Denis Hulme
Mosport International Raceway, Ontario, Canada, le 14 juin 1970
(En lointain echo https://bit.ly/30yVRds)
Il se ferait découper en rondelles plutôt que de passer à la concurrence, Colin Beaulard, ainsi que Jim Hall le lui a proposé hier. Il boucle le harnais six points sur le ventre de Denis.
Nul ne remarque au-dessus de la foule, surgissant de l’espace-temps, la silhouette vibratile d’un môme de 13 ans, Marc O, qui crayonne la scène. Pour plus tard.
Originaire de Te Puke, le bourg néo-zélandais où a grandi son patron, Denis Hulme, qu’il a accompagné en Europe lors de l’opération « Driver for Europe » en 1960, Colin fait partie de la garde kiwi qui s’est soudée autour de Bruce McLaren et de Denis Hulme.
Bruce est mort il y a 12 jours. L’univers Mclaren s’effondrait. Il y a 12 jours Denis était encore sur un lit à l’Indianapolis General Hospital, sans qu’il y ait un lien entre les deux événements, les mains comme deux battoirs énormes entourés de gaze, brûlées au troisième degré. Les toubibs lui avaient ordonné de ne pas courir avant plusieurs mois.
Ce matin Denis Hulme s’aligne au départ de la première course Can Am de la saison, 32 jours après avoir pris feu aux essais d’Indy.
Un mur humain cerne la grosse Mclaren M8D qu’il a réussi, Dieu seul sait comment, à mettre en première ligne sur la grille, à côté de celle que Dan Gurney a hissée en pôle.
Hulme n’est qu’un bloc de souffrance sur lequel on aurait creusé deux trous pour les yeux, sculpté un appendice pour le nez et dessiné un rictus en forme de vague bouche.
Si de sa main droite il peut tout juste tenir son volant, la gauche, dont les doigts sont rigidifiés, il l’accrochera au bas du volant où elle ne servira à rien.
Pendant plusieurs courses il conduira d’une main, comme Jean-Pierre Beltoise le fera toute sa vie.

Teddy Mayer, autre fidèle parmi les fidèles, s’approche avec à la main un Bell blanc barré de deux bandes noires, un kiwi imprimé sur le flanc gauche et un gros HULME sur l’autre face.
Un type du Toronto Star, Bob Olsen, fend la foule des curieux, demande à Hulme pourquoi il court si tôt après son accident. The Bear n’a jamais été un loquace. Il n’est pas Graham Hill ni Jackie Stewart. Le bonheur d’avoir remporté le championnat en 1967 avait été largement amputé par les obligations mondaines y afférant.
Il grommelle un inintelligible « I do it for Bruce » et Mayer rabat la visière, forçant Denis « The Bear » Hulme, a endurer l' »unbearable ».
Un mois plus tôt à Indy. Journée d’essai. La McLaren-Offy M15 roule à 300 à l’heure sur l’ovale. Hulme est au volant.
Il ne voit pas de fines gouttes de méthanol s’échapper du reniflard du réservoir de carburant. Le méthanol est invisible. Les goulettelles vicieuses s’enflamment au contact du turbo Garrett.
Dans la seconde le pilote est cerné par une combustion indécelable sinon par des douleurs insupportables qui brûlent ses pieds, ses mains, surtout la gauche brutalement réduite à l’état de griffe déjà roide.
Soudée au casque par la chaleur, la visière le protègera juste assez pour épargner son visage. Cette même seconde, il la dilate en un temps suffisant pour réfléchir.
C’est la fameuse distorsion du temps théorisée par Jackie Stewart : dans une situation extrême, le pilote de course est catapulté dans une dimension temporelle inaccessible aux simples mortels, qui permet les décisions vitales.
Évitant de trop peser sur les freins pour ne pas partir en sucette car, il l’a perçu dans le rétroviseur, le train arrière est inondé de méthanol, il use du frein moteur, rentre en force les rapports de la Hewland LG 500, puis déboucle en hurlant de douleur son harnais et lorsque la M15 est descendue à environ 100 km/h, il s’en éjecte en marche, glisse par-dessus sa roue arrière droite et rebondit sur le tarmac.

L’Indy Fire Unit Rescue mettra quatre minutes à le repérer gisant sur la piste : elle le croyait toujours prisonnier de la voiture en flammes.
Hulme est encore en 1970 Denis, le prénom que lui donna son père en 1936. L’anglophone « Denny » viendrait plus tard.
Denis vient d’ailleurs. De Motueka, dans l’île sud de la Nouvelle-Zélande, un pays de trois millions d’habitants aux prises avec vingt millions de moutons. Les Néo-Zélandais n’ont d’autre choix pour s’en sortir que d’être éleveurs de moutons ou pilotes de course. Hulme a choisi d’être pilote de course plutôt que mouton ; un pilote version ours.
On l’appellera The Bear, l’ours, autant en raison de son caractère entier, rude que par analogie avec le verbe « to bear », endurer, supporter.
Denis vient d’un autre ailleurs, aussi. Du ventre de Clive Hulme, vétéran de la Seconde Guerre mondiale d’où il reviendra avec la Victoria Cross. Déguisé en officier nazi, il infiltra les lignes schleues durant la bataille de Crète en 41 et zigouilla 33 soldats.
Il est comme ça, Clive, du genre âpre, rugueux. Son lardon ne sera pas mieux, persuadé que son père était doté de pouvoirs magiques.
Un jour Clive sent le brûlé dans l’atelier où bosse Denis – il donne la main dans la petite affaire de transport paternelle. Denis avait marché pieds nus sur de la braise sans qu’il ressente rien. Il conduira ses voitures de course pieds nus, au début.
Back to Mosport, ce 14 juin 70. Après avoir mené pendant 44 tours, Hulme lâche l’affaire. Ses mains sont en sang sous ses bandages rougis. Il est troisième au drapeau, stoppe au stand, reste prostré.
Comme des mères poules, Teddy Mayer et Colin Beaulard détachent le harnais, soulèvent le heaume, l’extirpent par les aisselles.
22 ans plus tard.
Il pilote une BMW M3 à la Bathurst 1000, en Australie, lorsqu’il se plaint par radio à son stand que sa vision s’embue. On ne s’en inquiète pas là-bas outre mesure car il pleut à torrent. Qu’il continue.
Denis Hulme sait son heure venue. Mais de là à provoquer un accident en se laissant aller. Il ralentit, range la voiture sur le bas-côté, éteint le moteur. Et comme à l’arrivée à Mosport le 14 juin 1970, il se prostre au volant.
Denis « ‘The Bear » Hulme avait arrêté de supporter l’unbearable.
Image © Marc Ostermann. Dessin exécuté à la demande. – avec Marc Ostermann, McLaren et MycLaren, à Canadian Tire Motorsport Park.
Bel hommage à « YOGI » Hulme… Sacré bonhomme ces NéoZ
Quel assourdissant silence ! Denis Hulme susciterait-il si peu l’intérêt de nos lecteurs ? Un article extraordinaire de Patrice Vatan, un dessin magnifique de « ma » voiture de course préférée par Marc Ostermann et un seul commentaire ? Je sais que le déconfinement suscite davantage les sorties que la lecture, mais tout de même….
Ne soyez pas amer et ne doutez pas ; oui c’est une jolie note bien écrite et informative sur un grand pilote de cette époque, notre époque. Il n’avait pas le charme irrésistible d’un Cevert ou l’aura hors normes de Clark, mais c’était un professionnel solide, talentueux valeureux et loin d’être antipathique. Une anecdote ? Le 10 juillet 1966, d’au dessus des stands du circuit de Rouen je regardais la course de F2. Brabham menait la course devant Hulme son coéquipier. Dans le stand Brabham ça devait somnoler un peu ; une voix d’un stand voisin et adversaire, soudain s’adressant… Lire la suite »
Cette belle note a heureusement suscité plus de commentaires sur FB. C’est le souci avec la diversité des supports, on ne peut pas commenter partout …
joli billet , envers ce pilote méconnu ; mais ne l’a t’il pas voulu ou cherché par ses attitudes et silences radio hors des course ? Et sous estimé : tous n’ont pas été CDM F1 meme si il a bien été servi par la chance en cette année 67 ( Gurney aurait pu etre à sa place dans la Brabham et Clark et la LOTUS étaient loin devant : remember Monza 67 ) : mais il était là , a gagné et seul le résultat compte . Et surtout vainqueur ( ou double je ne sais plus ) de… Lire la suite »
On a changé l éditeur de commentaires. On s est rapproché des techniciens. Wait and see…
Très bel hommage à ce pilote et à son courage dans des circonstances qui illustrent bien sa personnalité, il mérita amplement son titre en 1967. L’année précédente il avait pu observer que le maître de l’écurie ne l’avantageait pas mais ensuite il sut en tirer les leçons et montra en s’imposant au Champion du Monde qu’il n’était pas un numéro 2 . Si Brabham perdit la victoire à la Rascasse dans le dernier tour en 1970, Denis Hulme fut imperturbable à Monaco en 67. J’aime beaucoup le dessin de Marc Hosterman de Hulme avec la Can Am.
Très juste rappel de la ténacité de ce bonhomme que, gamin, je regardais comme un genre de grand-père ronchon et pas sexy au milieu de la jeune garde des Hunt ou Peterson. C’est avec le temps, une fois sa carrière en F1 finie, que j’ai mesuré le volume du champion et la singularité de l’individu. 50 ans plus tard, je cherche qui peut encore bien ressembler à un tel personnage, parlant quand il veut parler et jouant sa vie comme il irait au bureau, sans postures corporate ni effets inutiles.
Niki lauda de son vivant , Helmut Marko en 2020 pour l’Europe ; mais non jamais jackie Stewart .
Et aux US : Roger PENSKE , Mario ANDRETTI sont les premiers noms qui me viennent
Non Richard, « le style, c’est l’homme », et Denis Hulme est unique. Personne ne lui ressemble, ni même s’en approche. A son propos, je note qu’il semble exister de nos jours une sorte de « culte » chez les gens de ma génération qui ont connu le sport automobile de cette époque, comme s’il incarnait quelque chose d’authentique, sans compromission, alors même que le business et l’argent, la communication frelatée, commençaient à envahir ce sport. Au risque de me répéter, je vous conseille vivement le documentaire « McLaren » visible sur Netflix, qui d’ailleurs revient sur l’épisode Mosport relaté… Lire la suite »
René,
Nous sommes de la meme génératio, et j’ai vu HULME sur des GP comme brands 70 , monaco 72 et 73 , nivelles 74 avec des résultats très moyens. Et en Canam les M8 de Bruce étaient tellement au dessus du lot , jusqu’à l’arrivée de PORSCHE. . Nous n’avons pas les memes avis , c’est ce qui fait l’interet d’échanger sur classic courses .
Merci M.ROGAR
J’arrive très tard, hélas, pour laisser mon commentaire. Cette pèriode de covid m’a un peu éloigné du web, et rapproché aux bouquins. En tous cas, Denny Hulme était vraiment un des pilotes que jadorai. Je me trouve très d’accord avec René Fievet, qui a laissé son commentaire. Hulme était unique. Unique le pilote, qui passait sans la moindre difficulté d’un categorie à l’autre (mais à son èpoque c’etait normal ou presque), unique l’homme, qui n’était guère l’ours que l’on appellait. Il amait se détendre, en attendant le depart des essais, en se couchant sur l’asphalte des stands, avec la tête… Lire la suite »
Sympa cet article. J’aimais bien ce pilote, pétri de qualités et au look de voisin de palier. Et puis, gagner le CM 1967 en F1 avec ce plateau magnifique et ces voitures mythiques, il fallait le faire!