Par certains côtés, l’histoire peut ressembler à un conte de fées, même s’il finit mal, et c’est cela qui a participé à forger la légende de Pedro et Ricardo Rodriguez.
Les frères mexicains furent encouragés dès leur plus jeune âge par leur riche père Don Pedro Natalio Rodríguez Quijada (1) . Ils gagnèrent des courses automobiles alors que leurs contemporains s’inquiétaient encore de leurs examens scolaires.
Tous deux sont devenus des héros nationaux au Mexique et des vedettes en Europe. Tous deux ont trouvé la mort dans des accidents de course, le fougueux Ricardo à l’âge de 20 ans et Pedro, devenu pilote de Formule 1 et de voitures de sport de haut niveau s’est tué à l’âge de 31 ans. Des carrières courtes mais spectaculaires.
Michel Delannoy
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1957, les débuts internationaux
Les amateurs de course automobile ont tendance à amalgamer les performances des deux garçons et le grand nombre de photos sur lesquelles ils apparaissent ensemble peut être trompeur. En fait, tout en semblant être inséparables, leurs caractères et leurs personnalités étaient très différents. Ils avaient deux ans de différence d’âge mais ils ont débuté presque en même temps et souvent ensemble.
Ricardo a rapidement pris le devant de la scène et la plupart des observateurs pensaient que le plus jeune des deux frères recevait un soutien plus enthousiaste de la part de leur père. À l’époque, il était considéré comme le meilleur des deux, mais les événements ultérieurs devaient mettre en doute cet à priori. Comme Pedro, Ricardo a débuté avec le vélo et la moto. Il a été champion national de cyclisme à 10 ans et champion de moto à 13 ans.
Les débuts de Ricardo en course automobile ont eu lieu avec une vieille Fiat Topolino qui, sous sa forme standard, a remporté plusieurs succès dans la catégorie 750 cm3. Plus tard, il est passé à une berline Opel puis à une voiture de sport OSCA de 1 litre et à une Porsche RS Spyder de 1½ litre. Ricardo a fait ses débuts américains lors du meeting inaugural de Riverside en octobre 1957. Conduisant calmement et proprement, il a gagné, battant les meilleurs pilotes Porsche américains.
Pedro (qui pilotait une Chevrolet Corvette au Mexique) et Ricardo ont participé à la traditionnelle Nassau Speed Week à la fin de l’année. La performance de Pedro dans une Ferrari 500TR de 2 litres a suscité des commentaires négatifs : il était sauvage et a provoqué un carambolage. Ricardo, en revanche, était toujours aussi fluide dans la Porsche, battant une fois de plus les meilleurs américains.
Ricardo était toujours plus rapide d’une, deux secondes, parfois même plus. Pedro essayait vraiment très fort d’aller aussi vite mais il sortait souvent de la route en essayant. Pedro avait beaucoup de cœur et de combativité, mais c’était Ricardo qui était bien plus le pilote le plus naturel des deux ».
Le parcours international des frères Rodriguez a débuté sur une amusante fausse note qui éveillera la curiosité et la sympathie du public pour les deux mexicains : ils devaient faire équipe sur une Ferrari du NART mais les 16 ans de Ricardo lui vaudront un refus des organisateurs. En 1958, Pedro est le premier de la fratrie à découvrir les 24 Heures du Mans en se voyant attribuer un nouveau coéquipier à la dernière minute : les officiels ont refusé l’engagement de Ricardo à la course à cause de son jeune âge. Finalement Pedro est associé à José Behra. Leur Ferrari du North American Racing Team (NART), l’équipe de l’ancien triple vainqueur Luigi Chinetti, sera contrainte à l’abandon.
1960, Victoire au Mans pour Ricardo
Pour Ricardo Rodriguez la saison 1960 le verra obtenir la deuxième place des 24 heures du Mans en compagnie de Teddy Pilette sur une Ferrari TR60. En 1961 il se classera à la deuxième place aux 1000 km du Nürburgring et la troisième place des 12 heures de Sebring. Et les deux frères deviendront très populaires en France avec leur victoire aux 1000 km de Paris, qu’ils répéteront en 1962.
Phil Hill avait détruit sa voiture aux essais, le Commendatore décida de faire courir ensemble Mairesse, Rodriguez et Gendebien avec une Dino 246SP. Il est connu que Mairesse martyrise ses voitures, aussi Gendebien n’a accepté cet arrangement qu’à condition de prendre le dernier relais. C’est Mairesse qui prend le départ, il attaque autant qu’il peut et, quand il s’arrête, il a une belle avance sur les autres. Le mouchard du compte-tours est bloqué à 10.000 tours. Comment le moteur n’a-t-il pas explosé ? Gendebien met Rodriguez au courant et lui suggère que pour avoir une chance d’arriver au bout il faudrait maintenant rester 500 tours en dessous du maximum autorisé. Ricardo a fait de grands progrès et il suit ses conseils. Il mène calmement sa course et rend le volant avec une légère avance. Gendebien n’a plus qu’à finir en souplesse. Une course et une victoire bien peu ordinaires.
« Je suis peut-être partial, mais je pense que Ricardo serait devenu un autre Prost ou Senna. Il était très, très spécial. Trouver un gars qui arrive en F1 et fait le genre d’impression qu’il a faite à Monza en 61, cela ne se produit peut-être qu’une fois tous les 10 ans ».
Jo Ramirez fait référence aux qualifications pour le Grand Prix d’Italie de 1961, lorsque Ricardo, 19 ans, a fait ses débuts en F1. Il signe le deuxième meilleur temps, plus rapide dans une voiture identique à celle de Phil Hill qui sera le lendemain champion du monde. Ramirez aurait tout aussi bien pu mentionner la course à Riverside en 1957 où Ginther, Neumann et Miles riaient alors que le Mexicain de 15 ans, qui paraissait encore plus jeune, arrivait dans une Porsche RSK. Et ils ont continué à rire jusqu’au moment où il a remporté la course avec facilité.
Des bienfaits d’une bonne éducation
De Ricardo, l’ingénieur de Ferrari Mauro Forghieri évoque un jeune homme assez sophistiqué : « Même s’il était jeune, il n’était pas immature d’un point de vue humain. Il était sérieux et très déterminé. Il n’était pas aussi réfléchi que Pedro et la qualité de son pilotage était toujours instinctive, mais il entretenait de bonnes relations avec les gens de l’équipe et travaillait sérieusement ».
Un tel succès si jeune ne l’a-t-il pas rendu arrogant ? « Eh bien, oui », acquiesce Jo Ramirez. « Il n’a jamais été ainsi avec moi, mais quand vous recevez ce genre d’attention étouffante partout dans le monde, peu importe qui vous êtes, cela aura un effet. On devient insupportable. Mais au bout d’un moment, vous réalisez : « Et alors ? » et puis, vous redevenez une personne normale. Au fil des années, Ricardo a vite cessé d’être arrogant. Phil Hill est du même avis : « Il donnait l’impression d’avoir suivi une bonne formation sociale. C’était le cas des deux Rodriguez. C’étaient des enfants formidables ».
Un bon comportement social faisait partie de l’éducation de la famille Rodriguez. L’une des entreprises de Don Pedro fabriquait des conteneurs pour la plus grande compagnie pétrolière du pays. Il avait bien d’autres activités et il y aurait eu un lien avec un certain président mexicain puisque la maîtresse de cet homme politique était la fille de Don Pedro. Certains ont murmuré en outre que cela avait conduit à un arrangement selon lequel, contre une part d’une des sociétés Don Pedro collectait officieusement les impôts auprès des bordels du pays. On parlait également de la mainmise qu’il avait sur certaines activités de la police de la route. Mais il est inutile d’accorder à ces activités une influence démesurée sur les performances de Ricardo et de Pedro, la richesse familiale n’a jamais été un motif de fierté ou d’arrogance pour eux.
1962, le premier GP du Mexique
En Formule 1, Ricardo s’est immédiatement senti très à l’aise au volant de la Ferrari 156 lors de sa prise en main en fin de saison à Monza en 1961. Son deuxième temps absolu, au milieu d’un lot relevé de 33 concurrents, derrière Von Trips et devant Phil Hill lui valut une place dans l’écurie officielle pour la saison 62.
Le premier Grand Prix Mexicain de 1962 aurait dû être une célébration. Le prodige des courses locales, Ricardo Rodriguez, devait se produire devant ses compatriotes admiratifs. Ces gens, qui avaient suivi les courses quelques années plus tôt, alors que le gamin de 14 ans disputait les épreuves locales et se rodait, le voyaient maintenant jouer au plus haut niveau, seulement 12 mois après avoir fait ses sensationnels débuts en Grand Prix.
Et comme si cela ne suffisait pas, prêt aussi à faire ses débuts en F1 ici à l’autodrome il y avait le frère de Ricardo, Pedro, de deux ans son ainé. On pensait qu’il n’était pas aussi remarquable que Ricardo, mais il possédait clairement un talent important. Cependant l’événement, loin d’être une fête, allait devenir une veillée funèbre.
Ferrari, l’équipe qui avait Ricardo sous contrat, avait choisi de ne pas disputer la course mexicaine qui était hors championnat. Pour cette course Ricardo avait conclu un accord pour conduire la Lotus 24 de Rob Walker : « Je le connaissais à peine », se souvient Walker, « j’avais parlé avec lui peut-être 10 fois. Nous étions en train de nous promener à Monza et Ricardo est venu vers moi et m’a dit qu’Enzo n’envoyait pas de voitures au Mexique. Il me demandait s’il pouvait y conduire ma voiture ». J’en ai parlé à Alf (son mécanicien Alf Francis) qui m’a dit que nous n’avions rien prévu, qu’il n’y avait aucune raison pour que ce ne soit pas possible, et c’est tout. La famille Rodriguez s’est occupée des arrangements ».
Lorsque l’honneur est en jeu
Même avec la Lotus de location, Ricardo a toujours été le plus rapide lors des essais non officiels jusqu’à ce que, vers la fin de la journée, John Surtees entre en piste avec sa Lola et réalise un temps légèrement plus rapide. De toute évidence, c’était l’honneur qui était en jeu ici, et pas à cause de l’attente du public local.
Son coéquipier chez Ferrari, Phil Hill, se souvient : « Il y avait toujours toute une cour autour de lui, ce qui le poussait à aller encore plus vite. Son père était toujours là et nous avions le sentiment qu’il poussait sans cesse ses deux garçons ».
Ricardo, vingt ans, remonta à bord et sortit pour reprendre son honneur. Et si cela peut ressembler à un cocktail mortel, il ne faut pas oublier qu’il n’était pas un enfant orgueilleux dépassé. Il avait déjà fait ses preuves au cours de cinq années de compétition. Et lors de sa première saison de F1, il avait été rapide, propre et n’avait pas eu d’accident. Il portait la marque d’un futur grand.
Au deuxième tour, sa Lotus est devenue incontrôlable à l’entrée de la rapide et formidable « Parabolica » inclinée. Après avoir tenté de faire glisser la voiture, Rodriguez, sans ceinture, tape dans le rail et est éjecté.
Diverses explications prédominaient. L’une d’entre elles était simplement que l’orgueil l’avait poussé à se surpasser. Une autre était qu’un élément de suspension arrière avait cassé. Jo Ramirez, l’ami de Ricardo, propose une vision logique et vraisemblable : « À l’entrée de ce virage, large et très rapide, il y avait, à la corde, une ondulation qui faisait que la voiture réagissait très mal si on la franchissait. Donc tout le monde utilisait une autre partie de la piste. C’est à ce moment-là que certaines personnes ont dit que quelque chose s’était cassé sur la voiture ».
Ricardo était conscient lorsque l’ambulance l’a emmené, mais il a succombé à ses blessures avant d’arriver à l’hôpital.
A suivre…
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Statistiques :
Stat F1 pour Ricardo Rodriguez : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ricardo_Rodr%C3%ADguez_de_la_Vega
Stat F1 pour Pedro Rodriguez : https://en.wikipedia.org/wiki/Pedro_Rodr%C3%ADguez_(racing_driver)