15 juillet 2023

Denny Hulme – Le cœur brisé de l’Ours

4 octobre 1992, circuit du Mount Panorama à Bathurst : une BMW M3 jaune ralentit puis s’immobilise sur l’herbe mouillée, contre le rail. Les commissaires de piste accourent, mais c’est inutile. Dans la voiture, le cœur de Denny Hulme est immobile lui aussi. Il vient de capituler, vaincu par les épreuves successives, par la dernière surtout, quatre ans plus tôt.

Olivier Favre

Discret, peu disert et d’un abord pas toujours facile, Denny Hulme n’aimait pas qu’on l’embête. Il fuyait les médias et ne supportait pas les imbéciles. Comme les uns et les autres sont nombreux aux États-Unis, il n’est pas étonnant qu’il ait gagné là-bas son surnom : « The Bear », l’Ours. Un qualificatif qui, en plus, s’accordait parfaitement à son physique massif et costaud. Un ours, c’est du solide, ce n’est pas facile à émouvoir. De fait, la solidité de l’Ours Denny fut mise à rude épreuve pendant ses quinze premières années de compétition au cours desquelles le destin sembla prendre un malin plaisir à le frapper au cœur plus souvent qu’à son tour.

De George à Lorenzo

10 septembre 1960 à Roskilde au Danemark. Ce jour-là, George Lawton et Denis Hulme (1), les deux espoirs néo-zélandais envoyés en Europe se suivent au volant de leurs Cooper de Formule 2. Soudain Lawton perd le contrôle de sa voiture et est éjecté sous les yeux de Hulme. Ce dernier ne peut que constater le décès de son camarade. Une semaine plus tard à Snetterton, Hulme hérite du volant F1 que Ken Gregory avait proposé à Lawton et entame sa lente ascension vers les sommets.

Denny Hulme
Première apparition aux 24 Heures du Mans en 1961, au volant d’une Fiat-Abarth que l’on devine à gauche – © DR

Alors que bien d’autres pilotes disparaissent en cette époque de tous les dangers, Hulme évite les pièges et gravit les échelons. Jusqu’au jour de gloire à Monaco le 7 mai 1967. Sa première victoire en F1 lui ouvre le chemin du titre mondial. Mais sur le podium monégasque Denny ne peut se réjouir pleinement. A l’hôpital Princesse Grace, son adversaire n° 1 du jour, Lorenzo Bandini, a entamé une lutte sans espoir, qu’il perdra trois jours plus tard.

Hulme
Des mines graves à l’arrivée du Grand Prix de Monaco 1967 – © LAT

La perte de Bruce

Puis débute la période papaye de l’Ours, trois années de plénitude chez McLaren. En F1 où Denny Hulme est un coriace prétendant au podium (voire au titre, comme en 1968). Et en Can-Am où se joue à chaque course le « Bruce and Denny Show ». Jusqu’au 2 juin 1970 quand la sorcière aux dents vertes frappe à Goodwood (https://www.classiccourses.fr/non-classe/goodwood-motor-circuit-le-2-juin-1970/). Denny apprend la nouvelle par l’autoradio de sa voiture, au retour d’un rendez-vous chez le médecin pour ses mains rongées par le méthanol enflammé à Indy (https://www.classiccourses.fr/magazine/denis-hulme/). Lui qui a grandi dans une famille où on ne montre pas ses émotions, il fond en larmes. Alors que l’Ours souffre déjà dans sa chair, le voilà moralement anéanti par la perte de son compatriote, patron et ami.

Hulme et McLaren
Les jours heureux avec Bruce (et à gauche Teddy Mayer et Ron Tauranac) – © DR

Il songe à tout arrêter et à rentrer en Nouvelle-Zélande. Mais il se ressaisit et endosse le rôle de leader d’une équipe déboussolée par la perte de son fondateur. Avec au terme de la saison un 4e titre consécutif en Can-Am pour les Kiwis. Auparavant à Monza, la sorcière, omniprésente cette année-là, aura fait un macabre clin d’œil à Denny : devant lui une Lotus rouge et blanche tire à gauche pour aller s’enfoncer sous le rail. Sans qu’il le sache encore, l’Ours vient d’assister à la mort de Jochen Rindt.

François et Peter

L’écurie McLaren est sauvée et elle le doit pour une bonne part à Denny Hulme qui, avec un nouvel équipier, Peter Revson, poursuit sa moisson en Can-Am. En F1 l’Ours reste une valeur sûre, décrochant sa victoire annuelle. Mais il renâcle à présent à l’idée de chercher l’ultime centième (2) et dans son esprit l’idée de retraite fait son chemin. La mort de Cevert le 6 octobre 1973 est un premier jalon en ce sens. Puis, six mois plus tard à Kyalami, c’est au tour de Revson. Plusieurs pilotes stoppent pour dégager le corps de l’Américain de ce qu’il reste de la Shadow. Parmi eux Denny, accouru des stands en tenue de ville. Cette fois, c’est décidé : il se retirera à la fin de la saison.

Hulme et Revson
Nonchalamment allongé sur sa voiture, une image classique de l’Ours – © Rainer Schlegelmilch

Six mois plus tard arrive enfin le Grand Prix des États-Unis à Watkins Glen. Dès le 4e tour, le Cosworth de Denny rend l’âme. Ouf, il a atteint le terme de sa carrière en F1 comme il l’avait décidé, contrairement aux Courage, Rindt, Siffert, Cevert et tant d’autres. Quelques minutes plus tard, tout près de là, le jeune Autrichien Helmuth Koinigg perd la vie quand sa Surtees s’écrase contre le rail. Jusqu’au bout, la sorcière a tenu à montrer à Denny qu’elle était la plus forte.

Martin

Retraité, l’Ours retourne en Nouvelle-Zélande avec femme et enfants et s’installe au bord du lac Rotoiti. Là il entame, avec son look de grand-père dégarni alors qu’il a à peine 40 ans, une vie tranquille de bon voisin sur qui on peut compter. Sensible à son environnement, il aménage les abords du lac, s’y balade en bateau, récupère les engins agricoles qui rouillent dans les environs et les remet en état dans son garage. Mais c’est une vie bien routinière quand on a connu les ors et les affres de la F1.

Alors, Denny revient à la compétition, en catégorie Tourisme. D’abord « down under ». Puis en Europe où il s’adjuge le Tourist Trophy 1986 avec une Rover du TWR de Tom Walkinshaw. Hélas pour lui, la Sorcière ne l’avait pas oublié, elle attendait juste l’occasion de lui porter le coup fatal. Ce moment arrive le jour de Noël 1988, quand son fils Martin, 21 ans, se noie dans le lac Rotoiti à l’occasion d’un banal pique-nique réunissant toute la famille.

Le Lac Rotoiti – © DR

La fin de l’Ours

Le père de Denny, Clive Hulme, un héros de la Seconde Guerre Mondiale, était un « dur » qui ne montrait guère son affection à ses enfants. Peu expansif, Denny avait plus ou moins reproduit l’exemple paternel. Mais il commençait néanmoins à nouer un véritable lien d’adulte à adulte avec son fils, qu’il avait emmené assisté au GP d’Australie, quelques semaines plus tôt. La mort de Martin tua dans l’œuf cette relation naissante et fut pour Denny le coup de grâce.

Certes, il vécut, survécut plutôt, encore quatre ans. Mais la volonté de vivre n’était plus là. L’Ours se mit aux courses de camions, mais impossible de mettre à distance le chagrin qui le rongeait. Il passait de longs moments devant la tombe de son fils, abîmé dans ses tourments. Il ne faisait plus de sport et était de plus en plus essoufflé, sa santé se détériorait. Son mariage aussi. Il finit par retourner vivre avec sa mère.

Le 4 octobre 1992, quelques minutes avant de s’arrêter sur le bas-côté, Denny Hulme a prévenu par radio que sa vue se brouillait. Au stand on ne s’est pas inquiété pour autant. Les conditions atmosphériques étaient très difficiles et tout le monde savait que l’Ours détestait la pluie. En fait, c’était la fin, le palpitant de Denny était en train de rendre les armes. Il y a des limites à ce qu’un cœur, même celui d’un ours, peut endurer.

La tombe de l'Ours
© DR

NOTES :

(1) Pour l’état civil, le prénom de Hulme était Denis. Mais nous utilisons ici Denny qui figurait sur le cockpit de ses voitures durant l’essentiel de sa carrière.

(2) Parmi tous les champions du monde de F1 depuis 1950, Denny Hulme est celui ayant décroché le moins de pole positions : une seule, à Kyalami en 1973.

4.7 19 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notifier de
guest

16 Commentaires
le plus ancien
le plus récent le plus populaire
Inline Feedbacks
View all comments

Contribuez à Classic-Courses

Pour raconter l’histoire de la course automobile, il nous faut du temps, de la documentation, des photos, des films, des contributeurs de tous âges et des geeks qui tournent comme des F1 !

Nous soutenir

Pour que notre aventure demeure bénévole et collaborative et que nous puissions continuer à écrire nos articles au gré de nos envies, en toute indépendance.