Jean-Pierre Jaussaud, le premier de cordée
Jean-Pierre Jaussaud nous a quittés la semaine dernière. Un dernier hommage lui a été rendu aujourd’hui 30 juillet en l’église Saint-Gilles de Caen. Classic Courses a tenu à s’y associer. En revenant plus particulièrement sur sa victoire au Mans en 1978.
Olivier Favre
11 juin 1978, 16 h 01 : la Renault Alpine A442 B franchit pour la 369e et dernière fois la ligne de chronométrage. A son volant, un Didier Pironi au bord de la syncope reçoit le drapeau à damier avec le soulagement que l’on imagine. Mais comment se figurer les sentiments qu’éprouve au même instant son coéquipier au bord de la piste ? Car, après avoir été tendu comme un arc durant les trois dernières heures, Jean-Pierre Jaussaud s’abandonne, lui, à la plus grande émotion de sa vie de pilote. A 41 ans, il tient enfin sa consécration.
Quelques minutes plus tard, au côté de son jeune coéquipier qui peine à reprendre ses esprits, il salue la foule enthousiaste qui l’acclame sous le balcon de la direction de course. Puis, la Marseillaise retentit et le Normand ne peut retenir ses larmes. L’épuisement physique et nerveux, bien sûr. Le manque d’habitude aussi ; pensez, sa dernière victoire remontait à l’automne 1972 (Albi en F2) ! Mais ce succès au Mans, c’est surtout la récompense de quinze années de sacrifices, au fil d’une carrière émaillée d’une collection de déboires qui en auraient découragé plus d’un.

Jean-Pierre Jaussaud ou l’ascension entravée
Vainqueur du Volant Shell inaugural en 1963, Jean-Pierre Jaussaud est le premier de cordée dans la lente progression des pilotes français vers les sommets internationaux entamée dans les années soixante. Mais, de mauvais choix – son départ de Matra fin 1967 – en coup du sort – son grave accident à Monza en 1968 au bien nommé GP de la Loterie, il perd progressivement sa place d’espoir numéro 1 du sport automobile national. Plus cruel encore, alors qu’il piétine en mal de volants d’usine, il voit ses compagnons d’ascension, les Pescarolo, Beltoise, Cevert, … atteindre la consécration populaire. Celle que vous donne la victoire qui fait la une des quotidiens et des actualités télévisées, pas seulement de la presse spécialisée.
Certes, en 1978 Jean-Pierre Jaussaud n’a pas à rougir du palmarès qu’il s’est construit. A commencer par sa 2e place au championnat d’Europe F2 en 1972. Une saison qui le vit donner, avec peu de moyens, bien du fil à retordre au futur champion Mike Hailwood et à sa Surtees d’usine (1). Une performance significative et appréciée par les spécialistes, mais qui n’a pas le retentissement d’une victoire au Mans.

Car, pour « parler » au grand public, il faut gagner au Mans comme Pesca, ou à Monaco comme Beltoise. Et il faut être en F1. Or, pour Jaussaud la F1 restera un rêve inaccompli, un désir inassouvi. Plusieurs fois, l’occasion s’est présentée. Mais, systématiquement, la perspective fugitivement entrevue d’un volant en Grands Prix lui a glissé entre les doigts. Il conduira finalement une F1 un an plus tard (2). Mais ce ne sera que dans le cadre du championnat Aurora, la « 2e division » regroupant des monoplaces de réforme et des pilotes de niveaux disparates.
Renault, une chance à saisir
Heureusement, l’offensive Renault au Mans va offrir une seconde chance à Jean-Pierre Jaussaud. Une opportunité qui ne coulait pas de source. En effet, il était jusque là plutôt considéré comme un pilote de monoplace. Une étiquette logique compte tenu de son objectif ultime, la F1. De surcroît, il n’avait pas de lien particulier avec Renault ou Elf, au contraire d’un Jabouille ou d’un Depailler.

Cependant, quand fin 1976, après un premier essai « pour voir », l’opération Le Mans est vraiment lancée, la Régie entend mettre toutes les chances de son côté. Aussi le recrutement des pilotes est-il effectué sans exclusive et selon un savant dosage d’expérience et de jeunesse. L’expérience, Jaussaud en a à revendre. Y compris au Mans où il compte deux podiums à son actif en six participations (3). Et il est d’autant plus disposé à saisir l’offre jaune et noire qu’il se trouve une fois de plus dans une impasse en cette fin d’année 1976. Sa saison F2 au volant d’une Chevron-ROC a été catastrophique et l’avenir paraît bouché.
Faute d’autre volant, Jaussaud va pouvoir s’investir à fond dans la mise au point des protos A442. Il prendra ainsi une place importante dans le dispositif de bataille de la Régie pour le Mans. Il est donc reconduit sans discussion en 1978 pour tenter d’en appeler de l’échec cuisant de l’année précédente. Pour cette revanche accordée par Porsche, Jaussaud le doyen de l’équipe est associé à Pironi le benjamin, qui a 15 ans de moins que lui. Une paire qui doit beaucoup aux circonstances. Initialement, « Papy » devait faire équipe avec Derek Bell, puis avec Fréquelin et Ragnotti sur la Calberson. Mais l’indisponibilité de Tambay, blessé à Pau en F2, a contraint Gérard Larrousse à recomposer ses équipages.
Après Renault, Rondeau
Le lendemain de la course, l’A442 B victorieuse descend les Champs-Elysées. A bord avec Pironi, Jaussaud savoure en saluant les Parisiens étonnés. Peu importe que sa victoire le catalogue en pilote d’endurance désormais. Au contraire, puisqu’il aura ainsi l’occasion de remettre le couvert au Mans deux ans plus tard, au volant d’une Rondeau. Le premier constructeur français, puis un artisan méritant connu des seuls passionnés. Difficile de trouver deux victoires aux contextes plus différents. Mais avec un dénominateur commun : un pilote disposant d’un capital de sympathie énorme, dû à sa personnalité attachante et à son histoire exemplaire de petit Gaulois qui ne renonce jamais.

Au revoir Monsieur Jaussaud. Bravo pour votre parcours et merci pour les valeurs que vous avez incarnées tout au long de votre vie. Le sport automobile n’aura jamais été plus humain qu’avec vous.
NOTES :
(1) Jean-Pierre Jaussaud m’avait raconté sa saison avec sa Brabham bleue pour les besoins d’un article sur la F2 des années 72-73 paru en 2005 dans le magazine Automobile Historique. Je garde un merveilleux souvenir de cet entretien téléphonique. « Papy Jaussaud » me mit tout de suite à l’aise et ce fut un régal de l’écouter narrer les péripéties de cette saison.
(2) Jaussaud pilote une Surtees officielle à Nogaro le 8 juillet 1979 (abandon).
(3) Troisième en 1973 avec Jabouille (Matra) et troisième en 1975 avec Schuppan (Gulf-Ford).
Mon tout premier papier en 1973, publié dans l’Eclair des Pyrénées, était consacré à Jean-Pierre Jaussaud. J’étais au lycée en première, et lui sortait d’une magnifique saison en Formule 2 : imaginez ma joie ! En 1978, année où je débute à AutoHebdo, je « couvre » les 24 Heures du Mans, première victoire mancelle de Jaussaud. Un exploit qu’il renouvelle deux ans plus tard. Là, avec mon confrère Christian Courtel, nous sortons un petit livre en une semaine pour saluer la performance. Jaussaud est ainsi devenu un de mes pilotes-fétiche, son talent et sa bienveillance ont accompagné vaillamment mes quarante années… Lire la suite »
Je me rappelle le commentaire de Bob Wollek à l’arrivée du GP d’Albi 1972, où il avait terminé troisième derrière Jean Pierre Jaussaud et Patrick Depailler, qui s’étaient livré un magnifique duel : « Ces deux là allaient bien trop vite pour moi ! »
Pas question de réécrire les années 60 et 70 ou c’était DALLAS chez MATRA avec pas mal de trahisons .
JPJ ( marrant car Jarier est aussi JPJ ) est un double vainqueur des 24 heures : Chapeau Monsieur Jaussaud , et vive la Normandie et Gasly en 2021
» mauvais choix – son départ de Matra fin 1967 » . N’était-ce pas plutôt un « choix » de Matra , mettant en cause » des résultats inférieurs à ce que l’on attendait » , tenté aussi par le nombre d’autres nouvelles » pousses » prometteuses qui se bousculaient au portillon ?
Oui et non. Il est vrai que Jaussaud n’entrait plus dans les priorités de Matra à la fin de la saison 67.D’où la proposition de Lagardère d’un programme réduit avec surtout du proto et des essais de mise au point. Mais c’est bien JPJ qui a refusé cette option car il voulait faire de la monoplace (alors que Matra arrêtait la F3). Et il a l’a dit lui-même, « c’était une belle c…! »
Situation très nuancée … Cantonner Jaussaud en proto et essais en 68 c’était un « moyen » de l’inciter à partir. Matra pour 68 en monoplace avait choisi ses pilotes français : Beltoise Pescarolo, Servoz et même Jabouille (F1/F2). Chacun a son interprétation en ce qui concerne JPJ : désir de quitter Matra pour les uns, éviction à peine camouflée pour les autres.
Merci pour ce bel hommage auquel je souscris entièrement.
La première qualité d’un homme, c’est son humanité.
En la matière, Jean-Pierre Jaussaud fut un homme, un vrai.
Tout le reste est littérature.
J’étais impatient de lire enfin un papier sur Jean-Pierre Jaussaud disparu cette décade. Pour un enfant des 60’, biberonné à l’automobile, péché capital aujourd’hui, un tel homme renvoie à des images regrettées. D’abord des hommes jeunes et joueurs, sérieux et appliqués sans être graves. Jeunes quoi que. Chasseuil, Servoz-Gavin, Pescarolo nés en 42. Larrousse en 40. Ballot-Léna en 36, Offenstadt en 39, Beltoise, Jabouille Jaussaud en 37. Laffite en 43, Cevert et Amon, c’est 44, Jarier, 46. C’est l’effet de génération, de figures envisageables et dévisageables pour le grand public, les lecteurs de Sport Auto, Échappement, Virage, Moteurs. Les autres étaient… Lire la suite »
Bonjour à toutes zé à tous,
Je suis scotché par l’hommage rendu sur FB notamment, par les amis et la famille de JPJ, que j’aimais aussi beaucoup naturellement … et grâce au ciel je m’aperçois que je n’étais vraiment pas le seul ! Hommages vraiment mérités donc, merci à tous 😜🤣😤, sans parler de cette victoire subliminale et non moins miraculeuse du p’tit Ocon sur cette Alpine qui va l’emporter dans 3 semaines au Mans 🥰😍😜😂 … enfin j’y crois très très fort et j’y serai pour rendre hommage à JPJ aussi !