Jean-Pierre Jarier
6 février 2023

Jean-Pierre Jarier – 2 : March mais pas Ferrari

Jean-Pierre Jarier a fait ses classes en F3 puis F2 et s’est même essayé à la F1, un peu en désespoir de cause, disons-le. Mais en 1972 les rencontres successives avec Luigi Chinetti puis Robin Herd vont conditionner la suite de sa carrière.

Il va désormais transformer un jeu en métier et courir pour gagner et non plus simplement pour participer. Il revient pour nous sur sa première expérience en F1avec la March 701, puis sur sa couronne européenne en 1973 et enfin sur l’incroyable histoire de ce contrat raté avec Ferrari qui permit à Niki Lauda d’entrer à la Scuderia.

Interview par Olivier Rogar le 25 novembre 2022

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1971 : March 701, première expérience en F1 pour Jean-Pierre Jarier

Jean-Pierre Jarier
JP. Jarier – March 701 – GP Monza 1971 © Archives personnelles JP Jarier

Classic Courses – Olivier Rogar : En 1971 vous décidez seul de tenter votre chance en F1. Avec notre regard d’aujourd’hui sur cette discipline, cela semble impossible. Comment avez-vous fait ?

Jean-Pierre Jarier : Un jour j’ai rencontré un très bon pilote allemand de tourisme, Hubert Hahne. Il possédait une F1 et il l’avait louée pour une exposition. Il me l’a aussitôt proposée : « Mais je te la prête si tu veux », moi : « mais tu rigoles ! Elle marche ? » , « Oui, elle a un bon moteur ! ».  C’était parti. Mais sur place il n’y avait rien pour la tracter. J’ai donc récupéré la remorque de mon voilier – un Ponant – en Normandie et je suis allé la chercher à Düsseldorf. Hahne m’avait réservé une chambre « garnie » à l’hôtel. Le service à l’allemande ! Je passe sur la signature d’une reconnaissance de dettes de 10 000 £, c’était parti !

Ma vieille Jaguar, la remorque du bateau et une March 701 dessus. Elle pesait lourd. Plus lourd que le voilier. Tous les 100 km je passais une heure avec un petit marteau à redresser les flasques de roues qui se pliaient sous le poids !  Direction Oulton Park pour la Gold Cup. Il fallait un carnet de passage en douane, un carnet ATA. Pour suivre la voiture qu’on « exportait » en Grande Bretagne puis qu’on «ré-importerait » en France. Sans ça on devait payer des droits de douane. Bon j’ai trouvé un mec qui m’a bricolé un carnet. Arrivé en Angleterre, un manager anglais, Brian Kreisky m’a « pris en charge ». Pour 500 £ il était censé s’occuper de la voiture, prenait un mécanicien  et me logeait chez une ancienne pilote de F3, Nathalie  Goodwin, dans un camion de course.

Le circuit était dangereux. La voiture ne marchait pas très bien, il y avait un problème de freins. J’ai fait une course prudente et j’ai fini 4e. Et avec ça j’ai gagné les 500 £ de prime d’engagement plus 1500 £. Une somme énorme.  On n’en a pas vu la couleur. J’étais avec Jean-Claude Bruley. Notre « manager » avait disparu avec les primes. Elles couvraient « soit-disant » tout juste ses propres frais… Quant à nous, on avait à peine de quoi payer l’essence jusqu’à Paris. Heureusement qu’on avait pris un aller ET un retour sur le ferry !

Classic Courses – Olivier Rogar : Et vous enchainez avec le Grand Prix d’Italie ?

Jean-Pierre Jarier : Oui, là-dessus, vu le résultat, j’ai tenté de m’inscrire au GP d’Italie. Et ça a marché ! Rien ne m’arrêtait. J’avais zéro balle. Je suis parti avec Jean-Claude. Sur place c’est Jean-Pierre Jaussaud et aussi Vittorio Brambilla qui m’ont aidé. Je n’avais pas de mécanicien.  Je n’avais que des pneus pluie. Il faisait beau. Ça s’est su dans les stands. Et McLaren m’a donné des pneus,  usagés, durs comme du bois mais des pneus slick.

La voiture continuait de mal fonctionner côté freinage et elle n’était pas du tout compétitive. Je découvrais Monza. Ça allait vite ! Je n’étais pas si perdu que ça. Je ne touchais pas grand-chose aux réglages. Même si à ce moment – là je commençais un peu à le faire.  Beaucoup d’abandons m’ont permis de finir 12e mais dernier.

Ronnie Peterson sur une March d’usine était 2e. On devait aller se faire payer les primes d’arrivée. Mais on n’a rien eu parce que Max Mosley, le patron de March,  était passé avant nous et avait dit que ma voiture était dans son écurie. Evidemment c’était une March. Mais rien à voir avec son écurie. Il a raflé la mise. Là aussi retour à la pipette ! Et à la douane au Mont Blanc, le douanier italien n’a pas été dupe de mon faux carnet ATA. « Vai, vai ! », avec un clin d’œil.

1972 – Une année charnière

Après avoir touché à tout en 1971, Jean-Pierre Jarier débute la saison 1972 en équipe avec José Dolhem sur des March 722. Deux courses sans résultat. Sans sponsor, Marcel Arnold s’étant retiré, il était dans une impasse. C’est à ce moment qu’il apprit par l’intermédiaire de Jean-Pierre Jabouille qu’un volant était disponible en F3 dans l’écurie de Philippe de Henning, sponsorisée par « La Vie Claire ». De plus il pourrait être rémunéré. Et c’est aussi à cette période qu’intervint l’épisode des 24 Heures du Mans chez Luigi Chinetti, raconté précédemment.
Doucement les choses commençaient à tourner à l’avantage de Jean-Pierre Jarier. Il finit dans les points à Rouen en F3 puis José Dolhem lui prêta sa F2 pour Monza. Avec cette auto équipée d’un petit 1800 cc, il finit 3e derrière Silvio Moser et Graham Hill, le récent vainqueur du Mans. Une très belle performance. 

La course de F3 suivante se passait à Clermont Ferrand, March n’avait pas de voiture officielle et seule l’écurie «La Vie Claire» les représentait. Robin Herd, l’ingénieur et co-actionnaire de March était présent. Il suivit donc leur course. Et particulièrement la voiture de Jarier. Celui-ci avait bondi au départ et effectué une course pleine de brio l’amenant à la 5e place. De la conversation qui suivit leur rencontre, une opportunité se dessina pour la saison suivante : Mass, le pilote officiel en F3 quittait l’écurie. Rendez-vous fut pris pour septembre au siège de l’usine March à Bicester.

1973 – Jean-Pierre Jarier champion d’Europe en F2

Jean-Pierre Jarier
JP. Jarier – March 732 -1973 © Archives personnelles JP Jarier

Olivier Rogar – Classic Courses : Comment se passa votre intégration chez March ?

Jean – Pierre Jarier : Il y avait Robin Herd, un homme extraordinaire. [Ingénieur et co-fondateur de March] D’entrée il m’a « donné » le bon vocabulaire en anglais. Il m’a appris à être attentif à ce qui se passait dans la voiture de course. Point par point il m’a sensibilisé aux réglages, aux réactions de la voiture, à faire le lien entre les deux. J’étais son élève et je travaillais ainsi trois jours par semaine. Je suis devenu, grâce à lui, pilote d’essai. Un vrai pilote d’essai. Il m’a canalisé, m’a rendu meilleur sans que je m’en rende compte. A tel point qu’il a fini par me briefer sur les objectifs des essais en me laissant les mener seul. Je faisais donc le développement des autos en choisissant les options qui me paraissaient les meilleures. Je les essayais et les transformais. J’adorais ça. 

J’ai développé la F2 pour 1973 jusqu’en décembre. Je partais de Paris par Le Bourget, je me posais à Gatwick. J’avais une DS que je laissais là-bas, en bordure de route. C’était une autre époque, plus facile. Et j’allais à Silverstone, Goodwood etc…

Robin Herd me considérait à ce moment comme un vrai pilote. Il me faisait confiance et me déléguait une partie importante de son boulot d’ingénieur de piste. J’étais heureux. Je me sentais à ma place. Je recevais des pilotes comme Lauda ou Beuttler, je prenais leur voiture, je la réglais. Et eux faisaient un chèque à March. 

Olivier Rogar – Classic Courses : C’est à ce moment là qu’il vous a jugé apte à défendre leurs couleurs en F2 pour 1973 ?

Jean – Pierre Jarier : Oui. Parce que pour convaincre BMW qui devenait leur fournisseur exclusif, il fallait qu’ils soit eux-mêmes convaincus ! Le travail en essais avait payé. J’étais devenu un pilote. Et j’avais conservé un tempérament qu’ils appréciaient. Finalement Jochen Neerspasch, le responsable de la compétition chez BMW valida.  

Lors des essais de présaison avec la March 732, sur le circuit Paul Ricard, j’ai fait des temps qui se rapprochaient de ceux des F1. [1’.53’’.5, ce qui lui aurait valu une place sur la grille du GP F1 de la même année]. Beaucoup de pilotes ont commandé des March 732. Un grand succès pour la marque !
Et là ils m’ont fait signer un contrat de quatre ans. On en reparlera.

March 731G
JP. Jarier – March 731 -1973 © Archives personnelles JP Jarier

Olivier Rogar – Classic – Courses : 1973, une saison tranquille où vous semblez sur une autre planête.

Jean-Pierre Jarier : En F2, j’ai l’impression d’avoir gagné toutes les courses. Sept fois premier, une fois 2e à Pau mais derrière Cevert qui était en F1 et ne pouvait marquer de points en F2, donc je les ai récupérés. Et encore une victoire hors championnat à Estoril en fin de saison. J’ai donc remporté le Championnat d’Europe de F2 devant Mass.

Dans le même temps j’étais en F1 avec eux. Mais c’était très différent. Dix Grands Prix disputés.   Une seule fois à l’arrivée. [USA, 11e], la 731 ne fonctionnait pas. Alors que la même voiture modifiée par Harvey Postlethwaite pour James Hunt chez Hesketh Racing marchait très bien. Toute l’aérodynamique avait été modifiée. Et elle était très bien suivie et préparée lors de chaque course.

Ceci-étant il s’est passé quelque chose de bizarre au Norisring, un circuit situé à côté de la ville de Nüremberg. C’était une course du championnat d’Europe de F2 et à l’issue des essais j’avais fait la pole. Pas facile. Mais nette. Le deuxième était un Allemand. J’ai pris la tête et rapidement, mon moteur s’est arrêté. Au stand, les mécaniciens se sont rendu compte que les boulons qui tenaient la pompe à injection n’étaient plus en place, sauf un qui était simplement desserré.  Pour certains il fallait qu’un Allemand gagne ici. Et surtout pas un français. Sabotage ! Le mécanicien en question, était intervenu sur mon moteur. Il s’est fait attraper et a été viré de l’écurie.

Olivier Rogar – Classic Courses : Comment expliquez-vous que durant cette saison 1973, votre coéquipier chez March en F2, Jean-Pierre Beltoise, n’a pas fait de résultat ?

Beltoise
JP. Beltoise, Marcel Arnold, JP.Jarier-1973-©-Archives-personnelles-JP-Jarier

Jean-Pierre Jarier : Lors de la première course de la saison, à Mallory Park, Beltoise a fait la pole et a mené au départ mais dès la fin du premier tour une bielle a cassé. Et toute sa saison a été comme ça. Tous les problèmes touchaient sa voiture. Il a fait une deuxième pole consécutive à Hockenheim et là aussi, abandon sur bris de moteur. [Un caillou avalé par l’admission]. On avait dix ans d’écart mais il était toujours très rapide. C’était mon pote. Pour moi il était intouchable.

1973 – Le volant Ferrari échappe à Jean-Pierre Jarier

Olivier Rogar – Classic Courses : 1973 c’est l’année de la consécration pour vous. Champion d’Europe de F2, vous êtes sollicité pour aller en F1 dans plusieurs écuries. Notamment par Ferrari. Que s’est – il passé ?

C’est par ma faute que j’ai perdu le volant chez Ferrari. Nous étions en 1973 et je gagnais pratiquement toutes les courses en formule 2 chez March. J’étais donc plutôt en vue. Parallèlement March me faisait piloter en Grand Prix sur la 731 G.  Et ce n’était pas brillant.  

Lors du Grand Prix de France, je venais de me qualifier avec le 8e temps, en 3e ligne, Max Mosley m’a dit qu’ils avaient une demande de Tom Wheatcroft pour louer ma voiture. Le pilote serait Roger Williamson. La situation de March était telle qu’il leur fallait un budget. Donc je n’avais plus de volant en F1 quelle que soit l’issue du Grand Prix de France.

Et pour moi, à ce moment là, le contrat signé à la sauvette en milieu de saison était rompu. A l’époque, bêtement sans trop réfléchir je m’étais dit que ça ne changerait rien et j’avais signé. Effectivement pour moi ça ne valait pas grand-chose parce qu’ils ne me payaient pas. J’avais simplement un deal sur les primes d’arrivée. Ce qui me convenait parfaitement parce que je gagnais souvent. Ça m’allait donc très bien. Le problème est que ça m’interdisait de piloter pour une autre écurie !

Alors que je passais chercher Jean-Pierre Beltoise dans le stand BRM pour quitter le circuit Paul Ricard, Colombo le directeur de Ferrari m’est tombé dessus. Il me fixait un rendez-vous à l’usine avec Enzo Ferrari la semaine suivante ! C’était incroyable. Je jubilais. Beltoise, avec lequel je partageai aussitôt ce secret, également. j’ai donc pris ma voiture et je suis parti en Italie. C’était tout début juillet. J’ai eu trois heures de rendez-vous avec Ferrari au terme desquelles il m’a proposé un des deux volants Ferrari pour 1974…

J’ai demandé un délai de deux semaines car je voulais savoir ce qu’il en était du côté de Bicester [Siège de March]. Je suis allé à Silverstone et là, « ma » voiture était bien pilotée par Williamson.   J’en conclus que ma période March était donc finie et j’ai accepté l’offre de Ferrari. [21 juillet 1973].

La presse italienne a repris l’information, puis la presse européenne. Et Mosley a informé Ferrari que j’étais encore sous contrat avec eux pour trois années… Et moi qui me disais qu’en ayant la possibilité de rentrer chez Ferrari, ils m’auraient libéré de toute façon. Surtout qu’ils ne me payaient pas ! J’ai été coincé par ma faute et je n’imaginais pas qu’ils agissent comme ça.

Mosley a demandé une fortune à Ferrari. Pour m’empêcher de conduire. Et surtout pour encaisser beaucoup d’argent.  Alors Ferrari a recruté Lauda. Si j’avais conduit la Ferrari au niveau que j’avais en 1973 il est certain que j’aurais gagné des Grands Prix. Peut-être davantage. Je serais peut-être mort aussi…

A cette époque on n’avait personne à nos côtés pour nous conseiller. Aujourd’hui il y a des coaches, des avocats etc… Moi j’étais seul et paré pour commettre de grosses erreurs. Je les ai faites. Celle-ci du moins ! Pourtant je me souviens très bien ce qui s’est passé dans mon esprit ; quand Mosley m’a proposé le contrat j’ai eu la tentation de lui dire que j’allais le faire traduire en français, « I will translate that », ça m’a vraiment effleuré. Je l’avais sur le bout des lèvres. Mais je ne l’ai pas dit et j’ai signé…

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Jean-Pierre Jarier Palmarès 1973
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