurs locales bien rehaussées.
Les typologies nationales sont appuyées mais sans condescendance, le résumé s’arrange des détails et se révèle pourtant crédible : entre la vérité et la légende, le film ne cherche pas à choisir. La synthèse finit par séduire.

Linas27

J’oserais un commentaire plus prosaïque que mon prédécesseur qui semble imprégné par le siècle des lumières…Je ne connais ce virage sous le pont routier que du nom de « Pont Oscar » mais mon expérience est limitée… Peut-être que Léon (Zitrone) était passé par là qui avait soufflé au commentateur US le nom du virage en question, en précisant que le secteur était baptisé comme lui. Merci pour ce film et ce commentaire sur l’ évènement datant de 1955, année où je commençais tout juste à marcher. Une atmosphère qui fait rêver face à l’ineptie caractérisant souvent les Grands Prix actuels.

Dominique LHOMME

Concernant le virage à gauche qui passe sous le pont routier, il s’agit bien du Pont Oscar, mais je pense que le commentateur fait allusion au droite qui suit immédiatement, il s’agit du virage Lycée. Eric Bhat doit être en mesure de confirmer mon propos.

Rene Fievet

Adjugé ! Je viens d’écouter à nouveau, et le commentateur dit effectivement « virage du Lycée » et non « virage Léon Say ».
Merci pour votre correction.

Jean-Paul Orjebin

Formidable document qui permet grace à l’effet loupe de René Fievet d’entrer dans le detail d’une course fatalement oubliée.

Johnny Rives

Le circuit de Pau en ces années là, était devenu chasse gardée pour Jean Behra. En 1954 il y avait battu, au volant d’une Gordini, son grand rival français Maurice Trintignant (Ferrari) au terme d’une furieuse bataille. En 1955, René Fiévet nous narre tout par le détail. J’ajouterais que sur la photo de vainqueur qui lui est consacrée on aperçoit à gauche, tenant le bouquet, sa compagne d’alors Michèle Colson. En 1956 les circuits étaient contraints à d’importants travaux exigés à cause de la catastrophe du Mans de 1955. L’A.C. Basco-Béarnais n’étant pas prêt il fallut attendre 1957 pour retrouver… Lire la suite »

Christophe THIERY

C est génial.. j avais déjà envoyé des documents sur les essarts avant que le site change d administration. Les avez vous
Cordialement

Philippe ROBERT

Vittorio Jano, concepteur des moteurs celebres d´Alfa Romeo.

Le premier fut un moteur 8 cylindres en ligne monté sur l’Alfa Romeo P2, qui remporta un nombre considérable de Grands Prix de Formule 1 depuis ses débuts au Grand Prix de France avec Giuseppe Campari comme pilote.
Il crée ensuite le moteur révolutionnaire 6 cylindres en ligne à deux arbres à came en tête qui équipa les Alfa Romeo 6C 1500, en passant par le moteur 8 cylindres en ligne pour arriver au 12 cylindres en V de 1937.

Luc Augier

Très intéressant document et félicitation pour la traduction des commentaires. Une émotion supplémentaire en apercevant le visage de Georges Fraichard auquel je dois d’avoir débuté dans le journalisme automobile peu avant qu’il disparaisse, à l’hiver 1964.

Christophe Montariol

Difficile de ne pas savourer cette belle trouvaille de René Fiévet. Merci pour les sous-titres et pour la recherche documentaire.
Difficile aussi de ne pas savourer tout ce qui fait le sel du film : l’intérêt historique bien sûr, aussi bien que le sous-jacent discours comparatif, réellement délicieux, entre Europe et Etats-Unis. Les Etats-Unis sont encore, à l’époque, « The Largest Country » à tout point de vue…

Landes Bernard

Cet excellent reportage de 1955 est révélateur de l ‘ambiance et de l ‘organisation des courses automobiles à cette période . S’agissant d’un document filmé en couleurs , je me suis permis de le faire connaitre à Chantal Armagnac , car on y voit son père , Paul Armagnac , en conversation avec René Bonnet , avant le départ ( 2’.25 « ) . Elle a été ravie de revoir son papa sur ce rare document filmé et s’est empressée de transmettre l ‘information à ses soeurs . Paul Armagnac a eu 4 filles , toutes ayant un prénom commençant par… Lire la suite »

Landes Bernard

Puisque la rédaction m ‘encourage à le faire , je vais évoquer un autre souvenir de l ‘année où j ‘avais été placé comme commissaire – signaleur au drapeau bleu , au pont Oscar , sur le circuit de Pau . Ce virage à gauche , sous le pont , en fin de montée , est sans visibilité et sans échappatoire. En cas crash à cet endroit , ou de perte de pièces sur la piste , les commissaires agitaient les drapeaux jaunes et essayaient , souvent vainement , de  » canaliser  » les voitures par des gestes de la… Lire la suite »