5 avril 2017

Michel Mallier : De l’autre côté du volant 2/2

On retrouve Michel Mallier en 1975, au moment crucial où il décide de changer de vie. Pour la première fois, il devient son propre patron et décide de se faire plaisir en freinant plus tard que les autres. Une seule question et… moteur !

Propos recueillis par Pierre Ménard

Classic Courses : Tu avais économisé pour acheter ce garage (voir 1ère partie) ?

Michel Mallier : Je n’avais pas un rond ! J’ai trouvé un banquier qui me prêtait les 50 000 Frs nécessaires. Jean-Pierre Cassegrain, qui s’était reconverti dans la finance après son accident, s’est porté caution pour moi. Et j’ai enfin ouvert mon garage ! J’ai activé tout mon réseau de connaissances et je faisais du moteur de Ferrari, Lambo, Porsche, Lotus, etc. J’avais 40 m2 d’atelier mais 200 m2 de trottoir. Je laissais des Miura sur cales, sans les capots avant et arrière, on ne m’a jamais rien piqué ! J’ai bossé là-bas de 75 à 82, mais c’est devenu trop petit. Donc j’ai acheté dans une zone artisanale où j’ai tout construit moi-même. Comme j’avais trois ans de bail encore sur l’ancien garage, j’en ai fait un restaurant qui s’appelait l’Arbousier – et qui existe toujours. Le cuisinier était un de mes meilleurs potes, second restaurant de Versailles. Ça a très bien marché, les gens savaient qu’en venant là, ils pouvaient voir Jabouille, Laffite, Beltoise qui aimait la bonne viande qu’on servait, et tous mes copains du showbiz qui habitaient à côté. Et parallèlement, je bossais dans mon nouveau garage.

CC1 Michel Mallier 2e partie

J’avais embauché deux gars, la vie se stabilisait enfin dans le bon sens. Je vendais six à sept Ferrari neuves par an, plus que certains agents. J’avais un client qui s’appelait Serge Pajean qui était agent immobilier à Rambouillet et qui me proposa de reprendre avec lui l’affaire de François Migault à Bois d’Arcy, qui était en prison suite à une escroquerie sur les Seat du Star Racing Team. Il y avait un pavillon pourri, un bout d’atelier et une cour, très grande. On était censé payer chacun 25 000 frs. Ça devait s’appeler EMP, Etablissements Mallier Pajean. Il me dit de faire un chèque de la totalité, qu’il me remboursera le surlendemain. J’ai fait un premier chèque au syndic de faillite, puis un autre pour tel organisme, puis un autre, bref je suis sorti de là, j’avais fait pour 350 000 Frs de chèques ! J’avais rien, juste mon appartement qui valait 50 000. Et le Pajean, j’arrivais plus à le joindre au téléphone ! Quand j’y arrive enfin, je l’engueule en lui disant que j’étais dans la merde : j’avais du brader mon appartement, j’avais squatté ici dans des conditions pas possibles, et je me suis vraiment mis en colère. Je lui ai demandé de me céder la totalité de ses parts, que ça fasse zéro. C’est ce qui s’est passé, mais je me suis retrouvé avec un truc vide, sans salarié, pas de contrat d’assurance, je n’étais pas préparé pour ça, la merde : le mec en bateau au milieu de l’océan à qui on a enlevé ses rames !

J’ai activé de nouveau mes contacts, j’ai créé PCM, Peinture Carrosserie Mallier, que j’ai plus tard revendu à mon ancien gars, et c’est devenu Peinture Carrosserie Mécanique. Christian Prouteau, que je connaissais bien, m’a filé des voitures militaires à faire pour Satory. Ensuite, Jean-Louis Pétriat, l’ancien patron de la GMF, m’a procuré un contrat avec la GMF. Plus d’autres trucs, mais c’était l’enfer : je passais ma vie entre le restaurant, le garage de Viroflay et ici à Bois d’Arcy. Quand j’étais ici, mon gars de Viroflay faisait que des conneries, et pareil ici quand j’étais à Viroflay. Et un jour, j’ai décidé de mettre en location Viroflay. Et en 90, j’ai construit ici des baraquements qui devaient être provisoires et qui ont en fait duré jusqu’en 2007 ! Et pour construire les nouveaux bâtiments dans lesquels je suis maintenant, j’ai vendu Viroflay et le restaurant.

En 1987, j’avais un client qui voulait courir en Historique. Il trouve une Tecno, soi-disant F3, mais c’était en fait une Formule France. Moi, ça me redonne le virus de la course et, en cherchant des pièces, j’appelle Jaussaud en lui demandant s’il ne lui resterait pas par hasard quelques pièces de F3. Il me dit que non, mais par contre qu’il lui reste sa Tecno championne de France 1970. Il n’y avait plus de moteur, ni de boîte, mais tout le reste y était. Et là, il me dit : « Michel, toi qui a toujours rêvé de courir, je te la donne, la voiture. C’est une épave, il faut la reconstruire, mais ça me ferait plaisir de la voir rouler à nouveau » ! C’est comme ça que je suis devenu propriétaire de la Tecno de Jean-Pierre Jaussaud. A ce sujet, et contrairement à ce qui a été écrit ici ou là, c’est comme pour Matra : je n’ai jamais été mécanicien de Jean-Pierre. Je le connaissais bien depuis des années, mais jamais je n’ai été son mécanicien.

J’ai restauré la voiture pendant trois ans. J’ai acheté une Anglia break pour récupérer un bloc, j’ai fait usiner le vilebrequin en Angleterre, je l’ai reconstruite exactement comme elle était à l’époque. J’ai gardé la carrosserie d’origine et j’ai refait une carrosserie neuve. J’ai couru neuf ans avec et j’ai presque tout gagné avec. Quand je bossais CC2 Carrousel Michel Mallier 2e partiedessus, les gars qui couraient me pressaient de venir, et disaient finalement que j’étais une véritable « Arlésienne ». En août 88, mon moteur et ma boîte étaient prêts, mais pas la voiture. Franceschi me propose sa Brabham BT35 sans moteur ni boîte qu’il veut vendre. Comme il reste deux courses à Dijon en septembre et à Nogaro en octobre, je ferais ces deux courses en mettant l’ensemble moteur-boîte dedans. J’avais jamais couru, pas plus en F3 qu’en autre chose. Juste du kart, et en moto-cross. Je n’étais pas chaud, mais lui, il me pousse. Et donc, je remonte la voiture le soir en dehors du boulot.

Je vais faire une séance d’essai à Croix-en-Ternois avec Cassegrain pour faire les premiers tours dans la voiture, que j’ai un temps de référence. Il ne pilotait plus depuis son accident, mais ça restait Cassegrain quand même ! Il établit un temps, puis je fais cinq tours quand il m’arrête. Je me dis qu’il y a un problème, il me montre le chrono : je lui avais collé une seconde et demie ! Il ne voulait pas croire que je n’avais jamais roulé ! Du coup, je vais à Dijon où on était mélangé avec des GT. En F3, il y avait Filhol qui marchait bien, Salmona, plus des Formule France, c’était assez disparate comme plateau. Je découvre évidemment le circuit, et je fais le 5e temps absolu aux essais, meilleur temps des F3 ! Sauf qu’à deux tours de la fin des essais, j’explose le moteur neuf. On était le samedi, 17H00, et là je dis : « On rentre à Paris » ! J’avais deux copains qui conduisaient le Bedford, pendant que moi à l’arrière je démontais le moteur ! On arrive chez moi à 2H00 du mat’, je répare la chemise cassée, on repart – sans dormir, évidement – et on arrive à 6h00 au circuit où on remonte le moteur dans la voiture. Le départ de la course est à 11H00. A 10H45, je mets en route et… plus d’embrayage ! Une histoire de pignon qui buttait dans le fond et qui restait engrené, j’avais vu ça, 25 ans avant. Je desserre tout le tour de boîte, je monte dans la voiture : ça débraye. Mais tu ne peux pas laisser la boite desserrée de 5 mm ! J’ai réussi à faire reculer le départ d’un quart d’heure, j’étais pas connu mais tout le monde a accepté. On a tout calé avec des cales, on a tout resserré… et j’ai gagné la course ! Je finis troisième derrière les deux Lola plus puissantes de Beurlys et Burgraff, mais premier des F3.

Un mois plus tard à Nogaro, Filhol gagne la première manche avec 2/100e d’avance sur moi, et je gagne la deuxième avec 1/100e d’avance sur lui. Je fais toute la course dans le cul de sa boîte. Il freinait très tard, et au dernier freinage de l’aérodrome je me dis que je freinerai après lui ! J’ai pas regardé le panneau, je l’ai regardé, lui. Et quand j’ai vu sa tête basculer à l’avant, j’ai tapé dans les freins ! Je l’avais lu dans un vieux bouquin du genre Marabout, tu sais ? Il restait deux virages où j’ai fermé les portes, et j’ai gagné.

Je re-démonte la Brabham et la refile à Franceschi. Mais la Tecno n’est toujours pas prête pour la première course de 89. Et tout le monde se fout encore de ma gueule. Finalement, je m’inscris à l’Âge d’Or, que je n’avais jamais fait. Je connaissais par cœur le circuit pour y avoir été comme spectateur un paquet de fois, mais je n’avais jamais couru dessus. Je moule mon siège le vendredi des essais, je charge la voiture le samedi matin à 3H00, mais avec mon camion, je ne pouvais plus passer comme les essais étaient commencés, j’ai été obligé d’attendre qu’ils ouvrent avant les Deux Ponts. J’arrive aux vérifs avec la voiture neuve qui n’a jamais roulé. Pour des conneries administratives de stickers, ça palabre, et je loupe les essais. On m’accepte quand même, mais en dernière ligne. Il y avait René Medge, Just Jaeckin, Cyril Neveu, 25 caisses, dont 8 F3. Moteur même pas rodé, j’y vais ! De toute façon, un moteur de F3, même rodé, tu ne fais jamais plus de 300 km avec.

CC3 Michel Mallier 2e partie

Au dixième tour, je suis en tête ! On me prenait pour un charlot, je voulais leur montrer, même de la dernière ligne. Je me battais contre des mecs qui arrivaient avec tout leur super matos, qui allaient bouffer le soir au restaurant, et moi je couchais dans mon camion et bouffais un casse-dalle. Je ne suis pas jaloux, mais je suis revanchard. J’avais les dents qui trainaient par terre. Et plus ils avaient du pognon, plus j’avais envie de les battre ! En plus, j’ai eu beaucoup de chance : j’aurais du me faire mal plein de fois. Pourquoi je les tapais ? Quand ils arrivaient aux Deux Ponts, ils freinaient tous à 100 mètres. Moi, j’avais vu Peterson, Wisell, Schenken, Mazet, Fittipaldi : tous ces mecs-là freinaient à 70 mètres. Je me suis dit qu’il n’y avait pas de raison : je freinerai à 70 mètres ! Au bout de deux ou trois tours, j’ai vu que ça passait. Et c’est comme ça que j’ai gagné cinq fois l’Âge d’Or, parce que je connaissais par cœur tous les trucs. J’ai eu du bol de ne pas casser, aussi.

L’anneau, pareil : les mecs montent tous en haut ; c’est spectaculaire, mais ça ne sert à rien. Déjà avec un moteur qui n’a pas trop de chevaux, tu peines à monter et quand tu redescends tu prends tous les transferts de masses. Tu perds du temps. Je tangentais toujours en bas, parce que j’avais vu Jaussaud ou Pesca faire comme ça. Alors OK, c’est pas très beau, mais quand t’arrives aux deux Ponts, t’as 500 t/m de plus que les autres ! Au cinquième tour, j’étais 5e, et au dixième, je suis passé en tête. Sauf que la température d’huile était à 130°, la température d’eau à 100, ça fumait à l’échappement et j’ai terminé miraculeusement, le moteur rincé. J’ai gagné avec le record du tour, en partant dernier, et pour ma première course avec la Tecno. Alors, je peux te dire que ça a chauffé dans les chaumières !

En 1996, j’avais plus un sou, j’étais en train de déposer le bilan de la carrosserie. J’étais obligé d’arrêter la course. Arrive l’Âge d’Or, qui devait être ma dernière course et que je gagne confortablement. Je regagne le paddock, je descends de la voiture, je me change vite fait. Je me remets en bleu de travail et je pose un pied-à-coulisse et une jauge de profondeur sur le capot de la voiture. Les mecs arrivent, me disent : « Ben Michel, qu’est-ce qu’il se passe, tu n’as pas pris ta coupe » ? Je dis : « Non, non, depuis le temps que vous insinuez que je triche, ça doit être vrai puisque je vous ai mis 20 secondes. Alors voilà une jauge de profondeur et un pied-à-coulisse ; si vous êtes capables de calculer la cylindrée, je vous enlève la culasse ». Ils étaient super emmerdés, mais je leur ai dit au revoir en grand seigneur en leur disant qu’ils ne m’auraient plus dans les pattes parce que je ne terminais pas la saison. En réalité, je ne l’aurais pas terminée parce que j’avais plus de ronds. J’ai arrêté la course, mais j’ai refait à neuf la voiture, que j’ai vendue en 2004.

CC4 Carrousel Michel Mallier 2e partie

Ensuite, Humbert [Jean-Paul Humbert, de l’atelier EPAF Matra de Romorantin, NDLA] m’a fait rouler avec la F2, la F1, avec les protos 670, 630. Je faisais de la démo, mais en échange, je déverminais toutes les restaurations qu’il faisait pour le musée avant que Pesca roule avec. Du coup, j’ai monté la première opération Tour de Corse où j’étais pilote en 2010 avec le proto 610, en 2011 j’ai amené Henri que j’ai navigué, enfin que j’ai péniblement essayé de naviguer parce que je suis bon à rien en navigation (rires), et en 2012, on devait le faire avec Henri sur une 650, mais ça ne s’est pas fait par manque de budget. Maintenant, je roule depuis trois ans aux Classic Days avec la McLaren Canam d’un copain. C’est une voiture assez facile à manier, par rapport à une monoplace. Enorme couple, moteur très progressif, de 1500 à 6500 t/m ça pousse tout le temps, c’est sympa. Je ne me traîne pas, mais je n’attaque pas avec, c’est plus de la démo.

La Tecno F1 est aussi un beau souvenir. Je regrette juste de ne pas pouvoir être allé jusqu’au bout. Grâce à Christian Huet, j’avais racheté cette 123 en épave, la coque sans le moteur et la boîte, mais je n’ai jamais eu les moyens pour la refaire. Je l’ai gardée cinq ans ici, et un jour Beppe Bianchini, qui a fait le beau livre sur cette Tecno, m’a appelé. Il m’a proposé de racheter la voiture, à condition que je lui trouve un ensemble moteur-boîte. Bon courage, tiens ! Je l’ai finalement trouvé grâce à un Italien : il était monté sur une Lola qui faisait des films publicitaires en Italie. Bianchini a racheté la voiture, pas cher, enlevé le moteur-boîte, puis revendu la voiture… le même prix qu’il l’avait achetée ! Cinq ans plus tard, il m’a proposé de faire les premiers tours de roue avec la voiture fraîchement restaurée sur une petite piste privée à côté de Turin. Par la suite, je l’ai conduite deux ou trois fois. Super voiture, moteur fait par Forghieri « en perruque » le soir. A l’époque, ils n’avaient pas pu le fiabiliser par manque de moyens, mais Bianchini l’a fait et il marche très bien maintenant. Il a un bruit fabuleux, et il est super souple, comme le V12 Matra : tu démarres à 1500 t/m, ça pousse bien mais c’est linéaire, et à partir de 7000 t/m, les chevaux déboulent. Et là, tu prends vraiment un coup de pied au cul jusqu’à 11500 t/m !

CC5 Carrousel Michel Mallier 2e partie

Maintenant, je restaure cette Martini de l’écurie Jicey qui appartient à un client. Je fais tout, moteur, châssis, peinture. La peinture, j’en ai toujours fait. Les vrais mécaniciens avec qui j’ai bossé à l’époque savaient à peu près tout faire. Si tu es curieux et qu’à côté de toi, tu as un carrossier, tu regardes comment il fait. Et si t’es pas trop con, au bout d’un moment tu y arrives. J’ai toujours peint mes voitures, et mes casques. Je fais aussi de l’aérographe, je peints des guitares pour les potes, comme Prouteau qui en a toute une collection, ou Jean-Jacques Mancelle. J’ai même fait un frigo aux couleurs Alpine pour le fils Rédélé. Et je me suis aussi mis au bronze, poussé par Manou Zurini. Je suis un manuel, je suis curieux de tout, j’ai fait de la poterie, du fer forgé, j’essaie un peu tout.

CC6 Michel Malier 2e partie

MRM (Michel Racing Mallier)

84 Avenue Jean Jaurès, 78390 Bois-d’Arcy Tel : 01 30 58 44 45

garage-mrm@aliceadsl.fr

Légendes photos :

Carrousel- 2017 Michel Mallier MRM Bois d’Arcy © Pierre Ménard
1- 1993 Michel Mallier à Bois d’Arcy © Christian Bedeï
2- 1992 Montlhéry L’Âge d’Or Michel dans la Tecno en grande conversation avec Jean-Pierre Jaussaud © DR
3- 1991 Montlhéry L’Âge d’Or premier freinage tumultueux entre Michel Mallier et Gilles Bouyer © Christian Bedeï
4- 2012 Angoulême les Remparts sur Matra MS120D Michel et son casque Beltoise © Archives M.Mallier
5- 2016 Les Grandes Heures de Montlhéry sur Martini MK7 © Pierre Ménard
6- 2017 le garage MRM à Bois d’Arcy © Pierre Ménard

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