17 mars 2022

So long Quick Vic !

On le savait très diminué en raison d’une maladie implacable et en grande difficulté financière du fait d’un traitement coûteux. Cette triste fin de vie nuance d’un certain soulagement l’annonce de son décès. Mais on est néanmoins ému par la disparition de Vic Elford, l’un des plus grands polyvalents que le sport automobile ait connus.

Olivier Favre

C’était un temps que les moins de 50 ans ne peuvent imaginer. Une époque où un pilote pouvait s’aligner au départ du Monte-Carlo en janvier, puis filer en Floride pour les 24 Heures de Daytona début février, tâter de la F2 en avril, tournicoter dans les lacets de la Targa en mai, dévaler le toboggan de l’Eifel deux semaines plus tard, puis débuter en Formule 1 en juillet. De tels pilotes « multicartes », il y en avait plusieurs. Mais seul Vic Elford jouait partout les premiers rôles et empilait victoires et podiums ! Les connaisseurs auront reconnu 1968, l’année « fantas-Vic ». Qu’on en juge : victoire au Monte-Carlo (Porsche 911), victoire aux 24 heures de Daytona (Porsche 907), 2e place à Sebring (907), victoire à la Targa Florio (907), victoire aux 1000 km du Nürburgring (908), 4e place à Rouen (Cooper-BRM) pour ses débuts en F1.

Porsche 911 - Monte-Carlo 1968
Victoire au Monte-Carlo 1968 avec David Stone – © DR

Du rallye au circuit

Sur l’ensemble d’une carrière, il y eut d’autres grands polyvalents (Moss, Ickx ou Larrousse, l’un des meilleurs amis de Vic). Mais aligner une telle série en quelques mois, c’est un cas unique. Unique comme le profil de Vic qui débuta par le rallye, comme navigateur faute de moyens. Et qui n’empoigna le cerceau qu’à 25 ans passés ; une autre époque décidément ! Après quelques saisons de rallyes chez Triumph puis Ford, il saisit l’occasion de passer chez Porsche. En espérant ainsi pouvoir faire du circuit. La firme allemande ne tarda pas à lui en faire la proposition. Et sa carrière décolla en cette année 1967, qu’il termina avec le titre de champion d’Europe des rallyes.

On ne rappellera pas ici tous les faits d’armes de Victor Henry Elford, ce serait trop long. On se contentera du plus beau, du plus retentissant : sa victoire à la Targa en 1968, avec Umberto Maglioli. En état de grâce ce jour-là, il sauva Porsche de la déroute au terme d’une remontée qui constitue à n’en pas douter l’un des plus grands exploits de cette course légendaire qui n’en manqua pas. D’ailleurs, lui-même la considérait comme sa plus grande course (1).

Targa 68 - Klaus Wagger
Vic à la Targa Florio 68 par Klaus Wagger – Klaus Wagger | Automotive Art

Vic Elford, Ringmeister

Elford était doué d’une mémoire visuelle hors normes. Aussi était-il dans son élément sur les parcours naturels tels la Targa, le Mugello ou le Nürburgring. Une Nordschleife qu’il avait parfaitement imprimée dans son cerveau à l’occasion de relais nocturnes de plus de 7 heures (!) lors du Marathon de la Route (84 heures) 1967. Avec une victoire à la clé sur la 911 partagée avec Jochen Neerspach et Hans Herrmann.

Cette première victoire fut suivie de plusieurs autres qui lui valurent le titre envié de « Ringmeister ». A cette époque un expert du Ring pouvait compenser le handicap d’une voiture médiocre. Et Vic le prouvait à chaque occasion. Par exemple au GP d’Allemagne 1968. Il y décrocha le 5e temps d’essais avec une Cooper-BRM habituellement complètement larguée par les Lotus 49 et Matra MS10. Et que dire de son « grand chelem » de 1970-71 ? En ces années-là, prendre le départ d’une course de protos sur le Ring face à Vic Elford, c’était presque dire adieu à la victoire avant même le premier tour de roue. Trois litres (1000 km) ou deux litres (500 km), Porsche, Chevron ou Lola, « Quick Vic » montait invariablement sur la première marche du podium.

1000 km Ring 1971
Victoire aux 1000 km du Nürburgring 1971 avec Gérard Larousse – © Ted Walker Archive

Sur tous les fronts

Si son nom reste attaché à Porsche, Vic était toujours partant pour découvrir une catégorie ou un circuit. De préférence au volant d’une voiture improbable. Ainsi le vit-on débuter en F2 (2) sur le Ring en 68 avec la Protos à bulle en plexi et châssis en bois. Puis répondre à l’appel de Toyota l’année suivante pour une course de Groupe 7 au Mont-Fuji. Ou s’essayer en Can-Am en 1970 au volant de deux machines hors du commun : l’AVS-Shadow, une sorte de go-kart V8 semblant sorti d’un cartoon et la hideuse mais géniale Chaparral 2J « aspirateur ». Il tâta aussi avec succès du rallycross (vainqueur de la toute première épreuve du genre en 1967 en Angleterre), du Tourisme (1er en Transam à Watkins Glen en 1970) et même du stock-car en NASCAR.

Vic Elford - 1969
Dodge (500 Miles de Daytona), Cooper-Maserati (GP de Monaco), Toyota 7 (GP du Japon) en 1969 … – © DR
Vic Elford - 1970
McLaren M12 (Hockenheim Intersérie), AVS-Shadow (Can-Am), Chevrolet Camaro (Transam) en 1970 … – @ DR
Vic Elford - 1970-71
Chaparral 2 J (Can-Am) en 70, Lola T212 (500 km Ring), Ferrari Daytona (Tour de France) en 1971, ou l’incroyable diversité des voitures et disciplines abordées par Vic Elford en trois saisons. Et sans compter les Porsche ! – © DR

Vic Elford, c’est un palmarès énorme à l’extraordinaire variété. Si l’on excepte la F1 qu’il ne fréquenta qu’épisodiquement, il n’y manque qu’un joyau : les 24 heures du Mans. Tout comme Siffert, son alter ego chez Porsche (3), il ne put jamais s’imposer dans la Sarthe. Il en fut proche en 1969 avec la débutante 917 et partit favori les deux années suivantes. Mais jamais il n’atteignit l’arrivée avec l’arme absolue de Zuffenhausen. Il dut se contenter de deux victoires de catégorie (Sport en 67, GT en 1973). Mais qui sait si Vic n’était pas finalement plus fier d’une autre performance mancelle : l’épopée Inaltéra de 1976. Ce francophile et francophone y participa en tant que team-manager de Jean Rondeau. En ce sens, il fut l’un des artisans de la victoire de ce dernier et de Jaussaud quatre ans plus tard.

Vic Elford - Le Mans 1969
En tête jusqu’à trois heures de l’arrivée avec la débutante 917 en 1969 – © DR

Vic Elford, un grand bonhomme

Au-delà de ses états de services de premier ordre, Elford était un homme charmant, de l’aveu de tous ceux qui l’ont côtoyé. Humble, facile d’accès, d’une grande gentillesse, il était unanimement apprécié par ses pairs. Rappelons aussi son geste chevaleresque au Mans en 1972. Témoin de l’accrochage entre la Ferrari Daytona de Florian Vetsch et la Lola de Jo Bonnier, il arrêta son Alfa et se précipita pour secourir les deux pilotes. Mais il ne trouva que le Suisse, heureusement indemne. « JoBo » lui s’était envolé définitivement (4). Marqué par cette tragédie, Vic réalisa aussi au cours de cette saison 72 que sans les sensations ultimes de la 917, sa voiture préférée, la course n’avait plus le même intérêt pour lui. Il glissa donc progressivement vers la retraite (5). Plus tard, il s’établit en Floride où il s’occupa d’une école de pilotage destinée aux propriétaires de Porsche (Porsche Owners Driving School).

A tous ceux qui aimeraient en savoir plus sur le personnage et son parcours en course, on ne saurait trop recommander la lecture de son autobiographie parue en 1974 chez Solar (La victoire ou … rien !), un livre passionnant sur cette belle époque dont « Quick Vic » fut l’un des héros emblématiques.

Vic Elford - Affiche Targa 68 et livre Solar

NOTES :

(1) Chez Porsche on savait tout ce qu’on devait à Elford ce jour-là. En effet, cas unique dans la série des affiches promotionnelles rappelant les victoires de la marque, celle de la Targa 68 était construite autour d’une photo du pilote et non de la voiture.

(2) Cette course sur la Südschleife fut même sa toute première en monoplace !

(3) Avant l’arrivée d’Elford, les pilotes Porsche n’avaient pas leur mot à dire sur le développement des voitures. Aidé par sa connaissance des rallyes (où Porsche débutait), Vic fut avec Siffert celui qui fit des pilotes davantage que des employés payés pour conduire.

(4) Ce geste lui valut de recevoir l’Ordre national du Mérite du Président Pompidou.

(5) Il en sortit ponctuellement pour un retour au Mans en 1983, au volant d’une Rondeau.

Merci à l’ami Pierre Ménard pour sa contribution à l’illustration de cette note.

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