24 novembre 2024

1954, la dernière Panam – 2e partie : Porsche premier des autres

Après Ferrari il y a quelques jours, poursuivons notre évocation de la Panam 54. En nous penchant cette fois sur les heurs et malheurs des autres concurrents.

Olivier Favre
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Si vous souhaitez d’abord vous mettre dans l’ambiance de cette Panam 54, rien ne vaut le film ci-dessous. Patronné par le pétrolier Mobil, il constitue un précieux document en couleurs sur cette dernière édition, depuis les préparatifs à Tuxtla-Gutierrez jusqu’à l’arrivée à Ciudad-Juarez.

 Porsche

Porsche - Linge
Le spider Porsche de Linge devant celui de Herrmann – © DR

Bien décidé à en appeler de son échec de l’année précédente, le jeune constructeur de Zuffenhausen revient avec trois spiders 550. Outre Telefunken, celui confié à Hans Herrmann affiche le soutien de Fletcher Aviation. Cette entreprise californienne assemble alors des moteurs industriels sous licence Porsche et fournit un avion d’assistance. Herbert Linge et le Mexicain Segura se partageront le volant d’un spider bleu. Jaroslav Juhan conduira un troisième spider. Ce Tchèque fraîchement émigré au Guatemala est devenu un an plus tôt importateur de la marque pour l’Amérique latine et ses performances lors de l’édition précédente de la Panam ont convaincu Ferry Porsche de l’intégrer à l’écurie officielle pour cette année.

Porsche - Panam 54
Entouré de Linge, Herrmann, Juhan et Segura, Huschke von Hanstein a de quoi être satisfait – © DR

Plusieurs coupés 356 complètent l’effectif Porsche, dont un conduit par une femme. Jacqueline Evans de Lopez est une actrice anglaise qui a épousé un torero mexicain et qui se passionne pour cette course. Elle a disputé l’édition précédente avec une 356 qui portait sur son capot le portrait d’Eva Peron, morte en 1952. Elle revient cette année, mais devra abandonner une fois encore. Au contraire des trois spiders qui sont tous à l’arrivée, Herrmann devançant Juhan de moins d’une minute pour la 3e marche du podium absolu. Ce superbe résultat aura comme on le sait une longue postérité dans l’histoire de la firme de Zuffenhausen (1).

Borgward

Accident pour Bechem – © Boyd Harnell

Le constructeur de Brême est aussi de retour avec deux spiders Hansa. Concurrents directs des Porsche, ils sont équipés de l’injection directe d’essence. Il s’agit là d’une nouveauté sur les moteurs à quatre temps, introduite quelques mois plus tôt par Mercedes ; en série sur la 300 SL, en course sur la W196 de grand prix. Elles sont pilotées par Karl-Günther Bechem (n°60) et le Suisse Franz Hammenick (n°61). Les Borgward se montrent très performantes. Au soir de la deuxième étape, Hammenick est sorti de la route. Mais Bechem mène la classe deux litres devant les Porsche avec en bonus une étonnante 3e place absolue, derrière Hill et Maglioli. Mais l’euphorie ne dure pas. A l’approche de Mexico, Bechem sort à son tour à haute vitesse et se casse la jambe. On verra encore des Borgward en compétition jusqu’en 1958, avec au volant notamment Herrmann et Bonnier.

Osca

Osca Chiron - Panam 54
L’Osca de Louis Chiron – © DR

La marque des frères Maserati n’est pas engagée officiellement pour cette Panam, mais trois spiders MT4 (Maserati Tipo 4 cilindri) sont alignés par des privés. Deux des pilotes ne sont pas des inconnus : le Franco-Monégasque Louis Chiron, toujours fringant malgré ses 55 ans et l’Argentin Roberto Mieres, vu en F1 chez Gordini et Maserati. Propriété de Portago qui l’a conduite au Tour de France, l’Osca de Mieres est engagée sous la même bannière que la Ferrari du noble espagnol et peinte elle aussi en noir. Chiron comme Mieres peuvent viser la classe Sport jusqu’à 1,5 litre. Voire mieux : après tout, l’Osca de Moss a gagné les 12 Heures de Sebring quelques mois plus tôt en profitant de l’hécatombe des grosses.  Mieres ne rêve pas longtemps, il tombe en panne lors de la 3e étape. Mais Chiron effectue une belle course ponctuée par une 8e place à l’arrivée.

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Austin Healey

Austin Healey Panam 54
Carroll Shelby est encore souriant, ça ne durera pas ! – © DR

Donald Healey entend faire la promotion de sa nouvelle 100 S, présentée un mois plus tôt au Salon de Londres. Deux exemplaires sont inscrits, l’une verte pour Lance Macklin, navigué par Donald Healey lui-même, l’autre aux couleurs américaines (blanc et bleu) pour Carroll Shelby. Elles visent la même victoire de classe que les Porsche, Borgward et Osca. Mais elles ne la viseront pas longtemps : Macklin tombe en panne dès la première étape et Shelby sort de la route le deuxième jour, se brisant la clavicule et quelques côtes. C’était bien la peine de faire un si long voyage !

Jaguar

Stirling Moss a bien tenté de convaincre Lofty England de lui confier une voiture et quelques hommes pour une opération commando. Mais le patron du service courses de Jaguar est resté inflexible. L’honneur de la marque de Coventry est donc confié à deux équipages privés mexicains à bord l’un d’une XK-120, l’autre d’une Type C. Le pilote de cette dernière, Francisco « Paco » Ibarra, n’est pas superstitieux, puisque sa voiture blanche aux couleurs de l’Etat de Veracruz arbore le n°13. Sa course se terminera par un abandon sur fuite d’huile. Ibarra se tuera quatre ans plus tard au volant de cette même Jaguar, lors d’un essai sur route ouverte.

© DR

Pegaso

La présence au départ de cette Panam de la marque de Barcelone est déjà une performance. Du fait de ses difficultés financières déjà. Mais en plus son engagement est d’abord refusé, les relations entre le régime de Franco et le Mexique étant gelées depuis la guerre civile espagnole et l’accueil de nombreux républicains à Mexico. La solution vient du dictateur dominicain Rafael Trujillo. Celui-ci finance l’expédition transatlantique en contrepartie d’une « naturalisation » : l’unique Z-102 engagée est décorée aux couleurs de son pays des Caraïbes. Avec ce spider blanc carrossé par Touring et motorisé par un V8 de 3,2 litres doté d’un compresseur, Joaquin Palacio se hisse jusqu’à la 5e place avant de sortir de la route dans la même courbe que Bechem. Le pilote et son passager s’en sortent bien, au contraire de la voiture, qui brûle intégralement, et d’un soldat qui a eu le malheur d’être sur sa trajectoire.

Pegaso
© DR

Alfa Romeo  et Volkswagen

Alfa Romeo Panam 54
Consalvo Sanesi © DR

Finmeccanica, la holding chapeautant la marque italienne, engage pas moins de six Alfa 1900 Ti, qu’elle confie à des pilotes réputés tels Consalvo Sanesi (photo ci-dessus), son essayeur maison, Piero Carini ou Sergio Mantovani. Premier modèle à coque autoporteuse, première Alfa construite à la chaîne, la 1900 est un jalon important de l’histoire de la marque. Alfa vise la catégorie « Tourisme – Europe de moins de 2 litres ». L’objectif sera atteint et de belle manière. Quatre des six voitures terminent, échelonnées entre la 15e et la 20e place, la mieux classée étant celle de Sanesi. L’esprit de groupe perdurera à l’arrivée : les pilotes feront un pot commun avec leurs gains et les partageront à parts égales.

VW Panam 54
Au volant de la 261, le prince finira premier de l’armada VW – © DR

Puces de cette course, sept Coccinelles 1200 sont présentes au départ de la Panam. L’initiative en revient à Alfonso de Hohenlohe-Langenburg, qui pilote l’une d’elles. Habitué de la chronique mondaine, le prince austro-espagnol vient de « lancer » le village de pêcheurs espagnol de Marbella, qui va devenir un « hot spot » de la jet-set, à l’égal de Saint-Tropez. En course, les Cox font sensation. Vu leur faible puissance, les pilotes ont décidé de rouler en peloton, afin de réduire la résistance à l’air. Comme la fiabilité suit, les Coccinelles se retrouvent toutes à l’arrivée. Certes, en queue de classement, mais avec une moyenne supérieure à 100 km/h. Un chiffre qui paraît tellement optimiste que certains laissent entendre qu’elles auraient été équipées de moteurs Porsche ! Une inspection technique lèvera le doute après la course : il s’agissait bien de moteurs VW de série.

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Les américaines à la Panam

Lincoln
La Lincoln de Ray Crawford, 9e – © DR

Fort logiquement, la majorité des concurrents alignent de grosses américaines, dont un bon nombre ont franchi le Rio Grande. On trouve ainsi une forte équipe d’usine Lincoln (huit voitures), double tenante du titre en catégorie tourisme et dotée de pointures de la Formule Indy tels Bill Vukovich (double vainqueur sur le brickyard en 53-54), Chuck Stevenson et Walt Faulkner. Il y aura pas mal de déchets chez Lincoln, mais deux voitures survivront quand même et décrocheront les 9e (Ray Crawford) et 10e (Walt Faulkner) places absolues. Parmi ces nombreuses américaines, deux voitures originales méritent une attention particulière : la Packard Motto du Français Jean Trévoux et l’étonnante Akton Miller Special.

Packard
13e place pour la Packard Motto de Jean Trévoux – © DR

Le Normand Jean Trévoux est surtout connu pour ses quatre victoires au rallye de Monte-Carlo, avant et après la Deuxième Guerre Mondiale. Installé à Mexico après celle-ci, il s’intéresse forcément à la Panam. Cinquième en 1951 sur Packard, il estime qu’une telle voiture aurait ses chances moyennant quelques aménagements. Il envoie donc une Packard 200 chez Rocco Motto (2). Celui-ci coupe dans le châssis et l’habille d’aluminium, gagnant ainsi près de 200 kg. Quant au moteur, il bénéficie des bons soins du sorcier californien Howard Johansen et développe plus de 300 ch. Après un abandon lors de la Panam 53, Trévoux revient cette année avec une voiture inchangée, sinon la couleur. Cette fois il verra l’arrivée à la 13e place, à deux minutes de la Porsche de Linge.

Le Caballo de Hierro

Akton Miller
Le Caballo de Hierro ne paye pas de mine, mais il est efficace ! – © DR

Californien d’origine danoise, Akton « Ak » Miller est un habitué des courses américaines « en milieu naturel » (Pikes Peak, Baja 1000, lac salé de Bonneville, …). C’est la troisième fois qu’il s’inscrit à la Panam avec son étonnante monture, l’Akton Miller Special. Surnommée « Caballo de Hierro » (cheval de fer) (3), celle-ci est un hot-rod baroque mixant un châssis de Ford 1950, un V8 Oldsmobile maison et une carrosserie de Ford T modèle 1927. Venu par la route depuis Whittier (banlieue de Los Angeles), cet assemblage hétéroclite ne lasse pas d’étonner durant les cinq jours de la course. Au final, Miller se classe 7e, juste derrière la dernière Ferrari et devant les Lincoln. Tout cela avec une voiture qui a dû lui coûter à peine 1500$ ! Après un peu de repos et une petite séance de mécanique, les voilà repartis vers la Californie, lui et son mécano.

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La fin de la Panam

Pour terminer ce panorama, signalons quelques noms connus, la plupart a posteriori, qui émergent de l’anonymat des autres concurrents : Piero Taruffi (Ford), vainqueur en 1951 sur Ferrari, l’Argentin Juan Manuel Bordeu (Chevrolet Bel Air) que l’on verra en Europe quelques années plus tard, surtout en Formule Junior, le Mexicain Moises Solana (Dodge V8), qui sera le coéquipier ponctuel de Jim Clark en F1 chez Lotus, l’Américain Chuck Daigh, futur pilote Scarab en F1, qui se contente pour l’instant de naviguer Chuck Stevenson. Et Mickey Thompson (Ford) qui va marquer la course américaine sous plusieurs formes (dragsters, Indy, record du monde terrestre).

Pour tous, ce sera la dernière Panam. Six mois plus tard aura lieu la catastrophe des 24 Heures du Mans. La Panam passe généralement comme victime de cette tragédie. Sans être totalement faux, ce lien est sans doute un peu simpliste. La Panam était déjà en sursis. Le gouvernement mexicain renâclait à affecter des fonds à l’entretien optimal d’une route panaméricaine non seulement très longue, mais de surcroît régulièrement endommagée par les fortes pluies et les inondations (4). Par ailleurs, avec ses nombreuses victimes chaque année (5), la course faisait l’objet de fortes critiques de la part d’une partie de la presse et, surtout, de l’église catholique, alors très influente au Mexique. Aussi l’hécatombe mancelle du 11 juin 1955 n’a-t-elle sans doute que planté le dernier clou du cercueil de la Panam.

VW Juarez
L’arrivée des Coccinelles à Ciudad-Juarez – © DR

NOTES :

(1) Afin de rappeler cette Panam 54, Porsche reprendra l’appellation Carrera pour plusieurs modèles jusqu’au début des années 60. Elle désigne depuis 1973 les déclinaisons les plus sportives de la 911.

(2) Installé à Turin, le carrossier Rocco Motto s’est spécialisé dans les carrosseries alu montées sur des châssis à vocation sportive. Il œuvra notamment sur plusieurs des dernières Delahaye, Talbot ou Salmson. Mais aussi des Lancia, Alfa Romeo, Cisitalia et Ferrari (212 Export, 195 Inter).

(3) L’Akton Miller Special fut aussi rebaptisée « Ensalada » par les Mexicains, puisqu’il s’agissait d’une salade de pièces diverses.

(4) Sans compter le coût des quelque 20 000 membres des forces de l’ordre chargés de sécuriser le parcours.

(5) Cette Panam 1954 fit encore près d’une dizaine de morts, portant ainsi à plus de 30 le nombre total de victimes (concurrents, spectateurs, forces de l’ordre) de la course en seulement cinq éditions. Il faut dire qu’en l’espace de 4 ans la moyenne du vainqueur avait progressé de plus de 80 km/h !

Photo d’ouverture : Miller et Chinetti peints par Michael Wright

Je dédie cette note à Hans Herrmann, un gentleman que j’ai eu l’honneur et le plaisir de rencontrer il y a dix ans en compagnie de François Blaise. Il est peut-être aujourd’hui l’ultime survivant de cette Panam 54.

Hans Herrmann
Hans Herrmann © DR

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