Monza 1952 : l’accident de Fangio
Me voici de retour, avec mon tiercé gagnant : vidéo, sous titres et texte en accompagnement. Sur Classic Courses, on n’est pas des abrutis de la vidéo. Nous sommes des gens civilisés : cela ne suffit pas de regarder un film, il faut aussi savoir parler de ce qu’on a vu, remettre en perspective, contextualiser, épiloguer. Cela se passait ainsi dans les cinéclubs d’antan : on regardait un film, et ensuite on engageait le débat.
René Fiévet
Vous pourriez aussi aimer :
Fangio, enlèvement à la Havane
Ascari ou Farina ?
En commençant ce texte, l’auteur se doit d’abord de passer aux aveux : il a longtemps péché par ignorance et, disons-le, par incompétence selon tous les critères qui régissent le statut (exigeant) d’« auteur » sur le site Classic Courses. En effet, j’ai toujours pensé que le plus grave accident de la carrière de Juan Manuel Fangio, qui l’a tenu éloigné des pistes pendant des mois, avait eu lieu au Grand Prix d’Italie de 1952.
Toutefois, en regardant ce film sur la course de Monza, je n’y comprenais plus rien : l’accident de Fangio est clairement évoqué dans ce film, et le vainqueur final de la course est Farina. Pourtant, toutes les archives et les récits historiques sur le sport automobile indiquent bien que c’est Ascari qui a remporté le GP d’Italie de 1952. Il m’a fallu un certain temps pour comprendre : il y a eu deux courses à Monza en 1952. Celle que relate le film que je vous communique ici est le Grand Prix de l’Autodrome de Monza, course hors championnat, qui s’est courue le dimanche 8 juin 1952.
Durable méprise
Voilà qui laisse rêveur : comment ai-je fait pour vivre dans l’erreur pendant 50 années de mon existence ? J’imagine Olivier Favre plongé dans un abîme d’incompréhension : comment une telle ignorance est-elle possible, et pendant si longtemps ? Certains d’entre vous me feront remarquer qu’il n’y a pas de quoi se vanter de sa propre ignorance, et qu’il n’est peut-être pas nécessaire d’aller le crier sur tous les toits. Certes, je l’admets. Toutefois, je ne peux pas m’empêcher de me poser la question : qui, parmi les lecteurs et contributeurs de Classic Courses qui s’affichent, se prétendent, s’autoproclament, se vantent d’être de grands connaisseurs du sport automobile, savait (savaient ?) que Jean Manuel Fangio n’avait pas eu son grave accident lors du GP d’Italie de 1952 ?
Fangio sans volant
Mais revenons à notre sujet principal. L’histoire mérite d’être racontée. À l’orée de la saison 1952, Juan Manuel Fangio se retrouve sans volant pour défendre son premier titre de champion du monde de Formule 1. L’écurie Alfa Romeo, avec qui il vient d’être couronné, a en effet décidé de se retirer de la compétition.
Par ailleurs, en l’absence de plusieurs grands constructeurs, le championnat du monde se courra sous la réglementation de la Formule 2. Fangio avait porté son choix sur une Maserati, mais celle-ci n’était pas encore prête pour le début du championnat (le GP de Suisse, couru le 18 mai 1952). Dans l’incertitude, Il s’était inscrit au Trophée de l’Ulster à Dundrod, épreuve hors championnat qui se courait le samedi 7 juin, sur une BRM P15 (avec le fameux moteur H16).
Pour la petite histoire, il avait pour coéquipier sur une deuxième BRM le jeune britannique Stirling Moss, qu’il retrouverait trois ans plus tard à ses côtés dans l’écurie Mercedes.
Bira sans Fangio
Toutefois, en mai 1952, Maserati venait juste de terminer ses voitures de Formule 2 (A6GCM) et les avait engagées tardivement pour le GP de l’Autodrome de Monza le dimanche 8 juin 1952. Fangio avait décidé de participer également à cette épreuve sur la nouvelle Maserati.
Ayant appris que le prince Bira avait également l’intention de participer aux deux épreuves, Fangio avait convenu avec Bira que ce dernier le conduirait dans son avion privé à Milan, à partir de Belfast, immédiatement après la fin du Trophée de l’Ulster. Mais les choses ne se passèrent pas comme prévu.
En effet, il semble bien que Bira n’était pas une personne extrêmement fiable. Ce dernier, après avoir abandonné dès le premier tour suite à une sortie de route, partit tout de suite en Italie avec son avion privé, sans attendre Fangio.
Belfast -Londres – Paris – Lyon – Monza
De leur côté, Fangio et Moss connurent une expérience catastrophique avec la BRM, et Fangio dut abandonner au 25ème tour (1). Laissé en plan par le prince Bira, il put néanmoins obtenir l’aide de Louis Rosier pour aller jusqu’à l’aéroport local et prendre un vol pour Londres. Fangio essaya désespérément de trouver un vol Londres-Milan, Londres-Turin, Londres vers n’importe où dans le nord de l’Italie. Mais il n’y en avait pas, car ils avaient tous été annulés en raison de mauvaises conditions météorologiques.
Londres-Paris était la seule option disponible. Fangio et Rosier prirent cet avion, traversant de fortes tempêtes au-dessus de la Manche et du nord de la France, pour atterrir à Paris vers 6 heures du matin, épuisés nerveusement. Fangio demanda un vol Paris-Milan, mais il n’y avait rien de disponible. Rosier lui proposa alors de l’accompagner jusqu’à Lyon, d’où il pourrait se faire reconduire chez lui à Clermont, laissant sa voiture – une Renault Frégate – à Fangio qui pourrait ensuite se rendre à Monza par la route. Après avoir avalé un court repas, il se mit en route, traversa le col du mont Cenis en Italie pour arriver sur le circuit à 14 heures, une heure avant le début de la course. A 15 heures, il était sur un lit d’hôpital, après s’être cassé le cou. …
Deux tours pour Fangio …
Dans sa biographie, il nous raconte qu’une fois arrivé à Monza il eut juste le temps de prendre une douche, mettre sa combinaison, prendre de l’aspirine (pas très conseillé avant le départ d’une course automobile !), monter dans sa voiture sur la grille de départ – les organisateurs, en raison de son statut de champion du monde en titre, ayant accepté de le laisser partir en fin de grille, sans avoir eu le temps de faire les 5 tours d’essai réglementaires. Il dépassa 6 voitures dans le premier tour puis, dans le deuxième tour, au virage de Lesmo, il évalua mal sa trajectoire et sortit de la piste.
Il laissa sa voiture heurter une barrière de balles de paille, pensant qu’elle serait assez molle pour faire rebondir sa voiture sur la piste. Malheureusement, ces balles de paille étaient en place depuis des lustres, tour à tour trempées et compactées par la pluie, puis cuites comme de la pierre par le soleil. Sa voiture s’y écrasa tout simplement et fit plusieurs culbutes. Fangio atterrit sur la tête, heureusement protégé par son nouveau casque de protection que la FIA venait de rendre obligatoire.
…et une saison en l’air
Il se fractura le pouce gauche, eut les vertèbres et les disques de son cou comprimés, une radiographie révéla une blessure au cou préexistante qui fut attribuée à un accident précédent survenu à Caracas en 1948 (2). Chose intéressante, la guérison de sa blessure au cou le guérit complètement des maux de tête d’après-course dont il souffrait avant l’accident de Monza. On note que le film minimise grandement la gravité de l’accident : quelques bleus sans conséquences graves, nous dit le commentateur. En fait, Fangio dut arrêter toute activité jusqu’à la fin de la saison sportive.
12 Heures de … sommeil sinon rien
De cette expérience, Fangio tira la conclusion définitive qu’il ne courrait plus jamais sans une bonne nuit de sommeil. Il était de notoriété publique que Fangio, qui était quadragénaire, avait besoin d’au moins 12 heures de sommeil avant d’affronter ses jeunes concurrents. Sa femme Beba, en charge de l’intendance, y veillait soigneusement.
Que dire du film par ailleurs ? Je le trouve très agréable à regarder, très vivant, et c’est fou ce que les italiens parlent vite ! En regardant ces images, on est frappé par la grande domination des pilotes italiens sur le sport automobile de haut niveau à cette époque : Ascari, Farina, Villoresi, Taruffi, Bonetto. Et si on ajoute Fangio et Gonzales, on peut même parler de la totale suprématie du Sud sur le Nord.
La gloire des pilotes italiens
On voit aussi de belles et rares images de Felice Bonetto, un pilote assez âgé (il était né en 1903), surnommé « Le Pirate », aussi bien en raison de son physique que de son agressivité en course. Bien qu’habitué des courses de Formule 1 de cette époque, il avait surtout bâti sa carrière et son palmarès sur les voitures de formule sport. Il trouvera la mort peu de temps après, en novembre 1953, au volant d’une Lancia à l’occasion de l’épreuve de la Panamericana.
Pour finir, ce Grand Prix de l’Autodrome de Monza fut disputé cinq fois après la guerre, de 1948 à 1952. Ce film nous montre donc la dernière édition de cette course. Ensuite, elle disparut totalement du calendrier sportif. C’est peut-être la seule excuse à mon ignorance que je puisse faire valoir : je n’en avais jamais entendu parler.
Notes
(1) On peut lire à ce sujet l’article intitulé Fangio, Moss and BRM, paru sur le site The Klemantasky Collection (https://klemcoll.wordpress.com/2019/03/22/fangio-moss-and-b-r-m/)
(2) Avant Monza, le seul accident vraiment grave de Fangio avait été celui qu’il avait subi lors du Gran Premio de la América del Sur de 1948, alors qu’il conduisait dans un état d’éreintement, en altitude et dans le brouillard. Sa Chevrolet avait fait plusieurs tonneaux et son copilote Daniel Urrutia avait été tué.
Est-ce l’effet du noir et blanc, mais ces images confinent à l’onirique, donnant à ces pilotes une aura d’intrépides chevaliers que la couleur a atténuée, les rendant plus proche de nous, plus accessibles. Quant au film lui même, il est vrai que l’effet de tassement du téléobjectif réduit la sensation de vitesse mais je suis resté collé à ce qu’il laisse apparaître en terme de risque, notamment la position des pilotes dont le corp émerge totalement de leur voiture. Le fait qu’il n’y ait pas eu, à cette époque, de ceintures de sécurité était-il un mal ? Je ne saurais… Lire la suite »
» Le fait qu’il n’y ait pas eu, à cette époque, de ceintures de sécurité était-il un mal ? » . Étant donnée la position de conduite , probablement non . Dans les cas de tonneaux, le fait d’avoir été éjecté , en a parfois sauvé la vie à plus d’un, même si relevé » bien cassé «
René, remonté de mon abîme, je constate que tu as confondu V16 et H16. La BRM P15 de 1952 était propulsée par un V16. Le H16 n’arriverait que dans les années soixante, pour la F1 trois litres à partir de 1966.
Olivier Favre a encore frappé.
Cela me fait penser à une série TV humoristique des années 80, intitulée Palace. Un pauvre maître d’hôtel est toujours contredit, rabroué et remis à sa place par un(e) client(e), sans jamais savoir quoi répondre.
Le maître d’hôtel, par devers lui : « je l’aurai, un jour je l’aurai »
Oui, je me rappelle très bien de cette série Palace, que j’aimais beaucoup. Mais c’était le contraire : c’est le client (joué par Marcel Philippot) qui se voyait systématiquement clouer le bec par le maître d’hôtel (joué par Philippe Khorsand). « Je l’aurai un jour, je l’aurai … »
c’était pas une série télé , mais une pub pour je ne sais quelle cie d’asurrance ou banque .
Les deux, en fait : la pub a été créée après et faisait référence à la série
Plus qu’agréable et vivant, ce film est remarquable et bien produit, merci René pour ces images et l’analyse.
Pour ce qui est du débit du commentaire italien, je pense que la piste voix est accélérée au banc de montage. Deux avantages pour le monteur : en dire plus et donner du rythme à l’image.
» je pense que la piste voix est accélérée au banc de montage. ». Peut être, mais cette façon de commenter les actualités , était celle de tous les speakers de l’époque . Un mode qui a perduré quelques années encore après guerre , mais qui fut d’ usage dans le « fameux ventènnio » fasciste , où le commentateur « politiquement correct » décrivant les hauts faits du régime , y compris les exploits sportifs , employait un ton haut, au débit rapide , virile , emphatique
Sur la photo , cockpit et arrière ont l’air intacts et je pense qu’ils ne le seraient pas si la voiture avait fait plusieurs cabrioles .
Je connaissais l’histoire de ce fameux grand prix de Monza avec cette course contre la montre avant la course elle-même, celle de Fangio devant rallier l’autodrome italien par la route en passant par le col du Mont Cenis. Par le plus pur des hasards, je reviens à l’instant d’Italie du Nord et suis passé, à l’aller et au retour, par Milan et par ce fameux col. Eh bien maintenant, je réalise pleinement la pure folie de cette opération, surtout en imaginant la gueule de la route en 1952 !
Cher René, un grand merci pour ce film très vivant et ô combien émouvant. Quant au fait qu’il s’agissait du Grand Prix de l’Autodrome de Monza disputé en juin 1952, et non du Grand Prix d’Italie couru quant à lui en septembre, le livre « Juan Manuel Fangio – La course faite homme » paru en 2002 aux éditions Chronosports et écrit par deux auteurs trop modestes pour être cités ici vous disait tout, y compris sur les mésaventures de Fangio pour rejoindre Monza depuis Dundrod en moins de 24 heures, un pari fou en effet, et qui faillit être fatal à… Lire la suite »
Tout ça figure aussi dans le livre de 1995 » FANGIO « , écrit par MM . Fernandes et Quélen avec photos de Bernard CAHIER svp .
Des morceaux d’histoire que j’aime. Déjà 180 de moyenne sur le tour ! Cela situe bien le courage de ces pilotes.