24 septembre 2024

BRM F1 à disque arrière unique

Parmi les innombrables particularités et curiosités qui fleurirent sur les monoplaces de grand prix, celle du frein arrière unique fut l’apanage de la seule écurie BRM. Elle perdura cinq saisons, sans réel gain technique prouvé, mais avec une faiblesse terrible qui la condamna irrévocablement fin 1960.

Pierre Ménard

Dan Gurney dans les stands de Silverstone lors du GP de Grande Bretagne 1960. On distingue nettement le disque unique et son étrier au sortir de la boïte de la BRM. © DR

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Enthousiasme et naïveté

Le British Racing Motor Research Trust, dont dépendait l’écurie BRM, fut fondé après-guerre avec l’ambition affichée d’aller botter l’arrière-train des équipes latines, italiennes pour les plus représentatives. Ce grand élan patriotique, qui serait bientôt repris par Guy Vandervell et ses fameuses Vanwall, était constitué d’un mélange de volontarisme et d’optimisme, saupoudré d’une subtile dose de naïveté et d’inexpérience. C’est ainsi que les ateliers de Bourne produiront pendant une dizaine d’années des monoplaces certes rapides, mais notoirement fragiles et mal préparées.

En 1956, Mike Hawthorn décréta que la Type 25 était un vrai « piège » et quitta l’écurie après le GP de Grande Bretagne. © DR

Dès la création du championnat du monde de Formule 1 en 1950, nos enthousiastes Anglais firent dans l’originalité en produisant la Type 15 et son étonnant moteur V16 qui promettait monts et merveilles en matière de puissance. Lourde et mal conçue, cette monoplace ne laissa qu’un souvenir très mitigé à ceux qui la pilotèrent, mais son hurlement mécanique impressionnant ravit les spectateurs massés au bord de la piste. Présentée fin 1954, la Type 25 devait pallier les défauts de sa devancière grâce à des solutions innovantes : un inédit quatre-cylindres fiable et puissant, et un système de freinage original, avec deux disques à l’avant et… un seul à l’arrière !

Vicieuse et dangereuse

Là encore, on put vérifier le manque de réalisme des gens de chez BRM : cette nouvelle monoplace ne fut finalement prête qu’en 1956, et ses pilotes la prirent vite en grippe. Tony Brooks la trouvait « vicieuse ». Quant au bouillant Mike Hawthorn, qui avait lâché Ferrari pour tenter l’exaltante aventure patriotique, il claqua la porte de l’écurie après seulement deux grands prix disputés (Monaco et Grande-Bretagne), arguant que la Type 25 n’était rien moins que « bloody dangerous » !

La venue en 1958 des confirmés Jean Behra et Harry Schell ne changea rien au problème, les pilotes et ingénieurs se perdant toujours en conjectures devant cette auto si compliquée à comprendre. Surtout son frein arrière unique : le disque étant monté directement sur l’arbre de la boîte de vitesses promettait un meilleur refroidissement, et donc une endurance accrue, sans parler du poids gagné. Or, les incessants problèmes de frein noyaient ces deux arguments dans un scepticisme général quant à la pertinence de ce système.

Jean Behra à Monaco en 1958 sur la toujours indomptable Type 25. © DR

L’éclaircie de Zandvoort

Ce n’est qu’en 1959 qu’un rayon de soleil déchira le ciel sombre au-dessus de Bourne : la belle victoire de Jo Bonnier à Zandvoort, après une âpre bataille contre la petite Cooper à moteur arrière de Jack Brabham, redonna le sourire à une équipe minée par l’accumulation des problèmes insolubles.

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Ce succès ne fut, hélas, pas suivi de l’embellie attendue tant les bons résultats se firent ensuite rares. Mais il prouvait que BRM était enfin capable de concevoir une voiture ayant le bon goût de rester entière jusqu’au drapeau à damier, et en première position, qui plus est. Il fallait désormais passer au stade supérieur : concevoir une monoplace capable de jouer les premiers rôles de façon régulière. L’exemple de Cooper et Lotus allait guider les concepteurs de chez BRM.

Le déclic pour Bourne : la victoire de Jo Bonnier à Zandvoort en 1959. © DR

Il devenait clair que les lourdes voitures à moteur avant appartenaient au passé, et que l’avenir se déclinerait avec ces fines monoplaces propulsées par des blocs installés derrière le pilote. Plus légères, elles avaient donc une zone de freinage plus restreinte, ce qui engagea les concepteurs à maintenir leur confiance dans le frein arrière unique. Et pour un refroidissement encore plus efficace, on le monta légèrement en dehors de la carrosserie. La vision de ce disque mordu par son étrier à l’arrière de celle qui prenait l’appellation de Type 48 sera une des curiosités de cette année 1960. Mais une curiosité aux conséquences dramatiques.

Le drame de Zandvoort

En ce début de 1960, l’équipe pilotes fut une fois de plus modifiée. Aux côtés du désormais vainqueur de grand prix Jo Bonnier vinrent s’aligner deux jeunes trentenaires prometteurs : l’Anglais Graham Hill, qui en avait soupé de la fragilité des Lotus, et l’Américain Dan Gurney, très déçu de ne pas avoir été conservé par Ferrari chez qui il avait pourtant effectué une très belle première saison de Formule 1. La fine Type 48 autorisait les rêves les plus fous chez ces compétiteurs ambitieux, ce furent la débâcle et l’horreur qui les cueillirent à froid.

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La débâcle car les BRM ne marquèrent qu’à trois reprises, et de petits points. Hill fut souvent à la pointe du combat, mais bien mal récompensé. Comme à Silverstone face au champion en titre Brabham qu’il réussit à passer après un rude mano a mano avant de se déconcentrer et de partir à la faute alors qu’il menait SON grand prix. Bonnier égala les performances de son team mate britannique en finissant le championnat à une peu glorieuse 15e place, mais le pire fut réservé au pauvre Gurney.

Zandvoort 1960, freinage de Tarzan. L’instant fatal où Gurney comprit qu’il avait peu de chances de s’en sortir sans casse. © DR J.Picard

Non seulement le grand Étatsunien ne récolta pas un seul point de son exercice chez BRM, mais il endura une terrible épreuve lors du Grand Prix des Pays-Bas à Zandvoort. Le circuit batave, qui avait tant souri à l’écurie BRM l’an passé, allait révéler la grosse faiblesse des voitures issues des ateliers de Bourne.

Parti en milieu de grille, Dan réussit en quelques tours à remonter en cinquième position, notamment grâce aux problèmes de tenue de route de ses deux coéquipiers, puis à l’abandon de Bruce McLaren. Devant ferraillaient dur les deux pilotes Lotus, Ireland et Stacey, bagarre à laquelle Gurney espérait bien venir se mêler.

Au 11e des 75 tours de la course, la BRM menait grand train et dévalait la longue ligne droite des stands se terminant par le freinage énergique de l’épingle de Tarzan. Son pilote imprima alors sur la pédale du milieu la vigoureuse poussée exigée à cet endroit, mais il ne sentit pas le ralentissement escompté.

Dan fit tout pour éviter la sortie de piste, mais il était trop tard : la monoplace fila tout droit, sauta les protections (très insuffisantes à cette époque) et se retourna dans une zone interdite au public où s’étaient massés quelques spectateurs imprudents. Les secouristes déboulèrent pour aider le malheureux à s’extirper de la carcasse retournée, mais durent constater que la monoplace folle avait fauché les personnes présentes à cet endroit, en blessant plusieurs et tuant un jeune homme de 19 ans.

Quelques instants plus tard, le visage de Dan exprime toute la douleur liée au drame. © Motorsport Images

Quatre disques

Légèrement contusionné, Dan Gurney quitta les lieux de l’accident le dégoût aux lèvres. Il avait compris la cause de ce drame : son frein arrière avait cédé et les disques bloqués à l’avant n’avaient pu faire seuls le boulot ! Il va sans dire que l’évidence sauta aux yeux de tout le monde dans l’écurie : ce frein unique à l’arrière n’avait rien apporté en termes de performances, mais pire, il s’était finalement révélé dangereux. Dan Gurney préféra changer d’air et signa pour 1961 avec Huschke von Hanstein, le directeur sportif de Porsche, suivi par son coéquipier Bonnier.

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On profita de ces départs pour resserrer les forces à Bourne en n’engageant plus que deux voitures, pour Graham Hill et Tony Brooks. Au vu des pitoyables résultats engrangés, les services techniques furent réorganisés et leur direction confiée à un ingénieur maison ayant fait ses preuves : Tony Rudd allait indiquer la bonne marche à suivre pour les prochaines années. Il allégea la Type 48 et fit concevoir un V8 1500 cm3 répondant à la nouvelle règlementation qui allait entrer en vigueur à l’orée de cette saison 1961.

Hélas pas au point, ce bloc serait remplacé par le quatre cylindres Climax qui équipait toutes les monoplaces anglaises et ne serait installé que pour 1962 dans le futur châssis Type 57. Mais, il va sans dire qu’une des premières mesures prises par Tony Rudd fut de remettre deux freins à l’arrière des voitures de Bourne.

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