Denis Hulme
15 juin 2020

Denis Hulme

Mosport International Raceway, Ontario, Canada, le 14 juin 1970
(En lointain echo https://bit.ly/30yVRds)

Il se ferait découper en rondelles plutôt que de passer à la concurrence, Colin Beaulard, ainsi que Jim Hall le lui a proposé hier. Il boucle le harnais six points sur le ventre de Denis.

Nul ne remarque au-dessus de la foule, surgissant de l’espace-temps, la silhouette vibratile d’un môme de 13 ans, Marc O, qui crayonne la scène. Pour plus tard.

Originaire de Te Puke, le bourg néo-zélandais où a grandi son patron, Denis Hulme, qu’il a accompagné en Europe lors de l’opération « Driver for Europe » en 1960, Colin fait partie de la garde kiwi qui s’est soudée autour de Bruce McLaren et de Denis Hulme.

Bruce est mort il y a 12 jours. L’univers Mclaren s’effondrait. Il y a 12 jours Denis était encore sur un lit à l’Indianapolis General Hospital, sans qu’il y ait un lien entre les deux événements, les mains comme deux battoirs énormes entourés de gaze, brûlées au troisième degré. Les toubibs lui avaient ordonné de ne pas courir avant plusieurs mois.

Ce matin Denis Hulme s’aligne au départ de la première course Can Am de la saison, 32 jours après avoir pris feu aux essais d’Indy.

Un mur humain cerne la grosse Mclaren M8D qu’il a réussi, Dieu seul sait comment, à mettre en première ligne sur la grille, à côté de celle que Dan Gurney a hissée en pôle.

Hulme n’est qu’un bloc de souffrance sur lequel on aurait creusé deux trous pour les yeux, sculpté un appendice pour le nez et dessiné un rictus en forme de vague bouche.
Si de sa main droite il peut tout juste tenir son volant, la gauche, dont les doigts sont rigidifiés, il l’accrochera au bas du volant où elle ne servira à rien.
Pendant plusieurs courses il conduira d’une main, comme Jean-Pierre Beltoise le fera toute sa vie.

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Image © Denis Hulme. Bob Olsen, The Toronto Star, le 12 juin 1970

Teddy Mayer, autre fidèle parmi les fidèles, s’approche avec à la main un Bell blanc barré de deux bandes noires, un kiwi imprimé sur le flanc gauche et un gros HULME sur l’autre face.

Un type du Toronto Star, Bob Olsen, fend la foule des curieux, demande à Hulme pourquoi il court si tôt après son accident. The Bear n’a jamais été un loquace. Il n’est pas Graham Hill ni Jackie Stewart. Le bonheur d’avoir remporté le championnat en 1967 avait été largement amputé par les obligations mondaines y afférant.

Il grommelle un inintelligible « I do it for Bruce » et Mayer rabat la visière, forçant Denis « The Bear » Hulme, a endurer l' »unbearable ».

Un mois plus tôt à Indy. Journée d’essai. La McLaren-Offy M15 roule à 300 à l’heure sur l’ovale. Hulme est au volant.
Il ne voit pas de fines gouttes de méthanol s’échapper du reniflard du réservoir de carburant. Le méthanol est invisible. Les goulettelles vicieuses s’enflamment au contact du turbo Garrett.
Dans la seconde le pilote est cerné par une combustion indécelable sinon par des douleurs insupportables qui brûlent ses pieds, ses mains, surtout la gauche brutalement réduite à l’état de griffe déjà roide.
Soudée au casque par la chaleur, la visière le protègera juste assez pour épargner son visage. Cette même seconde, il la dilate en un temps suffisant pour réfléchir.
C’est la fameuse distorsion du temps théorisée par Jackie Stewart : dans une situation extrême, le pilote de course est catapulté dans une dimension temporelle inaccessible aux simples mortels, qui permet les décisions vitales.

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Évitant de trop peser sur les freins pour ne pas partir en sucette car, il l’a perçu dans le rétroviseur, le train arrière est inondé de méthanol, il use du frein moteur, rentre en force les rapports de la Hewland LG 500, puis déboucle en hurlant de douleur son harnais et lorsque la M15 est descendue à environ 100 km/h, il s’en éjecte en marche, glisse par-dessus sa roue arrière droite et rebondit sur le tarmac.

Denis Hulme s’éjecte de sa McLaren-Offy en feu à Indy le 12 mai 1970 (merci à Marc Ostermann)

L’Indy Fire Unit Rescue mettra quatre minutes à le repérer gisant sur la piste : elle le croyait toujours prisonnier de la voiture en flammes.

Hulme est encore en 1970 Denis, le prénom que lui donna son père en 1936. L’anglophone « Denny » viendrait plus tard.

Denis vient d’ailleurs. De Motueka, dans l’île sud de la Nouvelle-Zélande, un pays de trois millions d’habitants aux prises avec vingt millions de moutons. Les Néo-Zélandais n’ont d’autre choix pour s’en sortir que d’être éleveurs de moutons ou pilotes de course. Hulme a choisi d’être pilote de course plutôt que mouton ; un pilote version ours.
On l’appellera The Bear, l’ours, autant en raison de son caractère entier, rude que par analogie avec le verbe « to bear », endurer, supporter.

Denis vient d’un autre ailleurs, aussi. Du ventre de Clive Hulme, vétéran de la Seconde Guerre mondiale d’où il reviendra avec la Victoria Cross. Déguisé en officier nazi, il infiltra les lignes schleues durant la bataille de Crète en 41 et zigouilla 33 soldats.

Il est comme ça, Clive, du genre âpre, rugueux. Son lardon ne sera pas mieux, persuadé que son père était doté de pouvoirs magiques.
Un jour Clive sent le brûlé dans l’atelier où bosse Denis – il donne la main dans la petite affaire de transport paternelle. Denis avait marché pieds nus sur de la braise sans qu’il ressente rien. Il conduira ses voitures de course pieds nus, au début.

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Back to Mosport, ce 14 juin 70. Après avoir mené pendant 44 tours, Hulme lâche l’affaire. Ses mains sont en sang sous ses bandages rougis. Il est troisième au drapeau, stoppe au stand, reste prostré.
Comme des mères poules, Teddy Mayer et Colin Beaulard détachent le harnais, soulèvent le heaume, l’extirpent par les aisselles.

22 ans plus tard.
Il pilote une BMW M3 à la Bathurst 1000, en Australie, lorsqu’il se plaint par radio à son stand que sa vision s’embue. On ne s’en inquiète pas là-bas outre mesure car il pleut à torrent. Qu’il continue.

Denis Hulme sait son heure venue. Mais de là à provoquer un accident en se laissant aller. Il ralentit, range la voiture sur le bas-côté, éteint le moteur. Et comme à l’arrivée à Mosport le 14 juin 1970, il se prostre au volant.

Denis « ‘The Bear » Hulme avait arrêté de supporter l’unbearable.

Image © Marc Ostermann. Dessin exécuté à la demande. – avec Marc OstermannMcLaren et MycLaren, à Canadian Tire Motorsport Park.

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