21 mars 2023

Il est libre, Mike (2/2)

Nous avons laissé Mike Thackwell au terme d’une saison 82 pauvre en résultats, mais qui l’a remis en selle. De retour chez Ralt, il paraît prêt à reprendre le fil d’une ascension vers les sommets que beaucoup lui ont prédite.

Retour à la maison pour Mike Thackwell

Olivier Favre

Après une saison qui fut aussi difficile pour Ralt que pour Mike, les deux repartent du bon pied en 83. Au sein de la petite écurie anglaise Mike Thackwell trouve une seconde famille et renoue avec Ron Tauranac une relation amicale et quasi filiale. L’ingénieur comprend le mode de fonctionnement et les besoins de son jeune pilote. Très tolérant, il le laisse passer ses week-ends libres à faire du moto-cross avec son mécano, activité à risque en général très mal vue chez les patrons d’écurie. Au-delà de l’amitié, Ron et Mike, c’est une histoire de respect et d’admiration mutuelle : pour la justesse technique chez l’un, pour la vitesse innée chez l’autre.

Mike Thackwell
Un dialogue fructueux avec Ron Tauranac – © DR

Mais Tauranac ne se laisse pas guider par ses sentiments. A la mi-saison, Thackwell et son équipier Jonathan Palmer sont au coude-à-coude derrière le leader du championnat d’Europe, Gabbiani (March). Il est donc prudent de faire un choix. Tauranac décide de donner la priorité à Palmer, qui a le mérite d’être resté dans l’écurie après une saison 82 ratée. L’Anglais aligne cinq victoires consécutives et décroche le titre, Thackwell assurant par ses places d’honneur le doublé Ralt au championnat.

Titre F2 et dernière apparition en F1

En 1984, au milieu de sa cinquième saison de F2, toujours chez avec Tauranac, Mike fait une seconde incursion en F1. A nouveau à Montréal où il remplace Jonathan Palmer chez RAM. Mais on ne peut pas dire que ce soit un cadeau : avec son moteur Hart l’équipe de John MacDonald ne fait que de la figuration. Qualifié en dernière ligne, devant son équipier Philippe Alliot, Mike fait une course anonyme, qui s’achève au 30e tour par une casse mécanique. On le revoit un mois plus tard en Allemagne chez Tyrrell, pour un autre intérim. Mais là encore, c’est plus un piège qu’une promotion dans cette équipe qui a perdu tout son lustre passé et qui reste la seule à se contenter d’un bon vieux V8 Cosworth. Un atmo à la peine sur les longues lignes droites d’Hockenheim, résultat une non-qualification.

Thackwell au Canada
Deuxième et dernier départ en F1 au GP du Canada 1984 – © LAT

Avec les deux plus lentes monoplaces du plateau, il ne pouvait pas faire de miracles. Ces modestes performances ne remettent donc pas en cause le talent de Mike. D’autant qu’il décroche enfin le titre européen, et avec panache. En cette dernière saison avant l’avènement de la F3000, il a dominé ses rivaux de la tête et des épaules : 7 victoires en 11 courses ! Son équipier Roberto Moreno, pourtant pas un manche, a dû se contenter des miettes.

En cette fin de saison 1984, Mike Thackwell déclare dans une interview « J’aime la course automobile et je veux y donner mon maximum ». Et le journaliste Ian Phillips de conclure : « Il devrait devenir, ces prochaines années, l’un des plus grands pilotes de sa génération ». (1)

Ralt - Mike Thackwell
La Ralt de Mike, quasi imbattable en 1984 – © DR

Pas de contrat F1 pour Mike Thackwell

Pourtant, hormis Williams pour qui il fera quelques essais en 85, personne ne lui propose un contrat dans la catégorie-reine. Les grands manitous de la F1 ont-ils décelé, avant Mike lui-même, que la rage de parvenir au sommet n’était plus là ? Ou qu’il était décalé, trop « pur » pour la F1 formatée des années 80 ? Le fait est que le Néo-Zélandais est très critique à l’égard du F1 circus. Il le juge complètement dominé par l’argent et déconnecté de la réalité, avec des pratiques (les pneus de qualif par exemple) qui lui paraissent aberrantes. En outre, Mike ne se met pas en avant, les relations publiques n’ont jamais été son truc. Selon Ron Tauranac, il a trop attendu qu’on vienne le chercher et aurait eu besoin d’un manager pour gérer sa carrière.

La non-promotion de Mike en F1 acte en tout cas une situation de plus en plus évidente depuis quelques années. Depuis la fin en 1977 de sa période « française », la F2 ne forme plus les futures vedettes de la F1. Les Piquet, Prost, Senna, Berger, viennent directement de la F3. Et la F3000 n’y changera pas grand-chose. Hormis Damon Hill (qui n’y fera guère d’étincelles), les grands noms de la F1 des années 90, les Hakkinen, Schumacher, Villeneuve, ne viendront pas de l’échelon inférieur.

F3000 et Groupe C

A partir de 1985, le parcours sportif de Mike Thackwell devient moins lisible, plus désordonné. Sans doute le jeune homme (il n’a que 24 ans !) se cherche-t-il. Que faire si la F1 n’est pas accessible ? Il décide de continuer en F3000, pour une nouvelle saison chez Ralt, la quatrième ! Mais il se diversifie aussi. Après avoir tâté de la Formule Indy fin 84 chez Penske (il remplaçait Rick Mears, blessé), il cumule avec les sport-protos, chez TWR-Jaguar dans les courses sprint et sur une Porsche Kremer au Mans. Et il passe une bonne partie de son temps libre aux commandes de son avion.

Brundle Jaguar Spa
A Spa en 1985 (TWR-Jaguar partagée avec Martin Brundle) – © LAT

En F3000 il est à nouveau en lice pour le titre. Mais il échoue de peu face à Christian Danner, malgré trois victoires, dont une très significative à ses yeux, à Spa. Ce week-end-là, les F3000 devaient compléter l’affiche dont les F1 étaient les vedettes. Mais le bitume belge partant en lambeaux, les pilotes de Grand prix refusent de courir et la course est annulée (https://franceracing.fr/f1/belgique-1985-le-grand-prix-reporte-la-veille-du-depart/). Cette dérobade ne fait que confirmer ce que Mike pense de la F1 : un cirque d’enfants gâtés, où manœuvres politiques et conflits en tous genres prennent le pas sur l’essentiel, la course. Bien que Tauranac lui laisse le choix, pour lui c’est clair : peu importe l’état de la piste, il est venu pour courir, il va courir. La course des F3000 sera chaotique, marquée par plusieurs excursions hors-piste, y compris pour Mike. Mais la victoire, l’une de ses plus belles, sera au bout.

Victoire à Spa en 1985 – © Sutton Motorsport Images

Révélation à Nuremberg

Il ajoutera encore deux victoires à son palmarès en 1986. D’abord un second succès à Pau, lors d’une pige chez Ralt. Ensuite, aux 1000 km du Nürburgring il signe avec la Kouros la première victoire d’un moteur Mercedes en endurance depuis 1955 (2). Dans l’équipe Sauber, son équipier attitré est Henri Pescarolo. L’homme au casque vert s’entend très bien avec son cadet. Il apprécie sa maturité et sa capacité à prendre du recul sur la course. Comme le dira Pesca lui-même, les deux hommes eurent de longues conversations sur le sens de la vie. Une vie qui prend un tour nouveau pour Mike en cette année 86, quand il rencontre Birgit van Ommen chez Ford, qui l’a recruté pour piloter une Sierra dans le Championnat d’Europe Tourisme. Ils se marient quelques mois plus tard.

Au volant de la Sauber qu’il partage avec John Nielsen au Mans en 1986 – © DR

Mike continue chez Sauber en 1987. C’est à Nuremberg le 28 juin qu’il va avoir une sorte de révélation. Le soleil pilonne les arrogantes tribunes construites cinquante ans plus tôt par le régime nazi. Dans les cockpits la chaleur est torride. En tête devant les Porsche et les Jaguar, Mike Thackwell souffre comme les autres au volant de sa Sauber-Mercedes. Mais son problème n’est pas que physique : « Tout en pilotant, je me suis mis à me demander si je voulais continuer à faire ça pendant les 20 prochaines années. Je suis rentré au stand et j’ai dit « ça suffit ». Les reportages sur cette course font état de « driver fatigue » comme cause d’abandon. Ils n’ont pas tort, sauf que c’était de la fatigue mentale.

Retour à l’anonymat

On le verra encore faire quelques courses pour respecter ses engagements. Mais en décembre, au grand étonnement de tous, il annonce qu’il se retire, à 26 ans, et qu’il va se reconvertir dans l’enseignement. Avec son épouse, il fonde l’école internationale de Monaco. Mais Birgit est très impliquée dans la course. En plus d’être la sœur de Jörg, pilote Mercedes en DTM et la nièce d’Armin et Hubert Hahne, elle travaille avec Bernie Ecclestone au sein du F1 Paddock club. Pas l’idéal quand on est saturé de course automobile et qu’on veut couper avec ce milieu. De fait, le divorce ne tardera pas. Pour Mike Thackwell commence alors une vie de bohème assez décousue, qui le voit exercer divers métiers : chercheur d’or en Australie avec son père, pilote d’hélicoptère sur les plateformes pétrolières en mer du Nord, conducteur d’engin de travaux publics, barman, plongeur, gérant d’une boutique de surf …

Thackwell à Pau en 1988
Pau 1988 : la dernière course de Mike Thackwell, qui sort de sa retraite à la demande de Ron Tauranac, qui a perdu la recette du succès – © DR

Aux dernières nouvelles, il n’avait ni voiture, ni moto, avait vendu l’essentiel de ses possessions matérielles et vivait dans une caravane sur la côte sud de l’Angleterre. Comme beaucoup de ses contemporains, sa vie est rythmée par un boulot purement alimentaire lui permettant de régler ses factures et par quelques soirées au pub du coin. Et aussi par les fluctuations de l’état de santé de son fils autiste. Mais, comme nul ne guérit de son enfance, il reste au contact des éléments naturels en surfant. Et, quand ses finances le permettent, en marchant dans les Alpes. En accord avec lui-même. Libre.

Thackwell et Surer
En Suisse en 2015, avec Marc Surer à droite – © Michel Clément

NOTES :

(1) Auto-Hebdo n°439 du 27 septembre 1984

(2) Mike eut, dit-on, beaucoup de mal à admettre la livrée de la Sauber alias Kouros-Mercedes. Pour lui, une Mercedes devait être argentée, comme les Silberpfeile des années trente. Les Sauber finiraient par reprendre cette couleur en 89, mais sans Mike.

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