Juan Manuel Fangio – Enlèvement à la Havane
23 février 1958
« Vous êtes Fangio ? »
En 1958, le pilote automobile argentin Juan Manuel Fangio est l’un des personnages les plus emblématiques de la planète. Pour faire parler de lui, un commando révolutionnaire cubain décide de le kidnapper !
Patrice Vergès
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Champagne and podium
En 1958, après cinq titres de champion du monde en formule 1, âgé de 47 ans, Juan Manuel Fangio sait qu’il vit sa dernière saison sur la piste. C’est pour le plaisir de piloter et aussi pour l’épaisse prime de départ de 7000 dollars US qu’on lui propose qu’il se retrouve en février 1958 au départ du deuxième Grand Prix de Cuba. Une épreuve ouverte aux voitures de sport malgré son nom de Grand-Prix et qui ne compte pas pour le championnat du monde des voitures de sport désormais limité aux moins de 3 litres de cylindrée. Drôle de plateau hétéroclite composé de voitures souvent anciennes ne pouvant plus participer à ce championnat.

Un boulevard
Drôle de circuit aussi qui n’en a que le nom mais qu’il connait bien puisqu’il s’y est imposé l’année précédente au volant de sa Maserati 300 S devant Shelby sur Ferrari 4,9 l et de Portago sur Ferrari 3,5 l. Circuit long de 5584 m disputé sur les boulevards des beaux quartiers de Malecon longeant l’océan.

A cette époque, Cuba, est une sorte de paradis pour les Américains fortunés qui vont s’encanailler dans la plus grande île des Antilles dirigée d’une main de fer par le général Batista. Il veut faire du Grand Prix automobile de Cuba une manifestation internationale pour améliorer son image.

Appâté par de substantielles primes de départ, tout le gratin des pilotes se retrouve à la Havane au départ de ce deuxième Grand Prix. Fangio est engagé sur une surpuissante Maserati 450 S (châssis 4508) délivrant plus de 400 ch, peinte aux couleurs américaines bleu foncé à bandes blanches car appartenant à la Scudéria Temple Buell.

Elle avait été créée par le fils d’un célèbre architecte américain. Ce passionné par l’automobile, se particularisant par son physique massif (130 kilos), fut l’un des mécènes de la marque au Trident qu’il finança largement à travers ses achats. 450 S dont le gros 8 cylindres cassera aux essais et qui obligera l’Argentin à se qualifier avec la Maserati 300 S de l’Espagnol Francisco Godia.

Le Mouvement du 26 juillet
Le 23 février vers 18 heures, après les essais, Fangio bavarde avec ses amis dans le hall du luxueux hôtel Lincoln quand un jeune homme mince aux yeux de braise s’avance directement vers lui en lui demandant «Are you Fangio ?» Puis il lui enfonce un pistolet dans les côtes. Fangio croit d’abord à une blague montée par son manager. Le jeune homme, semble-t-il assez nerveux, lui déclare «Au nom du Mouvement du 26 juillet, suivez-moi. Si vous bougez, il y a quatre mitrailleuses pointées sur vous ». En effet quelques hommes entourent immédiatement le pilote argentin et l’accompagnent en dehors de l’hôtel sous le regard inquiet de ses amis à qui il est demandé de ne pas intervenir.

Fangio ne connaît évidemment pas ce mouvement castriste né de la situation politique de l’île. Les Cubains vivent alors sous le régime corrompu de Fulgencio Batista financé par les Etats-Unis. Pour chasser le dictateur, un mouvement révolutionnaire a vu le jour sous le nom de M26 : la date du jour de ce mois de juillet 1953 où un certain Fidel Castro qui contestait le régime autocratique de Batista avait attaqué une caserne. Assaut qui s’était soldée pour un échec pour les révolutionnaires et avait valu à Castro d’être emprisonné avant d’être amnistié et vivre dans la clandestinité. Pour M26, kidnapper Fangio était la meilleure façon d’attirer l’attention sur le régime de terreur instauré par le dictateur.

Bien traité
Pistolet planté dans le flanc, Fangio coiffé d’une casquette et chaussé de lunettes noires est poussé dans une voiture qui part en trombe dans les rues de la Havane. Au cours de la route, l’un des ravisseurs s’arrête même chez lui pour présenter le grand champion à son épouse à qui il signe un autographe. Puis l’Argentin est emmené successivement dans deux planques secrètes où il est courtoisement traité par ses kidnappeurs entourés de fort jolies femmes. Ses ravisseurs qui ne montrent aucune hostilité à son égard cherchent à le rassurer en lui expliquant qu’ils n’en veulent pas à sa vie : ils ne désirent aucune rançon mais faire parler d’eux.

C’est réussi. Même à cette époque où l’information va moins vite, ce rapt fait le « buzz» dans le monde entier car Fangio est une idole. C’est un camouflet pour Batista et sa police qui n’arrivent pas à localiser où est kidnappé l’Argentin. L’aéroport est fermé et des barrages bloquent les sorties de la ville. Les personnes présentes lors du rapt sont invitées à passer en revue les photos d’éventuels kidnappeurs. En vain !
Une mascarade de 13 minutes !

La course n’est pas annulée. Pour toucher la prime et honorer les contrats, c’est le pilote français Maurice Trintignant qui prend le départ au volant de la Maserati bleue à bandes blanches de Fangio devant près de 250 000 spectateurs (pratiquement tous invités appâtés par une loterie très fournie) chauffés à blanc. Les ravisseurs proposent même à Fangio de suivre la course à la radio.

Hélas, au 5eme tour, la Ferrari Testa Rossa 200 S pilotée par le Cubain Armando Garcia Cifuentes dérape sur une flaque d’huile laissée dans la matinée par la course des voitures de tourisme. La Ferrari en perdition entre dans la foule mal protégée derrière des barrières en fauchant une centaine de spectateurs. On relève six morts et plus de 40 blessés dont un décédera peu après ! C’est dans une pagaille monstre que le directeur de course ordonne l’arrêt de la course au bout de 13 minutes seulement.

C’est Stirling Moss au volant de sa Ferrari 4,1 l qui s’impose d’un souffle devant Masten Grégory sur Ferrari 4,4 l qui a ralenti trop tôt devant la ligne pour s’arrêter à son stand. Sport, le regretté Moss partagera sa prime d’arrivée avec l’Américain précédant Shelby sur Maserati 450 S, Von Trips sur une Ferrari 3,8 l, Schell sur Maserati 200 S, Bionnier sur Porsche 550 et le Français Behra sur Maserati 300 S.
28 heures de captivité
Libérer Juan Manuel Fangio est plus difficile que le kidnapper car le commando apprend que Batista veut profiter de cet enlèvement pour les éliminer. Pour assurer leur sécurité, ce sont les ravisseurs eux même qui contactent l’ambassadeur d’Argentine. De nouveau coiffé d’une casquette et de lunettes noires, Fangio est raccompagné par ses propres ravisseurs devant l’ambassade d’Argentine à 22 heures. Avant de le libérer, ils s’excusent encore pour les ennuis qu’ils lui ont causés. Ce sera aussi la fin du Grand Prix de Cuba.

Trois mois plus tard, Fangio apprend que son ravisseur de l’hôtel a été arrêté. Malgré son intervention, il est fusillé. Six mois plus tard, le 1er janvier 1959, Castro renverse le régime de Batista. Mais c’est une autre histoire….

Le pilote que l’on voit derrière Fangio et Battista est Carlos Menditeguy. N’en déplaise à Richard Jegou, je pense qu’il est toujours intéressant de savoir ce qui faisait l’actualité le jour de cet évènement, et remettre le sport automobile dans l’histoire de son temps. D’ailleurs, n’est-ce pas ce que fait Patrice Vergès ? Pour France Soir, évidemment, l’enlèvement de Fangio écrase le reste. Sur le coin droit, le journal annonce qu’en page 4 il y a un article de Roger Vailland « sur son ami Fangio ». L’écrivain était-il déjà devenu l’ami de Fangio alors que l’année précédente il découvrait… Lire la suite »
très intéressant René, en parlant de Pascale Petit. Quelle beauté ! Lors d’un reportage sur sa fille la chanteuse Douchka, j’avais eu la chance de la croiser au milieu des années 80. Elle avait incarné Cléopâtre au cinéma après Liz taylor dans un film bon marché italien en profitant, je crois, des décors du film.
Mn Renè: le pilote derrière J-M F est son amí Roberto Casimiro »Bitito » Mieres.
Bonjour,
Ce serait sympa de créditer les photos @The Cahier Archive :
-« Fangio à gauche, Gérino Bertocchi le chef mécanicien de Maserati au volant de la voiture bleue et blanche engagée par l’Américain ».
-« La course se disputant sur le front de mer fut arrêtée au bout de 13 mn ».
Cordialement,
PHC
Paul Henri, merci de nous lire. Je suis responsable et désolé. Les photos qui m ont été transmises ont été traitées telles que. Je m empresse de corriger celà. Avec mes excuses.
Comme d’habitude, un article de qualité, très bien documenté et illustré. Merci Monsieur Vergès.
J’ai acheté il y a quelques années déjà le double album de photos et textes écrits par B.CAHIER et retraçant sa carrière dans le sport auto : Magnifique et précieux témoignage que je ne me lasse pas de relire encore et encore . Chapeau l’artiste !
No comprendo why mon post est signé PHC . Moi c’est moi et lui c’est lui !
Je me demande si vous n’avez pas été piraté par le FSB cher Richard ….
Corrigé
Une mise à jour du module de commentaire s’est imposée suite à ce bug !
Plusieurs décennies après l’enlèvement de Juan-Manuel Fangio, l’hôtel Lincoln de La Havane conservait encore intacte la chambre 810. Celle que Fangio avait occupée lors de cette affaire qui avait eu un écho dans le monde entier. Elle n’était louée à des clients de passage que s’il en faisaient la demande. Cuba conservait toujours un souvenir particulier de cet épisode. Tout comme Fangio lui-même, qui avait été traité avec égard par ceux que l’on appelait alors « les rebelles castristes ». Enlevé manu militari, Fangio fut retenu pendant 27 heures dans une résidence située au n°42 de la Calle Norte. L’histoire raconte que… Lire la suite »
René, du coup ton coup d’œil affûté m’a fait aller voir de plus près cette une de France-Soir. Détail rigolo, qui prouve que les journalistes du quotidien vespéral étaient aussi calés en sport automobile que je le suis en sanskrit : « A gauche une récente photo du champion du monde Juan Manuel Fangio ». La photo date en fait de 1951 ou 1950, à l’époque où le Maestro portait encore un serre-tête ! L’ÉQUIPE est logiquement plus connaisseur, puisque la photo à la une est, là, une vue du champion tout ce qu’il y a de plus récente.
Et en en-tête de France-Soir la mention « le seul quotidien français vendant plus d’un million ».
Quand on connaît les tirages et les ventes des quotidiens de maintenant …
Bonjour et merci du commentaire.
Seulement une petite precission: l’image en couleur du départ correspond a la course de 1957. On voit la Maser 200s, # 2401, nº 28 de Chimeri/Bonnier, la Ferrari 500TR, # 0562TR ,nº42 de Collins/ V. Trips, la D-Type #531, nº 24, du Cubain A. L, Mena, etc., tandis que la première ligne de départ avec les trois futurs occupants du podium … ont dejà echappé l’objetif du photographe.
Vous avez raison Manel. Sur internet, cette photo apparaît avec les deux années. 57-58. Si quelqu’un trouve une photo couleur de la course en 1958, nous la mettrons. En attendons nous laissons celle-ci en corrigeant l’année, l’ambiance étant probablement très similaire en début de course.
Merci Manel,
Vous avez évidemment raison pour Roberto Mieres, et aussi en ce qui concerne la photo du départ de la course. Heureusement que vous êtes intervenu pour suppléer à la surprenante passivité d’Olivier Favre, toujours si prompt pour relever la moindre erreur dans nos publications. Je pense qu’il faut y voir les effets émollients d’une trop longue période de confinement.
Juste une remarque : vous savez tellement de choses, et avec une telle précision et exactitude, que je vous verrais bien nous écrire des petits textes.
Ah oui René, le confinement doit y être pour quelque chose ! En plus du fait que je suis plus à l’aise sur les années 60 et 70 que sur les fifties, surtout s’il s’agit de courses un brin exotiques. Promis, je vais essayer de me reconcentrer pour la prochaine fois !
Merci Mn Fievet de votre gentile invitation mais, à present, mon temps libre est assez limité et mon français, comme vous voyez, trés basique,.(ah les accents !), alors il me fait plasir vous visiter de temps en temps pour decouvrir un tas d’information et vous indiquer eventuelles imprecissions que on voit. Comme vous savez, la decade des ’50 fut trés riche en évenements sportifs mais avare en info fidedigne, sur la vie et exploits de les voitures de competition, surtout italiennes, que toujours sont motifs de debate entre experts parce que on changeait souvent les # de chassis et/ou moteurs.… Lire la suite »