18 octobre 2023

Fangio en expo à La Baule

A notre connaissance, au cours de sa prodigieuse carrière,  Juan Manuel Fangio n’est pas venu à La Baule, du moins pour y courir, contrairement à ses contemporains Ascari, Villoresi, Taruffi, Behra, Trintignant ou Manzon (le 28 août 1952, Grand Prix de Formule 2 à La Baule-Escoublac, gagné par Ascari sur Ferrari 500 F 2). Mais la ville de La Baule, en 2023, n’en a pas moins tenu à lui rendre hommage. Pourquoi, comment ? Explications et visite guidée.

Jacques Vassal – photos Museo Fangio de Balcarce (Argentine)

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D’une temporada à l’autre

Cette année est celle de l’Argentine pour la belle ville de La Baule. L’un des temps forts de l’opération est le fait que l’équipe de rugby de ce grand pays a pris ses quartiers à La Baule pour la durée de la coupe du monde du ballon ovale. D’autres temps forts concernent, entre autres, le théâtre (une pièce d’Arturo Philip est programmée) et, nous y voilà, l’automobile.

Ce dimanche 1er octobre se déroulait, à l’initiative de la branche Loire-Atlantique de l’ACO (Automobile Club de l’Ouest), un rallye-promenade pour voitures de collection, parti de l’aérodrome d’Escoublac et réservé à des voitures plus ou moins rares.

Il empruntait une partie des “spéciales” du Rallye de La Baule qui, lui, est bel et bien une épreuve chronométrée. Parmi les autos participant à cette “Temporada”, ainsi nommée en référence aux courses internationales en circuit qui se sont déroulées en Argentine à l’intersaison il y a longtemps déjà, on remarquait entre autres une McLaren moderne, une Aston Martin DB 9, une Ferrari 360 Modena et, rareté magnifique, une Jaguar XK SS Replica.

Le village Fangio

Mais ce qui nous amène ici, c’est le “Village Fangio” sur le front de mer. Là même où les voitures ayant terminé leur boucle dite “Temporada” sont venues se garer en épi, tout près des stands de quelques restaurateurs (d’autos !), de clubs ou d’associations (outre l’ACO, l’Enthousiast’Club Jaguar ou les amis nantais de Historic Auto) et de spécialités argentines, empanadas et autres vins récoltés du côté de Mendoza, non loin de la Cordillère des Andes.

Au milieu de tout ça, l’exposition consacrée à Juan Manuel Fangio.

Ecoutons Agata Philip, présidente de l’ACFA (Association Culturelle Franco Argentine), qui avec l’aide de sa soeur Barbara (coordinatrice des activités de ladite association), a monté l’opération :

“Cela s’est décidé il y a quatre ou cinq mois. Nous avons été contactées par l’ACO, qui voulait organiser ici un événement autour de Fangio. Et nous, c’est un personnage que nous aimons bien et dont nous avons remarqué que, des années après sa mort (1995), et encore plus d’années depuis sa carrière de pilote (achevée en 1958), il reste immensément populaire.
Non seulement chez nous en Argentine, mais aussi aux Etats-Unis, en Europe et notamment en France. Bref, nous avons pris contact avec le Musée Fangio de Balcarce, sa ville natale. La réponse a été enthousiaste : les responsables nous ont prêté une quarantaine de photos, dont certaines très peu connues, voire inédites.
Nous les avons encadrées en style rétro pour que ce soit plus joli. Et avons ajouté des légendes. Chemin faisant, elles nous montrent que Juan Manuel Fangio était non seulement un très grand pilote de course, mais aussi, et c’est ce qui nous touche encore aujourd’hui, un être humain attachant, un homme honnête et modeste”.

Les Argentins en Europe

Fangio
Juan Manuel en premier communiant © Musée Fangio de Balcarce

On pourrait ajouter qu’il a laissé de très bons souvenirs à tous ceux qui ont eu la chance de l’approcher. Rencontré ce jour-là, et venu exprès à La Baule pour l’occasion, un visiteur argentin dont l’histoire familiale croise indirectement celle de Fangio, Artur Von Pieschel, c’est son nom, habite aujourd’hui le Maryland aux Etats-Unis et il a des contacts réguliers en Angleterre, en Allemagne et en France.

Or son grand-père était un grand architecte et un membre influent du Hindu Club. Un club hindou en Argentine ? On s’étonne. Mais ça n’a rien à voir : en fait, c’était un club composé de membres influents et riches, qui travaillait en parallèle avec l’Automobile Club d’Argentine.

Artur nous explique : “C’était le Hindu Club qui jouait les sponsors pour le sport automobile chez nous. C’est comme ça que Fangio a eu les moyens financiers d’aller courir en Europe. Mon grand-père avait été invité aux Etats-Unis et quand il en était revenu, il avait construit un restaurant avec hôtel et station-service, comme en Amérique du Nord. Le modèle avait été reproduit en Argentine et il y en a eu à peu près trois cents dans le pays.
Le Hindu Club parrainait l’ACA et en fait, c’est grâce à lui que l’ACA avait les moyens d’envoyer des coureurs argentins en Europe.”

On peut penser qu’après Fangio ou parfois en même temps que lui, successivement Benedicto Campos, Froilan Gonzalez, Onofre Marimon, Carlos Menditeguy, Roberto Mieres purent bénéficier du même genre d’aides.

Non seulement l’envoi des pilotes en Europe mais aussi l’achat de voitures (deux Maserati 4 CLT notamment) et la rémunération des mécanos recrutés en Italie par l'”Equipe Achille Varzi”, dans la maison duquel nos Argentins étaient logés durant la saison européenne, furent en grande partie aidés par les fonds provenant du Hindu Club.

Parenthèse : en 1947 Piero Dusio, patron de Cisitalia, en difficulté financière à cause de la géniale mais ruineuse Cisitalia 1500 cm3 Formule 1 à compresseur, avait tenté de se rapprocher du gouvernement de Peron pour transférer son usine en Argentine – projet qui ne put aboutir. Peut-être y eut-il, politiquement et financièrement, un lien de cause à effet entre l’abandon d’un projet et l’essor d’un autre ? Cela mériterait d’y revenir un jour.

Les Andes selon Fangio… et Yupanqui

En attendant, promenons-nous dans l’histoire de Fangio. Elle commence à Balcarce.
On voit Juan Manuel en premier communiant, puis en 1927 (il a alors seize ans) convalescent après avoir été soigné d’une pleurésie.
On le voit encore jouer dans son équipe de football, la Rivadavia (un pseudonyme qu’il utilisera parfois à ses débuts en course).
Et puis bien sûr, on découvre des documents sur les courses de “Turismo de Carreteras”, ces longues étapes routières sur des routes ardues, dangereuses et plus souvent recouvertes de terre battue et de cailloux que de goudron, à l’époque où Juan Manuel les fréquente et, au volant de berlines américaines très modifiées (Ford en 1938 et au début 1939, Chevrolet par la suite), commence à les gagner et à y construire sa légende.

1939, on le voit recevoir le chèque attribué au vainqueur du 4e Gran Premio Extraordinario © Musée Fangio de Balcarce

Ainsi en 1939, on le voit recevoir le chèque attribué au vainqueur du 4e Gran Premio Extraordinario.

Fangio et Daniel Urrutia © Musée Fangio de Balcarce

On le voit aussi réparer la boîte de vitesses de sa Chevrolet, en compagnie de son coéquipier et ami Daniel Urrutia.

On voit encore, hélas, l’épave de la Chevrolet avec laquelle Fangio, au volant, est sorti de la route après avoir attaqué trop fort dans un virage. La voiture ayant rebondi sur des rochers quelques mètres plus bas, Daniel Urrutia a été mortellement blessé dans leur chute.

Fangio, indemne ce jour-là, s’en voudra toute sa vie et désormais, lors d’une course avec deux équipiers autorisés à bord, s’astreindra, comme aux Mille Miglia en Italie ou à la Panamericana à travers le nord du Mexique, à les disputer en solo.

Une autre photo émouvante montre d’ailleurs Juan Manuel en train d’embrasser le capot de la Lancia D 24 avec laquelle, en novembre 1953, il vient de remporter ladite Panamericana !

Fangio, un humble géant

D’autres photos illustrent des moments de course (24 Heures du Mans 1951 sur Talbot-Lago avec Louis Rosier, équipe Alfa Romeo au Grand Prix de Suisse 1951 à Berne-Bremgarten, 1955 sur Mercedes 300 SLR, Grand Prix de Monaco 1956 sur Lancia-Ferrari…).

Fangio
Départ des 24 Heures du Mans 1950 © Musée Fangio de Balcarce
© Musée Fangio de Balcarce

Mais l’essentiel à mon avis est l’aspect humain de l’histoire : ainsi voit-on Fangio en train de faire griller un asado pour l’équipe Mercedes lors d’une pause de la saison 1954; ou encore, culture argentine oblige, d’enseigner quelques pas de tango à ses coéquipiers de l’équipe Mercedes-Benz.

Et, en ce qui me concerne, je retiens plus particulièrement une photo d’une route d’une étape de course passant au pied de la cordillère des Andes.

Elle est accompagnée de la phrase suivante : “Que personne ne soit en colère, si je dis ce que je ressens, l’homme en vaut la peine à l’intérieur. Ce qui est en dehors est emprunté. Peu importe combien (d’argent) vous avez collecté, ne te prends pas pour une montagne, car dans la vie du routard, celui qui se croit très grand n’est qu’un nain à côté des Andes”.

Signée par un autre grand homme, musicien, guitariste, poète et chanteur : Atahualpa Yupanqui (1908-1992) qui, lui, venait du nord de l’Argentine. Un de ses plus importants artistes, qui avait des origines en partie basques, en partie indiennes.

Or figurez-vous que Yupanqui avait dédié cette photo et cette citation à Fangio ! On ne sait si les deux hommes ne se sont jamais rencontrés, mais dans les années où Fangio possédait son garage à Buenos Aires (voir photo), Yupanqui, bien que basé à Paris pour sa carrière, y revenait souvent. Alors, on peut rêver…

Fangio
Au pied de la cordillère des Andes © Musée Fangio de Balcarce
Le garage de Fangio à Buenos AIres © Musée Fangio de Balcarce

PS Exposition Fangio à la Mairie de La Baule prolongée jusqu’au 31 décembre 2023. Association Culturelle Franco-Argentine : www.acfa.fr

Merci à Agata et à Barbara Philip, à Artur Von Pieschel et à Christian Pavageau (ACO).

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