2 septembre 2023

Harald et Hans, les pirates de la F1

L’Allemagne est ce pays étrange (pour un Français) où traverser la rue alors que le feu piétons est au rouge déclenche un murmure de réprobations unanimes. Et ce même si aucun véhicule n’est en vue. C’est la règle au pays de la discipline. Ordnung ! Aussi est-il particulièrement piquant que notre histoire de pirates concerne des Allemands et qu’elle ait eu lieu, en partie, en Allemagne …

Olivier Favre

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Les années 70 sont une période de transition pour la F1. Transition entre l’amateurisme artisanal et passionné des sixties et le professionnalisme plus calculé des années 80. A cette époque Tonton Bernie tisse patiemment sa toile mais n’a pas encore mis la F1 sous sa coupe. Propriétaires de circuits, FOCA, pouvoir sportif, sponsors, … nombreux sont les intervenants ayant voix au chapitre (mais les pilotes pas trop). De sorte que la soi-disant catégorie-reine se caractérise encore souvent par une certaine désorganisation (pour être poli). Ce « gran casino » comme disent les Italiens paraîtrait sympathique si la tragédie ne venait pas régulièrement rappeler que des bolides de 500 ch et à peine plus de kilos ne supportent pas l’à peu près.

Transition donc, mais aussi succès croissant. La F1 d’alors draine les foules, l’argent et les écuries. En 1969 les organisateurs de grands prix étaient contents de rassembler une quinzaine de voitures. Cinq ans plus tard ils en ont le double. Les circuits n’étant pas extensibles, il faut limiter la taille de la grille de départ. C’est particulièrement le cas dans les années 1976-1977, où les écuries privées plus ou moins sérieuses s’ajoutent aux constructeurs patentés. Plusieurs pilotes sont donc recalés à chaque grand prix. Et certains ont du mal à l’accepter …

Un pastis pour Harald, le pirate

Nos lecteurs les plus fidèles connaissent bien Harald Ertl et sa pilosité remarquable. Votre serviteur a croqué son portrait il y a déjà dix ans, en même temps que celui des trois autres pilotes ayant extrait Niki Lauda de la fournaise le 1er août 1976. Un mois plus tôt en Provence, l’Autrichien (qui court avec une licence allemande) s’était déjà signalé par un comportement atypique.

Harald Ertl
Ertl lors du GP de Grande-Bretagne 76 – © Tim Marshall

Très lente sur les longues lignes droites du Castellet, l’Hesketh d’Ertl ne lui a valu que le 29e chrono du GP de France. A cette époque le premier non-qualifié est souvent inclus dans la procédure de départ en cas de défaillance de dernière minute d’un concurrent. Seuls les 26 premiers étant qualifiés au Ricard, cette tolérance ne peut s’appliquer à Harald. Mais notre gai luron n’en a cure. Il se glisse dans le sillage de son équipier, Edwards, régulièrement qualifié lui, et s’installe discrètement en fond de grille. Les officiels constatent rapidement qu’il y a une voiture de trop dans leur pointage du premier tour. Mais, avant qu’ils aient pu montrer le drapeau noir à Ertl, notre pirate stoppe dès le 4e tour, en panne de différentiel. Cet abandon précoce a-t-il incité les organisateurs à passer l’éponge ? Toujours est-il que Harald ne sera pas sanctionné pour ce départ illégal.

Une liqueur pour Hans, le pirate

Un an plus tard, nous voici à Hockenheim. Patron de l’écurie ATS (qui aligne des Penske de l’année précédente) et de la firme de jantes éponyme, l’irascible Gunther Schmidt veut engager un pilote allemand en plus de Jean-Pierre Jarier. Il fait affaire avec un novice à ce niveau, mais bien connu en Tourisme et GT : Hans Heyer. L’homme au chapeau tyrolien lui apporte en dot son sponsor, la liqueur berlinoise Mampe. Hélas pour Hans, les essais ne se déroulent pas comme espéré. Le samedi soir il n’a que le 27e temps, alors que seuls les 24 premiers sont qualifiés. Aucun espoir de partir, donc. Mais notre homme sait que c’est sans doute sa seule occasion de prendre le départ d’un grand prix. Pas question de la laisser filer. Hans est populaire en Allemagne, il connaît plein de monde, il va s’en servir.

Hans Heyer
Le jovial Hans avec son chapeau fétiche – © DR

Avec l’accord de Schmidt, il se prépare pour courir. Un commissaire de piste ami ayant « oublié » de fermer le portail entre le paddock et la voie des stands, la voiture jaune se faufile. Elle reste tapie derrière un essaim de grid girls que Hans a mises dans le coup et qui s’écarteront à point nommé. Évidemment, lui non plus ne voit pas grand-chose mais il a prévu cela aussi : un complice juché sur un bidon doit lui signaler le moment du départ. Un départ dont les circonstances chaotiques vont aider Heyer. D’abord, les feux tricolores sont en panne et il faut revenir au bon vieux drapeau national. Puis, une fois celui-ci abaissé, Jones et Regazzoni s’accrochent dès le premier virage. De sorte que personne ne fait attention à la Penske n°35 qui s’élance de la voie des stands, à la poursuite du peloton.

Heyer exclu à vie !

En dehors des spectateurs ayant acclamé le départ pirate de Heyer, le premier à se rendre compte de la chose est le commentateur de la télé allemande qui s’exclame à l’antenne « Mais d’où vient donc ce type ? ». Heyer gagne même quelques places, avant que les officiels s’aperçoivent enfin qu’ils voient passer deux Penske jaunes au lieu d’une. Ils préparent le drapeau noir, mais n’ont pas le temps de le brandir devant Heyer. Ce dernier rentre au stand après neuf tours, levier de vitesses brisé. Sa disqualification est pourtant effective. Ce qui fait de Hans, sans doute pour toujours, le seul pilote de l’histoire de la F1 cumulant dans le même grand prix les trois annotations bien connues : DNQ, DNF, DSQ (1). Avec en prime une engueulade de la part du distingué Huschke von Hanstein, alors président de la Fédération allemande de sport auto.

Hans Heyer
Deux Penske au lieu d’une à Hockenheim en 1977 – © DR

Comme il fallait faire un exemple, Hans fut exclu à vie, mais uniquement pour les grands prix. Ce qui lui convenait très bien. Il n’avait pas l’intention de revenir en F1 et pouvait ainsi poursuivre une fructueuse carrière en endurance et tourisme. Avec notamment trois victoires consécutives aux 24 Heures de Spa (82-83-84), mais aussi une sorte de « record » dont il se serait bien passé : treize abandons aux 24 Heures du Mans en douze participations ! (2) Pour conclure sur ce type d’anecdotes caractéristiques d’une époque révolue, je propose à la sagacité de nos lecteurs une petite devinette : quel pilote/pirate (et lors de quelle course) fit encore mieux (ou pire, c’est selon) que Harald et Hans en parcourant illégalement la totalité d’un grand prix ?

NOTES :

(1) DNQ : did not qualify – DNF : did not finish – DSQ : disqualified

(2) En 1973 Heyer passa sur la Capri de Glemser-Fitzpatrick après l’abandon de la sienne.

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