Endurance Spa 1971 – duel sous contrôle
Endurance Spa 1971 – Duel sou sous contrôle mais duel tendu tout au long de la course. Les deux leaders de l’équipe phare de la saison n’ont cessé de croiser le fer durant l’épreuve. L’un comptait rééditer son succès de l’année précédente, l’autre prendre sa revanche en prouvant qu’il était le plus rapide sur « son » circuit fétiche. Après quatre heures de bataille, les deux prototypes roulent de concert. L’épingle de La Source va bientôt livrer l’équipage vainqueur…
François Coeuret
Porsche mène largement le classement du Championnat du Monde des Marques à la veille de la course se déroulant à Spa. Les équipes Wyer et Martini ont remporté la majorité des courses déjà disputées. Seule l’équipe Alfa Roméo a brisé l’hégémonie de la 917 en s’adjugeant les 1000 km de Brands Hatch, Pescarolo-Stommelen y ont imposé leur 33/3.
Les équipages Wyer sont en concurrence permanente depuis le début de saison à l’instar de l’année précédente. Siffert-Bell ont remporté les 1000 km de Buenos-Aires tandis que Rodriguez-Oliver ont obtenu deux victoires à Daytona et Monza. L’équipe Martini a triomphé à Sebring avec Elford-Larrousse.
En Belgique les essais sont dominés par l’équipage Siffert-Bell qui réalise la pole position devant la Porsche Martini de Elford-Larrousse et la voiture de Rodriguez-Oliver. La seconde Porsche Martini de Marko-V.Lennep se positionne quatrième devant la Ferrari 312PB de Ickx-Regazzoni. Le prototype 3L de la Scuderia, très rapide, lutte cependant à armes inégales face aux 917 de pointe munies d’un flat 12 de 5L. La légèreté de l’italienne ne peut compenser la puissance de l’allemande. Le circuit de Francorchamps privilégie la cavalerie propulsant la Porsche 917. L’usine italienne a volontairement stoppé la course à la puissance en confiant ses 512 à des écuries privées sans apporter d’évolution majeure à son V12 5L. Maranello prépare la saison 72, la réglementation évolue vers un maximum de 3L, cette dernière va rendre obsolète la catégorie Sport à laquelle appartiennent les Porsche 917.
Les essais se sont déroulés de manière inhabituelle pour ce qui concerne les équipes Wyer et Alfa-Roméo. Les pilotes de pointe, après avoir bouclé quelques tours au début des essais, s’éclipsent pour se rendre en Angleterre. Ils disputent l’International Trophy le samedi précédant l’épreuve de Spa, une course de F1 hors championnat courue à Silverstone. Rodriguez, Siffert et Pescarolo laissent à leurs co-équipiers respectifs le soin de qualifier les autos. Bell sort vainqueur de ces qualifications, dominant Oliver de plus de 3 secondes. Il boucle un remarquable tour en 3’16’’00, nouveau record. Rentrés en jet à Spa pour les 1000km, les trois pilotes F1 sont à pied d’œuvre le dimanche de la course.
Chez Wyer l’ambiance est tendue. Outre que les Porsche de l’écurie concurrente menacent dangereusement les leurs, les membres de l’équipe se souviennent du combat viril auquel s’étaient livrés Siffert et Rodriguez l’année précédente sur ce circuit. La perspective du renouvellement de cette passe d’armes qui pourrait nuire à l’écurie n’enchante pas les responsables. Une stricte consigne est donnée aux pilotes par David Yorke, pas d’affrontement fratricide. Le stand donnera ses consignes lorsqu’il aura jugé les positions acquises. La 917 de Pedro Rodriguez abandonna sur rupture de boîte en 70 sur la piste ardennaise. Le Mexicain compte bien prendre sa revanche. Son équipier lui a cependant involontairement attribué un handicap sur la grille de départ.
Il pleut légèrement au baisser du drapeau mais la piste va sécher à la faveur d’une belle éclaircie. Les trois premières Porsche entament la course dans l’ordre de la grille mais Elford parti en gommes pluie s’arrête dès le premier tour pour changer de pneus. Rodriguez ne peut se résoudre à garder sa position, il va prendre l’ascendant sur Siffert après une joute spectaculaire. Ce dernier va se battre comme un diable pour rester au contact de son équipier et rival. Les deux hommes ont lâché leurs poursuivants et livrent un début de course épique au cours duquel Siffert bat le record du tour en 3’14’’6. Rodriguez contient cependant son adversaire. Les changements de pilotes vont déclencher le mécontentement de Siffert, il sait son équipier Derek Bell plus rapide que Jackie Oliver. Comme les essais l’ont démontré, il est capable de prendre le dessus. Jo Siffert se déplace en bord de piste au fond de la ligne des stands pour signifier à son collègue de passer.
Bell reste de marbre et respecte la consigne décrétée par son équipe, celle-ci lui est rappelée par panneautage. La démonstration des deux équipages se poursuit. Les spectateurs ont droit à un spectacle haletant, ponctué de freinages tardifs agrémentés de fréquents « allumages de pneus »… Le public assiste à une arrivée fébrile: au bout d’un peu plus de quatre heures de course, 4/10èmes de secondes séparent les deux voitures sur la ligne. Il n’y a pas de doute : John Wyer et David Yorke sont passés par quelques sueurs froides mais l’atmosphère s’apaise au passage du drapeau à damier. L’équipage Rodriguez-Oliver garde l’avantage de peu. Pedro a pris sa revanche sur l’année précédente tandis que Siffert se console avec le meilleur tour à plus de 260 km/h de moyenne.
Après les abandons des deux Porsche Martini ainsi qu’une violente sortie de la Ferrari 312 PB après un contact avec un concurrent en fin de course, l’Alfa Roméo de De Adamich-Pescarolo termine troisième. Suivent la 917 de Khausen-Joest et la Porsche 908 de Chasseuil-Ballot Léna. Pilette-Gosselin terminent sixième sur une Lola T 70.
Tout au long de leur cohabitation chez John Wyer Automotive, les deux pilotes à l’égo pourtant bien dimensionné n’ont jamais tenté l’irréparable. Le respect a primé, ils n’ont rien sacrifié à l’éthique sportive qui les habitait.
Les 1000 km de Spa furent disputés au début du mois de mai. Les deux duellistes de cette course vont périr cette même année. Le Mexicain à Nuremberg au mois de juillet à bord d’une Ferrari 512M en Intersérie, le Suisse à Brands Hatch en octobre au volant d’une BRM F1 lors de la «Victory Race».
Illustrations © DR
Merci à François pour cette belle évocation de ce qui reste à ce jour, 45 ans après, la course la plus rapide disputée sur un circuit routier : près de 250 de moyenne, 4 heures durant ! Quand on connaît le tracé du vieux Spa …
Et juste une petite correction : c’est bien une Alfa qui a remporté les 1000 km de Brands Hatch en 71, mais c’était Adamich, pas Stommelen, qui avait gagné avec Pescarolo.
Bluffé par la photo ou l’on voit 1 homme ( apparemment un commissaire de piste vu qu’il tient un drapeau bleu ) à l’intérieur du virage alors que les deux 917 mordent copieusement la corde , font voler 2 cones orange bien inutiles et le frolent à mini 250 .
Autre temps , autres moeurs mais c’est ça qui a contribué à la légende du sport auto .
Puisque vous vous penchez , à juste titre , sur cette période passionnante des protos 917 , j’ai une suggestion :
pourquoi ne pas nous raconter la lutte intestine entre l’usine PORSCHE Stuttgart qui avait confié ses interets à John WYER et GULF , lesquels se sont retrouvés torpillés par PIECH ( le mégalo d’AUDI puis du groupe VW avant d’etre viré bien plus tard ) qui a créé avec les sous du sponsor MARTINI l’équipe PORSCHE SALZBOURG : allemands versus autrichiens et querelle de famille entre cousins ou tous les coups étaient permis .
L’écurie parallèle « Salzbourg » qu’on pouvait considérer comme la doublure officielle du Gulf racing à qui l’usine confiait également ses 917 date de 1970 et précède celle du Martini racing de 71. Les vicissitudes familiales de la famille Porsche nous ont valu deux écuries et le sport finalement y a gagné… Wyer bien sûr n’y entendait pas de cette oreille mais s’en est finalement bien tiré malgré Le Mans qui lui a échappé en 70 comme en 71.
Bel article, François, je me suis régalé.
Une petite question. Au 4e tour, les deux 917 « Wyer » roulaient-elles de concert ou de conserve ? Je vous laisse le soin de répondre…
De concert / de conserve – dictionnaire des expressions françaises Expressio par Reverso – signification, origine, étymologie
http://www.expressio.fr/expressions/de-concert-de-conserve.php
Bonjour Francis, je suis satisfait que vous vous soyez « régalé » en lisant cette note… Il est intéressant de poser cette question de syntaxe autour des locutions adverbiales « de concert » ou « de conserve ». Leur emploi en tant que synonymes semble admis. Ceci dit je vous accorde « de conserve »(terme naval à l’origine)… Tout en précisant qu’en parlant de deux équipages motorisés par un 12 cylindres l’expression « de concert » paraît plus suggestive.Bonne continuation Francis.
Bonjour François. Plus qu’une question de syntaxe, ce dont j’ai voulu débattre – après tout nous sommes sur un blog – est la nature des relations entre Rodriguez et Siffert.
D’après les éminents linguistes, « de concert » serait nettement plus amical que « de conserve »…
Cela dit nous n’étions pas – pas moi en tout cas – dans les stands Wyer à Spa en 1971.
Il y a mieux, …
http://www.projet-voltaire.fr/blog/actualite/les-origines-de-ces-fameuses-expressions-de-concert-et-de-conserve
Disons que il y a autre chose qui dit la même chose et que je n éprouve pas le besoin de qualifier.
C’est un débat difficile que nous suggère Francis Rainaut au sujet des rapports Siffert-Rodriguez,nous n’étions que jeunes observateurs très lointains… les faits tendent à évoquer le respect mutuel mais l’opposition sportive était inévitable, à voiture égale qui plus est (cf les « frottements » de 70 au départ à Spa…L’insistance de Siffert en 71 pour signaler à Bell de passer son camarade Oliver)…Disons que dans leur for intérieur je suppose que l’un comme l’autre n’étaient sûrement pas mécontents d’avoir dominer son collègue…Des lecteurs ou intervenants peuvent peut-être nous apporter quelques éclairages sur le sujet…?
@M.COEURET : j’ai trouvé en p.84 du livre : PORSCHE 917 , the winning formula de Peter Morgan ce commentaire : « If Wyer had been confiding his concern to Gulf and Porsche about the apparent support The SALZBURG team was getting , he appears to have adopted a laissez faire attitude to the buiding friction within his own team …The relationship between Jo and Pedro was more than healthy competition ….Siffert and Redman considered they were not getting a fair deal from the Wyer team either . It may have been relevant that PORSCHE were paying Jo and Brian fee… Lire la suite »
Merci Jego pour votre recherche…Le ressenti de Siffert était clair, la position de Wyer ambigüe, Rodriguez ne profitait pas de traitement de faveur mais le patron ne contestait pas le raisonnement de Siffert et Redman…!?