17 mars 2023

Il est libre, Mike (1/2)

Ses héros s’appelaient Caracciola, Nuvolari ou Moss. Des chevaliers de la course qui maîtrisaient la force brute de montures primitives, au mépris de tout autre considération, technique, promotionnelle ou sécuritaire.

Mais il est né trop tard pour se mesurer à eux. Il a percé à l’aube des années 80, les années-fric. Il n’y avait plus de place pour les romantiques, les intransigeants. Pourtant, ceux qui l’ont côtoyé en sont convaincus : c’était un diamant brut. Il s’appelle Mike Thackwell et il n’avait pas 27 ans quand il a quitté le sport auto.

Olivier Favre

Mike Thackwell
© Rainer Schlegelmilch

Montréal, 28 septembre 1980. Alors que le feu vert va s’allumer, un Néo-Zélandais de 19 ans s’apprête à s’élancer de la dernière ligne du GP du Canada. Si aujourd’hui voir arriver un teenager en Formule 1 n’a rien d’exceptionnel, il y a 40 ans cela faisait sensation. Une telle ascension météorique semblait être le prélude à une belle carrière au plus haut niveau. Et pourtant … Au soir de ce grand prix québécois, qui aurait imaginé que Mike Thackwell ne prendrait son second départ en F1 que quatre ans plus tard et que ce serait aussi le dernier ? Mais commençons par le début.

Surfing and racing

Sport, vitesse, nature et liberté, tels sont les maîtres-mots de l’enfance de Mike Thackwell en Australie (1), où ses parents ont émigré quand il était tout jeune. C’est là près de Perth, au bord de l’océan Indien, qu’il découvre le surf et le plaisir de camper sur la plage, au contact direct des éléments et de la faune locale. Et quand il ne guette pas la vague, il cherche la bonne trajectoire sur une mini moto puis dans un kart. Car son père, Ray Thackwell, est un passionné de voitures et de course. Aventurier bourlingueur qui a fait tous les métiers, il est aussi pilote amateur sur deux et quatre roues, quand ses finances le lui permettent. Et il constate que son gamin fait mieux que se débrouiller. Comme Mike le dira plus tard, « la vitesse est venue si facilement ».

On pourrait voir là un exemple classique de paternel reportant sur son rejeton ses rêves frustrés. Pourtant, Mike dira ne jamais avoir été poussé par son père. Selon lui, c’était juste du « fun ». « Aucune ambition dévorante, on prenait du bon temps, un peu de course, un peu de surf, c’était bien ». Mais son père veut quand même lui donner une chance de percer. Il quitte donc « down under » en 1976 et transporte toute sa famille à 15 000 km de là, dans le pays de la « cup of tea » et du sport auto (2). Ecole de pilotage, Formule Ford, le gamin de 16-17 ans affole les chronos et se fait remarquer par Robin Herd, le H de March.

Donington 1979
En 1979 à Donington, avec Nigel Mansell à sa gauche – © DR

Mike Thackwell, un gamin en F1

C’est parti en 1979 pour une saison de « pilote officiel payant » en F3. Après un temps d’acclimatation, Mike poursuit sa moisson de victoires et meilleurs tours dans le championnat anglais, assortie d’un succès à Monza, au nez et à la barbe des jeunes loups italiens (Alboreto, Baldi, Ghinzani) et d’un certain Alain Prost. Robin Herd n’entend pas laisser filer sa pépite et fait monter Mike en F2 pour 1980. Las, les March ne sont pas au niveau des Toleman et le jeune Kiwi ne récolte qu’un seul podium. Mais il brille sur le Nürburgring. Sur ce circuit qu’il ne connaît pas et où d’incessants problèmes l’ont empêché de boucler un tour complet aux essais, il part de la dernière place et, après une folle remontée, finit par quitter la piste dans le dernier tour alors qu’il tente de ravir la 3e place à la Toleman de Warwick.

Dans les motorhomes de F1, on a pris note de ce talent naturel. Il est pressenti pour suppléer Regazzoni chez Ensign, après l’accident du Suisse à Long Beach. Mais, sur les conseils d’Alan Jones qui l’a pris sous son aile (3), il décline l’offre. Trois mois plus tard à Zandvoort, il remplace Jochen Mass au pied levé chez Arrows, mais échoue à se qualifier. Il y parvient à Montréal chez Tyrrell, qui l’aligne comme 3e pilote pour les deux derniers grands prix. Hélas, dans le chaos causé par l’accrochage entre les deux prétendants au titre, Jones et Piquet, les deux autres Tyrrell sont touchées. Mike doit laisser sa monture à Jarier pour le second départ (4). Une semaine plus tard, il rate la qualif à Watkins Glen. Mais peu importe, Mike a été repéré par un certain Ron Tauranac qui fait son grand retour en F2 avec Honda.

Thackwell
Grand Prix du Canada 1980 – © DR

L’accident

Mike Thackwell s’annonce comme le grand favori pour le titre européen 1981. Après une victoire à Silverstone, la mécanique l’empêche de faire mieux que 3e à Hockenheim. Mais c’est en leader du championnat qu’il aborde Thruxton, un circuit qu’il apprécie et connaît comme sa poche. Durant les essais, Tauranac monte sur sa Ralt une nouvelle combinaison pneus-amortisseurs et lui recommande d’y aller mollo. Mais, avec la fougue de la jeunesse, Mike voit son équipier Geoff Lees devant lui et se dit qu’il va aller l’asticoter un peu. Soudain, à la réception d’une bosse, la Ralt talonne, sort de la piste et va s’écraser contre un poste de commissaires. Mike encaisse un choc effroyable (une décélération calculée à 26 G), sa tête heurtant le volant au point d’en fendre le casque. Résultat brut : une commotion cérébrale et une jambe cassée en plusieurs endroits, notamment talon et cheville.

Thackwell à Silverstone
Victoire à Silverstone début 1981 – © DR

Mike avouera honnêtement que c’était de sa faute. « J’étais si arrogant, ça devait arriver. » Deux mois plus tard, il est de retour, mais sur des béquilles. On doit le porter pour l’installer dans son baquet. Bien qu’ayant manqué trois courses, il garde au plan comptable toutes ses chances pour le titre. Mais la suite de sa saison sera un chemin de croix. Comme il le reconnaîtra plus tard, Mike est sans doute revenu trop tôt. Car, outre une jambe gauche légèrement boiteuse, l’accident a laissé des traces invisibles : maux de tête, étourdissements. Mike ne marque plus que quelques points. De son côté, son équipier Geoff Lees aligne trois victoires et décroche la couronne européenne.

Vache enragée

Mike Thackwell
Photo de famille du team Ralt en 1981, avec Mike sur des béquilles – © DR

Avec le recul, Mike dira que ses deux mois de pause forcée l’ont fait mûrir. « Je n’avais pas eu le temps de grandir … J’étais dans une bulle, complètement autocentré … Après l’accident, la course ne me paraissait plus si importante.  … Je suppose que c’est là que j’ai commencé à entrevoir une vie loin de la course automobile ». Mais, plus discrètement, il fera aussi des confidences rappelant les propos de Stirling Moss après son accident de Goodwood en 62. Il devait maintenant évaluer consciemment ses trajectoires, il avait perdu sa conduite instinctive qui lui donnait un avantage sur les autres. Il était devenu simplement humain. Ce que Tauranac confirma d’une certaine façon en disant que « Mike n’a plus jamais été le même homme » après son accident.

Le patron de Ralt, le jugeant insuffisamment remis, ne le retient pas pour 1982. Commencent alors des mois de galère. Ray Thackwell doit à nouveau traquer les subsides pour que son fils puisse louer une March ou une Maurer. Découvrant la dure condition de pilote privé, Mike doit saisir chaque occasion de se faire remarquer. Il y parvient en signant des podiums à Pau et Spa, deux juges de paix. Puis il renonce à mi-saison, à court de budget. Curieusement, Mike dira plus tard que cette saison 82 tronquée, à tirer le diable par la queue avec l’aide de ses copains, fut celle qui lui donna le plus de plaisir. De là à penser que tout avait peut-être été trop facile jusque-là … En tout cas, Tauranac le juge à présent apte et le rappelle pour 1983. Mike Thackwell devrait donc pouvoir reprendre son ascension vers le sommet.

(Fin de la 1ère partie – A suivre)

Le casque de Mike Thackwell
Le casque de Mike était très reconnaissable, avec son T blanc sur fond rouge – © DR

NOTES :

(1) Comme il venait d’Australie et qu’il en avait l’accent, dans les publications de cette époque, Mike Thackwell est souvent présenté, par erreur, comme Australien.

(2) Pour Ray Thackwell, c’était un retour en Europe . On l’avait vu dans les années 50 à Pau ou Silverstone au volant d’une Cooper F2.

(3) L’année précédente, Alan Jones avait prêté de l’argent à Mike, en mal de budget pour boucler sa saison de F3 chez March.

(4) Comme le règlement de l’époque indique qu’un second départ rend le premier nul et non avenu, Thackwell n’est pas considéré comme ayant participé au GP du Canada 1980. Dès lors, le record de précocité alors détenu depuis 1961 par Ricardo Rodriguez n’est pas officiellement battu. Il ne le sera que par Jaime Alguersuari en 2009, puis par Max Verstappen en 2015.

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