7 décembre 2019

François Blaise : le commissaire se met à table

Pour les lecteurs de Classic Courses François Blaise est un nom connu. Il y a ses commentaires réguliers, il y a sa Vespa rouge au Galop des Cuirassiers chaque année, il y a les rencontres que nous avons faites ensemble (Hans Herrmann, Pascal Ickx, Heinrich Villiger, …).
Et il y a bien sûr sa sœur Marie-Christine, dont la mémoire se perpétue sur ce blog grâce à ses films, merveilleuses pépites en 8 mm au charme intemporel. Mais François lui-même n’aurait-il pas des choses à raconter, après toutes ces années passées en tant que commissaire de piste ?
Je suspectais que si, c’est pourquoi j’ai tenu à ce qu’il se soumette à son tour à un interrogatoire en règle.

Olivier Favre

François Blaise : le commissaire se met à table
© François Blaise

Ta passion pour le sport automobile vient de loin, n’est-ce pas ?

Mon plus ancien souvenir de course auto, c’était au Maroc dans les années 50. Je suis né en France, mais j’ai habité le Maroc de 1945 à 1955, car mon père, officier dans l’aviation, y était stationné. A l’époque, il y avait beaucoup de courses au Maroc, grâce au dynamisme du Royal Automobile Club et il se trouve que ma sœur aînée Marie-Christine y travaillait en tant que secrétaire. Elle avait 5 ans de plus que moi et se déplaçait assez souvent sur les rallyes, les courses, et elle m’emmenait avec elle (https://www.classiccourses.fr/2013/06/14/la-passion-marie-christine/).
Elle s’est liée d’amitié avec plusieurs pilotes et c’est ainsi qu’en 1953, j’avais 13 ans, j’ai pu rencontrer et sympathiser avec Georges Houel et Olivier Gendebien, que mes parents avaient invités à la maison. A l’occasion des 12 h de Casablanca, grande épreuve de l’époque, j’ai aussi pu approcher Ascari, Villoresi, Rosier, Trintignant, Etancelin. Ainsi que les locaux : Robert Lacaze, Jean Deschazeaux, André Guelfi.

Puis, quand j’ai eu 15 ans, je suis rentré en France pour faire une école de céramiste à Beauvais et terminer mes études à Dijon. Je n’étais pas passionné par de grandes études, l’idée était de reprendre la fabrique familiale de tuiles et de briques qui était en Franche-Comté. J’ai évidemment saisi les occasions d’assister à des Grands Prix. Mon premier, ce fut le GP de l’ACF 1956 à Reims, avec la victoire de Peter Collins sur Lancia-Ferrari D50.

Puis il y a eu le fameux GP d’Allemagne 1957 avec la fabuleuse victoire du grand Juan Manuel Fangio, que j’ai déjà évoquée pour Classic Courses (https://www.classiccourses.fr/2016/05/07/marie-christine-nurburgring-1957-1958/) et qui demeure l’un des plus beaux souvenirs de ma vie. J’y ai aussi fait la connaissance et sympathisé avec Bernard Cahier, dont tous les amateurs de sport auto connaissent les merveilleuses photos.

François Blaise : le commissaire se met à table
Fangio et Hawthorn à la parade après ce magnifique Grand Prix d’Allemagne 1957 – © François Blaise

Avant de travailler à l’usine, il y avait d’abord le service militaire, ce n’était pas rien à l’époque. J’ai fait ma préparation militaire dans les parachutistes à Dijon pendant mes études et en 1960 je suis parti à Pau pour six mois, puis pour 22 mois en Algérie. J’aimais bien le parachutisme. En revanche, j’ai de la guerre d’Algérie des souvenirs qui me pèsent encore aujourd’hui …

François Blaise
François Blaise (dernier rang, 3e à gauche) : « Le 27 août 1960 je passais mon brevet de parachutiste militaire à Pau. Les autres unités nous appelaient « les cinglés » ou les « volontaires du casse-pipes ». Nous n’étions ni l’un ni l’autre, nous étions des jeunes appelés du contingent, souvent volontaires pour rester ensemble avec des copains de classe et ayant envie de servir intelligemment et efficacement dans cette m… de guerre d’Algérie. Dieu que nous étions jeunes ! » © DR

Puis tu es devenu commissaire de piste, très jeune ?

Oui, à l’époque, il suffisait d’être au bon endroit au bon moment. A l’occasion d’une permission en 1961, je suis allé voir mes parents qui s’étaient installés à Nice. Et là je me suis dit : « tiens, et si je me présentais à l’AC de Monaco pour voir s’ils n’auraient pas besoin de commissaires ? » Et ils m’ont pris ! C’était très facile de devenir commissaire à l’époque, la formation était assez rudimentaire, on t’expliquait un peu la signification des drapeaux et ce qu’il fallait faire en cas d’intervention et c’est à peu près tout. C’est ainsi que j’ai débuté en bord de piste à l’occasion de cette superbe victoire de Stirling Moss face aux Ferrari. Par la suite des stages de sécurité et d’intervention sont devenus obligatoires pour les commissaires de piste.

Après mon service militaire j’ai travaillé dans l’entreprise familiale, je me suis marié et j’ai pris une licence à l’ASA de Franche-Comté pour être commissaire sur des rallyes et des courses de côte, toujours pendant mes congés. Ensuite je me suis inscrit à l’ASA Bourgogne et j’ai eu une licence de commissaire international. Je faisais 4 ou 5 Grands Prix par an, plus le Tour de France auto, le Liège-Rome-Liège, le Monte-Carlo. Sur les rallyes, on guidait les voitures à l’arrivée des spéciales, par exemple pas très loin de chez moi, à Langres ou à Ste-Marie-aux-Mines pour le Tour auto.

Comme il y a peut-être des novices sur Classic Courses, rappelle-nous le rôle du commissaire de piste

Le  rôle du commissaire de circuit est en premier lieu la signalisation et l’intervention en cas d’accident. La signalisation est un élément déterminant de la sécurité. Grâce à l’action des commissaires et de leurs drapeaux, des accidents peuvent être évités, un incident ou un accident peut ne pas se transformer en catastrophe. Le but de la signalisation est de renseigner les pilotes et de les protéger de tout danger ou toute difficulté qu’ils n’ont pu prévoir.

François Blaise : le commissaire se met à table

Le « message » qu’ils reçoivent du bord de la piste doit leur être envoyé le plus rapidement possible pour leur permettre d’adapter ou de modifier leur conduite en conséquence. Bien sûr, pour qu’une signalisation soit efficace et respectée, il est impératif que les pilotes et commissaires connaissent parfaitement la signification précise de chaque drapeau.

François Blaise : le commissaire se met à table
Le commissaire Blaise en pleine action à Zolder en 1980 – © Auto-Hebdo

Tu as été commissaire dans toute l’Europe ?

Pas tout à fait. J’avais la chance de pouvoir m’absenter les week-ends puisque je travaillais dans l’entreprise familiale. Mais je limitais quand même mon rayon d’action géographique. Ainsi, en F1 j’ai été commissaire à Reims (j’étais au Thillois), à Dijon-Prenois, au Paul Ricard, à Spa, à Zolder, à Zandvoort. En fait, mon Grand Prix le plus lointain, c’était Monaco, où j’ai officié pendant 30 ans, sans interruption.

Au début j’étais sous le tunnel, puis à la chicane du port et ensuite au virage du Portier. Dans ce virage nous étions un groupe formidable. Il y avait les commissaires, des médecins, des infirmiers, des pompiers, nous étions comme une famille ; nous avions même notre table pour déjeuner tous ensemble. Il y avait une ambiance extra ! J’y ai aussi fait beaucoup de photos. Normalement, on n’avait pas le droit, mais on se cachait, chut !

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Le casse-croûte des commissaires au Portier et la médaille de l’ACM – © François Blaise

En 1982, victime de la concurrence, notre entreprise a dû fermer ses portes et j’ai dû trouver un autre job. J’ai repris la gérance d’une station d’autoroute sur l’A4, près de Strasbourg. On y voyait passer du beau monde ; par exemple un jour Didier Pironi s’est arrêté avec sa Mercedes 600, en allant à un salon automobile à Strasbourg. C’était un travail très prenant et je privilégiais donc encore plus les circuits géographiquement proches. C’est pourquoi je n’ai jamais été commissaire en Italie, en Espagne ou en Angleterre. Ni à Magny-Cours, puisque le circuit a commencé à accueillir le GP de France alors que je prenais ma retraite de commissaire. En effet, à Monaco après 50 ans on n’est plus considéré comme apte.

Mon dernier Grand Prix a été celui de Belgique en 1991. Ma carrière de commissaire fait le lien entre Wolfgang von Trips et Michael Schumacher : j’ai assisté aux débuts en F1 de Schumacher, après avoir moi-même débuté trente ans plus tôt alors que Wolfgang von Trips était en lice pour le championnat du monde. C’est d’ailleurs von Trips qui a ramené des karts des Etats-Unis et c’est sur la piste qu’il a créée près de chez lui et qui sera ensuite dirigée par Schumacher père que Michael et Ralf ont fait leurs premiers tours de roue.

François Blaise : le commissaire se met à table
Spa 1991, le dernier Grand Prix du commissaire Blaise (à gauche) – © François Blaise

Et où logeais-tu sur les circuits ?

Ca dépendait. Pour Monaco j’allais chez mes parents qui habitaient à Nice. Pour les Grands Prix au Paul Ricard j’étais hébergé chez des amis à Allauch près de Marseille, à Dijon chez mon frère à Savigny-le-Sec. A l’étranger, c’était variable : dans ma voiture, dans des hôtels ou sous une tente avec Yves Robert. Pas le cinéaste, mais un ami commissaire que j’ai rencontré à Dijon et avec qui je me rendais aux Grands Prix. J’ai aussi dormi plusieurs fois dans la caravane Goodyear grâce à Bernard Cahier qui, comme chacun sait, était responsable des relations publiques pour cette firme.

François Blaise : le commissaire se met à table
Jacques Laffite avec les fils de François et François chez les Cahier à La Garde-Freinet – © François Blaise

Et tout cela, c’était du bénévolat ?

Eh oui ! L’AC de Monaco était le plus généreux, on recevait une petite somme pour le Grand Prix ; et nous pouvions aussi acheter à un tarif préférentiel des billets de tribunes que nous revendions au tarif normal affiché sur le billet. Il arrivait aussi que l’on reçoive des bons de carburant pour le Grand Prix de France. Mais sinon tout était à notre charge, c’était comme cela à l’époque. Notre passion n’avait pas de prix !

François Blaise : le commissaire se met à table
Extrait de L’Equipe : le commissaire Blaise est aux premières loges pour voir Senna finir sa course dans le rail – © L’Equipe

A part les rallyes déjà évoqués, as-tu fait autre chose que des Grands Prix F1 ?

Oui, des courses d’endurance. Les 1000 km de Dijon, par exemple. Et aussi les 24 Heures du Mans, deux ou trois fois. On se relayait au Mans, comme les pilotes, toutes les 2 ou 3 heures.

As-tu eu peur ?

Ca a pu arriver mais ça ne m’a pas trop marqué. La seule fois où j’ai vraiment eu peur, c’était au Mans en 1978. La WM de Christian Debias a tapé les rails dans les Hunaudières et a décollé pour atterrir dans la forêt. J’étais tout près et j’ai été impressionné par le carton, il a eu de la chance de s’en sortir.

Malheureusement, ce ne fut pas le cas de Gilles Villeneuve. J’étais posté dans le virage où il s’est tué. Il n’y avait malheureusement plus rien à faire. C’est mon plus triste souvenir.

François Blaise : le commissaire se met à table
Le temps des copains à Dijon – © François Blaise

Et le pilotage, tu en as eu envie ?

Oui, bien sûr. Comme beaucoup à l’époque, j’ai fait l’école Winfield à Magny-Cours. J’avais comme instructeur Johnny Servoz-Gavin. On roulait sur des Lotus et j’avais des problèmes au début car le levier de la boîte de vitesses n’était pas à droite mais à gauche. Inutile de préciser que je n’ai pas été sélectionné pour le volant.

François Blaise : le commissaire se met à table
Avec l’instructeur Servoz-Gavin à Magny-Cours – © François Blaise

Puis, en 1967 j’ai acheté une R8 Gordini et je me suis inscrit à la coupe. Là encore, rien d’original pour l’époque. Mais lors des qualifications au Mans, sur le Bugatti, j’ai vite vu que je n’étais pas un super pilote et je n’ai pas insisté. J’ai quand même fait quelques courses de côte, en particulier le Ballon d’Alsace en 1968 et 69. Je suis sorti la première année et j’ai voulu revenir un an plus tard car j’étais vexé ! Ensuite, mon expérience au volant s’est limitée à des tours au Nürburgring, comme beaucoup.

François Blaise : le commissaire se met à table
Course de côte du Ballon d’Alsace en 1968 ou 69 – © Photo Conrath

Tu as eu deux fils, ça devait être fantastique pour eux de pouvoir être aux premières loges ?

Oh oui, je les emmenais souvent sur les circuits et je les installais dans le stand Goodyear, aux bons soins de Bernard et Joan Cahier. Ca leur a donné le virus. Et aussi quelques souvenirs amusants, comme ce jour à Dijon où je les ai emmenés en zone interdite au public, cachés dans le coffre de ma voiture !

François Blaise : le commissaire se met à table
François avec Jackie Stewart, Joan Cahier et ses deux fils – © François Blaise

A propos, cette photo de toi à moto, c’est à Dijon ?

François Blaise : le commissaire se met à table
Le commissaire et sa Honda d’intervention rapide à Dijon – © François Blaise

Oui, ça doit être en 1979. La FFSA avait eu l’idée de mettre des commissaires sur des motos équipées d’extincteurs. On tournait avec autour du circuit, Dijon ou le Ricard, afin d’être plus rapidement sur les lieux en cas de besoin. Mais ça n’a pas dû être jugé concluant car ça n’a duré que quelques années.

Et celle-ci, c’est à Monaco en 1984 avec une belle équipe !

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Stars Racing Team – © François Blaise

Oui, c’est le Stars Racing Team que Moustache avait créé. On reconnaît avec moi (de gauche à droite) Marianne Hoepfner, Just Jaeckin, Jean-Louis Trintignant, Georges Descrières et Christian Marquand. Anecdote amusante avec Descrières : en discutant avec nous les commissaires du virage du Portier, il nous dit qu’il ne passait pas assez vite à cet endroit et qu’il perdait du temps. Alors on lui conseille de passer plus près des rails. Et ça n’a pas loupé bien sûr : au passage suivant il a tapé le rail !

Avec le recul, comment vois-tu tes années de commissaire ?

J’ai vécu une époque formidable ! J’ai pu approcher de nombreux pilotes, dont celui que j’admirais le plus, Juan Manuel Fangio, grâce à mon ami Bernard Cahier qui était proche de lui. C’était une une époque où nous pouvions rencontrer des amis, des pilotes qui venaient en toute simplicité sur les circuits. Ils étaient souvent disponibles et nous pouvions avoir le privilège de discuter avec eux. A cette époque il n’y avait pas de jet privé, d’hélicoptère, de motorhome, tout se passait à la bonne franquette.

Souvent on me pose la question suivante : les Grands Prix, c’était mieux avant ? Je pense que les temps ont changé et je ne dirais pas que c’était mieux avant, car je respecte les organisateurs d’aujourd’hui. Comme par exemple l’AC de Monaco qui se donne beaucoup de mal pour la sécurité des pilotes et des commissaires. Mais je réalise cependant que le sport automobile a perdu de sa magie et surtout de son romantisme. L’argent y est pour beaucoup, mais c’est ainsi et je regarde toujours les courses automobiles à la télévision.

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Collage belge – © François Blaise
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