5 mai 2014

Ayrton Senna, témoignages Bernard Asset, Philippe Streiff

Sur la route d’Ayrton : Bernard Asset – Philippe Streiff

Pilotes, éditeur, journalistes, leur route a croisé celle d’Ayrton Senna. Nous leur avons demandé en quelles circonstances et le souvenir le plus marquant qu’ils gardaient de l’homme comme du pilote. Certains ont répondu brièvement, d’autres ont pris la plume ou bien se sont investis dans un échange beaucoup plus approfondi. A chaque fois, il y a eu comme un soupir ; « Ah… Senna… », expression de regret, d’admiration ou même, plus rarement, de sentiments contrastés. Mais face au talent, au tempérament d’eau et de feu, à la dimension mystique que le pilote a imprimé à la course, c’est finalement au personnage d’exception que tous se réfèrent.

Propos recueillis par Pierre Ménard

 pierre ménard,philippe streiff,bernard asset,ayrton sennaBernard Asset, photographe – Rétromobile 2014

La toute première fois où je le vois, c’est en 1978. J’étais débutant à Auto Hebdo où il y avait un autre débutant pigiste qui couvrait le karting, Lionel Froissart. Il m’emmène en septembre au Mans pour le championnat du monde de karting, domaine que je découvrais. Arrivés sur place, il me montre un coureur et me dit : « Tu vois ce type avec le casque jaune, Da Silva ? Ne le perds pas de vue, fais des photos, parce que je suis sûr qu’on le verra un jour en Formule 1 ». Ce fut ma première « vision » d u phénomène.

Je perdu de vue durant toutes ses années « pré F1 ». Couvrant la F1 pour Grand Prix International, je l’ai logiquement revu en 1984 quand il débarque chez Toleman. Et la première fois où je lui ai parlé, c’est à Zolder. On manquait de photos du « petit débutant » et on m’a demandé d’en faire sur ce Grand Prix. Je suis allé dans l’espèce « d’hospitality » de l’époque, au dessus des stands où il déjeunait. Il était assis par terre avec une assiette de pâtes, et je me présente : « Je suis Bernard Asset et je dois faire une photo de vous pour Grand Prix International ». Il me répond : « Oui, je sais qui tu es, c’est toi qui a fait les photo de Nelson Piquet sous l’eau ». Là, j’étais bluffé. L’année précédente, j’avais effectivement fait un sujet en Sardaigne avec Piquet qui avait eu une lubie : des photos de lui sous l’eau. J’avais un Nikonos, un petit appareil sous-marin, et j’avais fait des photos toutes bêtes où on le voit sous l’eau avec un masque et un tuba. Et Ayrton s’en rappelait. Ça m’a surpris qu’il se soit intéressé à ça, au nom du photographe. Il s’est arrêté de manger, j’ai fait ma photo et voilà.

Le souvenir ? Peut-être celui-ci, parce que ça m’avait marqué. Ce qui était surprenant chez lui était se façon de s’exprimer, toujours très précise, en choisissant les bons mots, en évoquant parfois des choses un peu mystiques. Je n’ai jamais vu ça chez aucun autre pilote. Il n’y avait qu’avec ses compatriotes où il se lâchait vraiment.

 

Philippe Streiff, ex pilote F1 et organisateur d’événements sportifs  – Rétromobile 2014

3668595406J’ai débuté en F1 la même année que lui, mais je n’ai fait qu’un Grand Prix alors que lui a fait toute la saison. J’étais pilote d’essais chez Renault et j’ai pu courir le dernier Grand Prix au Portugal, à Estoril. Et là, Senna m’a vraiment impressionné par sa détermination, plus encore l’année suivante au même endroit quand il a gagné sous la pluie. Pour moi, Estoril ça reste Senna. En plus il était Brésilien, il avait une maison à Faro, tout ça…

Mon plus beau souvenir avec lui c’est quand il est venu au Elf Master Kart à Bercy en 1993. Alain Prost avait annoncé sa retraite quelques mois auparavant et j’étais allé voir Senna en lui disant : « Si tu viens à Bercy, ça sera ton dernier duel avec Alain sur une piste ». Il était venu à Paris 15 jours avant pour son histoire de blâme avec la FIA suite à la claque qu’il avait donné à Irvine au Grand Prix du Japon. Il avait signé pour Renault en 1994, mais jusqu’à la fin de l’année 1993, il était pilote Shell. Je vais le voir à son hôtel, le Warwick à côté des Champs-Élysées, il me dit : « Je ne suis pas sûr de venir, je suis pilote Shell ». Il avait surtout envie de rejoindre son pays pour aller faire du ski nautique et était assez en pétard à cause de cette histoire de blâme. Je lui dis : « Ecoute, sur le kart à la place de Elf, on met TAG-Heuer qui est notre chronométreur officiel et en même temps ton sponsor ». Le lendemain, il m’envoie un fax du Brésil : « J’ai trouvé : on va mettre mon nouveau logo Senna driven to perfection de mes produits franchisés qu’on va lancer avec Viviane ». Je lui ai fait faire un kart tout blanc, lui a amené une combinaison blanche également avec TAG-Heuer, Driven to perfection et Nacional, son sponsor fétiche depuis ses débuts, et il est venu. La dernière fois.

Illustration @ Nicolas Cancelier – http://www.nicolascancelier.blogspot.fr/

Photo Bernard Asset @ Bernard Asset – http://www.bernardasset.com/

Photo Philippe Streiff @ Olivier Rogar

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