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Froissart un point c’est tout

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Au moment de sa création en 1976, il y avait deux façons d’entrer à Auto Hebdo : emprunter la voie royale ou se faufiler par le soupirail.

Nous fûmes quelques-uns de notre petite bande à se hausser du col en poussant la porte cochère du 7 rue de Lille – la voie royale -, gravissant l’escalier de bois branlant et soumettant à une espèce d’humanoïde, fils naturel de Michel Audiard et Michel Constantin, le rédac’chef Etienne Moity, des photos et des textes gratos.

Ça tombait à pic, ledit Moity cherchait des gus pour écrire de fausses lettres de lecteurs afin de régler son compte à tel ou tel, et pour le fournir en « docs » gratos. Marché fut conclu. Un tantinet léonin, mais bref.

On voyait glisser dans les couloirs un petit gars furtif, noir de poil, qui, lui, était entré par le soupirail. Détenteur d’une meule, il convoyait les péloches au labo. Donnait un coup de paluche de-ci de-là, montait sandwichs et bières dans les bureaux. Moity le désignait sous le nom générique de Froissart, patronyme qui eût pu lui attribuer des chroniques mais que l’impitoyable boss assortissait d’un surnom dont je préfère n’avoir pas à me souvenir.

Alors que la voie royale s’était depuis longtemps refermée derrière nous, petit Froissart est devenu grand après avoir quitté l’hebdo de la rue de Lille – où il avait créé une rubrique « Karting » -, pour intégrer un prestigieux quotidien, Libération.

D’en avoir labouré, trente ans durant, le sillon de la F1 lui a permis de récolter quelques graines somptueuses, à commencer par une amitié profonde avec Ayrton Senna, et une expertise reconnue qui en fait l’un des successeurs de la génération des Gérard Crombac, José Rosinski, Christian Moity, Luc Augier, etc.

Sa connaissance intime de la F1 lui a enseigné une chose : ce sport d’exception se nourrit de sa propre légende, plus prégnante que toutes les fictions. S’il offre prise à sa documentation – et Froissart ne s’en est pas privé via ses essais sur Prost, Senna, Hamilton, il rejette telle une greffe qui ne prend pas, le roman. Tous ceux qui l’ont tenté s’y sont brûlé le clavier.

Aussi pour son entrée dans la voie royale du roman (après les nouvelles qui composent « les boxeurs finissent mal… en général »), Lionel Froissart a-t-il sagement évité la course auto, sinon celle, moins sportive que sanglante, qui opposa le 30 août 1997 une Mercedes noire à des paparazzi à moto dans le tunnel du pont de l’Alma, avec une Fiat Uno en chicane mobile.

Curieux choix de sujet de roman qui semble avoir été alimenté par un commissaire de police dont l’auteur garde pour lui l’identité. En déroulant une pelote de laine en forme d’intrigue nouée autour de la propriétaire de la Fiat Uno, une certaine Jocelyne, madame-tout-le-monde habitant Bobigny, lectrice éperdue de Philippe Djian, amoureuse de Mike Brant, l’auteur laisse advenir sous une plume alerte, en filigrane, les causes possibles du drame dont on ressent l’accidentelle comme l’une des moins vraisemblables.

Même s’il s’avère plus convaincant dans une description qui rend Bobigny presque désirable que dans des scènes de cul graisseuses qui trahissent le spécialiste du moteur à pistons, Lionel Froissart donne un joli roman de facture agréable à Héloïse d’Ormesson.

Belle revanche pour l’ex-grouillot d’Auto Hebdo dont le nom écrase sur une très belle couverture celui de l’académicien de Au plaisir de Dieu.

Editions Héloïse d’Ormesson

Lionel Froissart
Lionel Froissart – Punto Basta – Editions Eloïse d’Ormesson
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Olivier Favre

Pas facile pour une note de venir après « La rupture Surtees-Ferrari » par René Fiévet !
Merci donc à Patrice pour l’info, j’ignorais la parution de ce livre dont le sujet suscite la curiosité. Comme beaucoup de gens sans doute, je me souviens parfaitement de ce dimanche matin où j’ai appris cet accident inimaginable. Et pourtant je n’étais pas particulièrement fan de Lady Di, ni des histoires de têtes couronnées à la « Jours de France ». Mais là, c’était autre chose …

Patrice Vatan

C’est la raison pour laquelle, Olivier, Olivier m’a demandé de surseoir quelque peu à la publication de cette note afin de laisser s’écouler le torrent des commentaires induits par la note de René, qui vont, et c’est justice, déborder celle-ci.

Last edited 2 années plus tôt by Patrice Vatan
René Fiévet

Ecriture brillante, comme toujours ; et un texte qui nous introduit, par petites touches successives, dans un milieu dont j’ignore tout : le journalisme de sport automobile. Avec, comme toujours, la figure tutélaire de Christian Moity. Pour revenir ce que vient de nous écrire Olivier Favre, je dirais que le jour de la mort de Diana est probablement un des jours les plus marquants de ma vie. Non pas en raison de l’évènement en lui-même : un fait tragique, infiniment triste, touchant une personne devenue familière ; mais ni plus ni moins que bien d’autres évènements de ce genre. Pour moi, Diana était un… Lire la suite »

richard JEGO

A cette époque je vivais et travaillais à LONDRES dans une boite anglaise . Tout à fait d’accord avec vous : Londres et ses habitants sont subitement entrés dans une espèce de léthargie collective mortifère pour 3 semaines en ce mois de septembre 1998 . On comprend mieux l’attitude de la jeune actrice hollywoodienne en se souvenant de l’attitude des « royals  » en 98 envers le père de DODI , également décédé dans l’accident .

Olivier Favre

Alors là, je suis tout à fait en phase : je n’ai jamais compris ces manifestations populaires éplorées à chaque fois qu’une célébrité disparaît (dernier exemple en date : Maradona). Comme si ces gens-là, quels que soient leurs mérites (pas toujours évidents d’ailleurs), n’étaient pas de simples mortels, comme les autres. A chaque fois que ça se reproduit, je me sens comme un extra-terrestre. Je ressens bien une certaine tristesse quand des gens de qualité s’en vont (par exemple Jean Rochefort, Jean-Claude Carrière et quelques autres du « temps d’avant »), mais de là à aller gémir en public dans la rue… Lire la suite »

Olivier Rogar

Un souvenir précis de ce 31 août. J’étais en Bretagne pour un mariage. Quelques jours plus tard disparaissait dans un anonymat médiatique presque complet Mère Térésa… L’une illustrait les magazines people et faisait rêver. L’autre illustrait toute la misère du monde…et faisait culpabiliser… Princesse ou sainte… L’éternel de l’idéal féminin ?

Luc Augier

Le sujet, tout frais, avait été évoqué lors de la conférence de presse du jeudi précédant le GP d’Italie, à Monza. Commentaire de Michael Schumacher : « Je ne suis pas étonné que cet événement se soir passé à Paris. Je garde un très mauvais souvenir de mon passage au tribunal de la FIA en 1994, j’y avais été harcelé par les paparazzi comme jamais ». Or, nous n’étions qu’une quinzaine à l’attendre à sa sortie de l’audience, sous les arcades du 6 Place de la Concorde. Et uniquement des journalistes spécialisés, les mêmes qui l’écoutaient avec stupéfaction à Monza. De Michael… Lire la suite »