Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1971
L’affaire a été rondement menée : un an à peine après être sorti de terre, le circuit Paul Ricard obtient l’honneur d’héberger la catégorie la plus prestigieuse du sport automobile, à l’occasion du Grand Prix de France 1971 de Formule 1 ! La force de persuasion de l’ex-entrepreneur spécialiste des apéritifs anisés, alliée au soutien indéfectible des autorités sportives nationales, a fait merveille pour convaincre les meilleurs pilotes du monde – et leurs équipes – de venir découvrir les nouvelles installations dans cette région de France si privilégiée des Dieux. Et tout le monde a été bluffé !
Pierre Ménard
Classic Courses sur le Paul Ricard :
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Circuit Paul Ricard – Genèse – Jean Pierre Paoli 2/2
Circuit Paul Ricard – Trophée de France F2 1970
Circuit Paul Ricard – Sports Protos – Jarier en son jardin
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1971
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1978
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1980
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1990
Circuit Paul Ricard – Stéphane Clair

Peter Warr, le directeur sportif du Team Lotus, n’en revient toujours pas : le savon des toilettes est changé tous les jours ! Ses mécaniciens arpentent les stands (cinquante ! un nombre impressionnant) le regard incrédule et le sourire aux lèvres : air comprimé, prises électriques en grand nombre, eau courante dans tous les boxes, pit lane spacieuse et surplombant la piste, tout est véritablement conçu pour un travail dans les meilleures – et les plus sûres – conditions possibles. Warr ira même jusqu’à écrire à Jean-Pierre Paoli – une des têtes pensantes du nouveau circuit – pour lui dire à quel point lui et son équipe ont été sidérés par le degré de modernité des infrastructures du Paul Ricard, insistant sur le fait qu’il est assez exceptionnel que les « gens de l’ombre » manifestent ainsi leur admiration pour leurs lieux de travail.
Le Circuit du futur
Les journalistes admirent, eux, l’immense salle de presse insonorisée et climatisée qui sent bon la peinture fraîche, le vaste restaurant panoramique et les loges pour invités offrant une vue imprenable sur la piste. Ajouté à cela un tracé rapide et très sélectif à la sécurité optimisée par de vastes dégagements, et des commissaires surélevés avec des extincteurs partout où c’est nécessaire, le monde de la Formule 1 découvre sur le plateau du Castellet le circuit du futur en cette date mémorable du 4 juillet 1971. Si on avait cédé à la mode actuelle faisant souvent appel au deuxième millénaire à venir, on aurait pu baptiser l’endroit Castellet 2000. On eut le bon goût de l’appeler sobrement par le nom de son inspirateur, et parfois par celui du site sur lequel il fut bâti en 1970.

Le circuit Paul Ricard, ou du Castellet, marque véritablement les esprits par son modernisme indiscutable, et quelle meilleure occasion de le projeter dans la lumière que ce Grand Prix de France qui fera ranger dans les vieux placards les vétustes Reims, Rouen, et même Charade venus d’une autre époque. Le côté permanent de l’endroit tranche radicalement avec les susnommés et permet d’envisager une utilisation enfin plus optimisée de ce que peut proposer un circuit automobile moderne. Le tableau idyllique complété par le soleil, les cigales et la Méditerranée proche fait sourire de bonheur les participants au championnat du monde qui se rappelent la froidure des dunes de Zandvoort aux Pays Bas deux semaines plus tôt, tassés qu’ils étaient dans des installations vieillottes et étriquées, et devant rouler sur une piste à la sécurité plus que discutable. Circuit de Zandvoort que la Formule 1 boycottera l’année suivante pour des raisons évidentes de sécurité, soit dit en passant. Pour revenir au Paul Ricard, le plus gros changement pour les pilotes qui, pour la plupart, ont découvert le circuit l’an passé lors de la course inaugurale de F2 consiste en ces nouvelles installations rutilantes de 7000 m2 érigées en à peine cent jours ! Nul doute, on vient là de changer d’époque.
Stewart de retour aux affaires

Une fois le tour du propriétaire fait, il faut se mettre au travail. Le public français attend naturellement une belle performance des Matra, qui ont brillé lors des essais libres du jeudi, et des pilotes tricolores en général (au nombre de cinq, un contingent pas vu depuis belle lurette). Malheureusement, les voitures de Vélizy seront décevantes en qualification, leur V12 perdant progressivement de la puissance au fil du week-end. Du côté des pilotes, Cevert et Beltoise s’en tirent à peu près en se plaçant en troisième ligne, mais Pescarolo sur sa March ne peut que se contenter de la 7e ligne. Quant aux deux débutants, Mazet et Jean, également sur March, c’est la queue de peloton qui les attend pour la course.
La première ligne est monopolisée par Stewart, Regazzoni et Ickx, mais l’Ecossais a collé une seconde pleine aux deux ferraristes. Il faut dire que le nouveau Cosworth « série 11 » équipant les meilleures équipes anglaises (BRM exceptée, évidemment) et qui n’avait pas donné toute sa pleine mesure depuis le début de la saison, paraît enfin au point sur cette piste déjà cataloguée comme rapide. Ickx et Regazzoni avoueront qu’ils étaient proprement largués en accélération par les Tyrrell ; quant aux pilotes de « deuxième catégorie », ils avaient l’impression de conduire une Formule 2 quand Stewart les dépassait ! Et, avec la longue ligne droite du Mistral (1800 mètres !), celle des stands et le passage rapide des Esses de la Verrerie, il faut de la puissance !

En débarquant sur le Paul Ricard, on pouvait penser que cette manche française continuerait à redonner du piquant à un championnat un peu relancé lors du Grand Prix des Pays-Bas : dominateur depuis le début de la saison, Jackie Stewart avait été totalement en retrait dans les dunes de la Mer du Nord alors que son jeune rival Ickx remportait une victoire qui le replaçait grandement dans la course au titre. Mais les conditions humides avaient bien servi les Firestone des Ferrari, là où les Goodyear des Tyrrell s’étaient révélés peu adaptés à la glisse. Sans parler de la douceur du V12 sur la piste glissante comparée à la brutalité du V8. Sous la chaleur de la garrigue, les données sont évidemment modifiées, ce qui explique la nette domination de Stewart dès les essais. A noter que sa Tyrrell arbore pour la première fois un bouclier avant similaire à celui vu ici-même l’an passé sur la Tecno F2, alors que celle de Cevert reste nantie du nez traditionnel.
Derrière, on essaye de faire bonne figure mais la réalité des chronos est éloquente : la deuxième ligne composée de la Brabham de Hill et de la BRM de Rodriguez est reléguée à près de deux secondes de la pole position ! Les autres écuries que les précitées garnissent la deuxième partie de grille et ne se font guère d’illusions sur leurs chances de bien figurer : March, en proie à de lourdes difficultés financières, semble délaisser Cosworth pour Alfa Romeo (moins cher d’entretien) pour leurs voitures d’usine, les Surtees et les McLaren manquent cruellement de mise au point et de performances, et les Lotus peinent toujours à retrouver leur superbe de l’an passé.
Enfin Cevert !
Sans suspense aucun, la course va être la confirmation de la suprématie du binôme Tyrrell/ Stewart : le champion 1969 s’envole immédiatement en tête et personne ne le reverra avant le drapeau à damier. A propos de drapeau, le Paul Ricard propose parmi les multiples nouveautés un portique lumineux pour donner le départ. Lors de la course de F3 du samedi, le préposé à la manœuvre, sans doute mal rodé à ce dispositif inédit, se mélangea un peu les pinceaux dans les boutons, et il fallut revenir au bon vieux drapeau tricolore pour lancer les voitures. Afin d’éviter de renouveler pareille mésaventure, on décida d’en faire de même le dimanche pour la course des F1, en promettant que « tout serait réglé » pour la prochaine édition.

Jackie Stewart évoluant seul sur sa planète, l’attention se reporte naturellement derrière, sur la lutte pour la deuxième place. Regazzoni l’occupe solidement avant que sa Ferrari ne parte en glissade – et dans les rails – sur une flaque d’huile, laissant la BRM de Pedro Rodriguez précéder la Tyrrell de Cevert qui a fait une belle remontée pour accéder à cette troisième position. Le Mexicain ne profitera pas longtemps de la situation, devant se garer sur le bas-côté, une bobine d’allumage de son V12 ayant rendu l’âme. Ce sera, hélas, la dernière vision que le public français aura de ce valeureux pilote : Pedro va se tuer une semaine plus tard sur le Norisring au volant d’une Ferrari dans une épreuve du challenge Intersérie. Mais sur le Paul Ricard en ce 4 juillet, l’abandon de la BRM ravit les spectateurs : François Cevert, celui en qui tout le monde voit un futur grand d’autant qu’il a intégré une des deux meilleures équipes du moment aux côtés de l’indiscutable champion Stewart, François Cevert, donc, vient d’accéder à la deuxième position ! Pourtant, une certaine angoisse commence à poindre dans l’assistance, et surtout dans le clan Tyrrell regroupé sur le muret.

A quelques secondes derrière François, Emerson Fittipaldi fait donner le maximum à sa belle Lotus rouge et blanc pour remonter sur le Français. Et le pire est qu’un bruit affreux accompagne chaque passage de la Tyrrell devant les stands : un échappement a cassé et la survie du moteur en dépend. Néanmoins, Cevert réussit à maintenir son avance sur son rival immédiat en évitant de trop tirer sur les tours et, à quelques tours de la fin, les mécaniciens lui font frénétiquement signe d’accélérer franchement, le danger d’une casse moteur soudaine étant définitivement repoussé. Malgré son statut de grand espoir, Cevert n’a pas récolté grand résultat depuis son accession à la Formule 1 courant 1970, et cette deuxième place tombe à pic pour confirmer tout le potentiel de ce jeune pilote talentueux au charme ravageur. Sa victoire en fin de saison aux Etats-Unis sera l’ultime récompense de cette saison où « la larve devint papillon ». En ce qui concerne l’équipe Tyrrell, cette deuxième place est synonyme de doublé grâce à la victoire de Stewart, le premier de la saison. Avec ce troisième succès, « Stew » semble se diriger assez sûrement vers une deuxième couronne mondiale, tant sa domination sur ses adversaires paraît de plus en plus incontestable (il vient de réaliser ici le hat-trick, pole, victoire et meilleur tour en course).

Malgré des performances disparates, les pilotes français n’ont pas démérité, notamment les deux nouveaux Max Jean et François Mazet qui réussirent à rallier l’arrivée au volant de voitures lourdes, dépassées et à la préparation approximative. Cette « performance » sera, hélas, sans lendemain pour les deux novices. Malgré un public pas aussi nombreux que les organisateurs l’auraient espéré (crainte de la nouveauté ? Situation excentrée du circuit ?), le Grand Prix de France 1971, premier du nom sur le Paul Ricard, fut un franc succès, tant les événements s’y déroulèrent de façon optimale et ce dans la plus parfaite sécurité. En ces temps où « l’on meurt beaucoup » (pour reprendre une formule d’Henri Pescarolo), c’est loin d’être négligeable ! En vertu de l’alternance qui prévaut entre le Paul Ricard et Charade, il faudra attendre 1973 pour revoir, et ré-entendre, les Formule 1 rugir dans la garrigue provençale.
Parmi les images que ma mémoire conserve de cette course marquante, je citerai les BRM de Rodriguez et Siffert – dont la rivalité au sein de l’équipe John Wyer sur des Porsche 917 constituait l’intérêt principal des courses d’endurance. Dans le très difficile passage du « S » de la Verrerie, aux essais, les deux champions s’en donnaient à coeur joie au volant de leurs BRP P160 blanches avec les parements gris et orange des parfums Yardley. La tenue de route très bien équilibrée de ces F1 conçues par l’ingénieur Tony Southgate compensait en partie la relative faiblesse de leur moteur V12… Lire la suite »
Erreur de frappe: des ces deux « braves » voulais-je écrire (dernière ligne)
Ah ! Ils étaient « graves » dans un certains sens, Johnny. A savoir qu’ils ne laissaient pas leur part au chien, comme on dit. Lapsus significatif ?
Information inédite, Jean-Pierre Paoli racontait dans un précédant texte (passionnant) que Paul Ricard avait écouté Jean-Pierre Beltoise en tous points, sauf pour la ligne droite sur laquelle il avait été intraitable, désireux de prouver ainsi que la vitesse n’était pas dangereuse en elle-même. Résultat, on a lu ci-dessus que l’épreuve fut un franc succès. Mais… les voitures moins puissantes n’ont fait que de la figuration, malgré les efforts émouvants de leurs pilotes – Johnny Rives a magnifiquement dépeint la bravoure de Siffert et Rodriguez notamment.
Oui, ce fut même le dernier Grand Prix de Pedro. Une semaine plus tard au Norisring …
En voyant ces photos, je me demande si ces voitures de 1971 ne sont pas pour moi les plus belles F1 de l’histoire, au point parfait d’équilibre entre le génie empirique sorti des mains de l’Homme et les techniques de pointe issues de son cerveau. Après 71, j’ai l’impression que la technique pure (et son corollaire, l’argent) prend, progressivement mais irrévocablement, le pas sur l’artisanat.
Bel article , merci ! Pourquoi si peu de spectateurs , écrivez vous ? Habitant la région , j’ai deux hypothèses : 1.Pour une famille avec enfants , début juillet : la concurrence des plages et de la grande bleue , voire celle d’OK Corral . 2. Pour les mordus : la difficulté d’accès routier qui est hélas toujours d’actualité en 2018 que ce soit par Cuges les pins , ou Ollioules/Le Beausset Pour la remarque d’Olivier Favre : bien d’accord avec lui . Peut etre pas les plus belles mais surement les plus diverses de forme et de motorisations… Lire la suite »
Concernant la fréquentation du circuit, pour m’y être rendu une demi-douzaine de fois sur un GP à partir de 75 j’avoue que les 900 bornes pour atteindre le plateau du Castellet étaient fastidieuses (ayant la « malchance » d’habiter dans la moitié nord de la France-bon quand on aime on ne compte pas!…). Côté circuit si les écuries et le public invité étaient très bien traités, les spectateurs de base moins. Peu de tribunes, une butte de terre le long du circuit. Sanitaires zone camping installés avec plus que parcimonie comme c’était le cas partout d’ailleurs… En visionnant les quelques vidéos de… Lire la suite »
François, il est évident que les fournisseurs, qu’ils soient motoristes ou manufacturiers de pneus, ont de tous temps privilégié leurs « meilleurs clients ». A quoi servirait-il de fournir la dernière version du DFV à… (bon, allez, on va pas être méchant, on laisse les points de suspensions) alors qu’avec des gens comme Stew, ils avaient un retour immédiat et fiable? C’est bien pour cette raison que Ducarouge en 77, excédé que Goodyear leur refile tout le temps ses seconds produits, est allé les tanner toute la soirée à Anderstorp pour ressortir au final avec un train de Goodyear premier choix. On… Lire la suite »
Pierre :
pas besoin de points de suspension :il suffit de regarder qui a été CDM dans les années V8 COSWORTH à partir de 68 et jusqu’en 1996 pour comprendre et savoir .
Sauf qu’ à Anderstorp , si la LOTUS n’avait pas cassé ,les bons pneus n’auraient servi à rien .
Pire Richard, une panne d’essence…Laffite a eu beaucoup de chance…
Ce récit au coeur des années seventies ravive bien des souvenirs. Comme Pierre Ménard le rappelle après la victoire en Hollande je pensais voir triompher les Ferrari mais dans la courbe de Signes il fallut se résigner à suivre la course en tête de ce diable de Stewart. N’ayant pu se faufiler dans les nouvelles installations, mais fort de l’expérience de l’année précédente, en rattrapage il était possible de côtoyer le monde de la F1 à Bandol. La veille dans la petite embarcation faisant la navette vers Bendor, les dames accompagnatrices n’avaient d’yeux que pour François Cevert, Pedro Rodriguez avec… Lire la suite »
Merci Pierre pour ton beau reportage qui me rajeunit de 47 années !
J’y était en tant que commissaire de piste .
Ce texte confirme en tout point ce que disait Chris Amon dans son entretien avec Peter Windsor (voir Classic Courses du 15 septembre 2016). Le problème des 12 cylindres (BRM, Ferrari, Matra), c’est qu’ils manquaient de puissance par rapport aux meilleurs V8 Cosworth. On sait par exemple que Jackie Stewart, à qui le choix fut offert, n’a jamais cru au V12 Matra. Il fallut attendre la deuxième partie des années 70, avec Lauda et la Ferrari 312T, pour voir les choses s’équilibrer.Pourtant, à l’époque, on pensait que les V12 développaient plus de puissance,et que leur principal handicap était le poids.