Christian Ethuin
03/01/2021

Terrasse Martini, Champs-Elysées, le 22 décembre 1970

En direct de la Terrasse http://materrassefm.com/Martini.php

Histoire d’aérer entre deux remises de prix, Lona Pergola fait coulisser la lourde baie vitrée qui livre l’accès à la terrasse. Dave Brubeck qui jouait en sourdine s’efface et monte la rumeur des Champs-Elysées, s’abat la froidure intense qui règne sur le pays et va piéger dans la soirée quelque cent mille automobilistes dans la vallée du Rhône. Lona frissonne dans sa longue robe en lamé, relève un col qu’elle n’a pas, se penche par-dessus la rambarde, hume l’air glacé et vivifiant, embrasse d’un coup d’oeil une vue sublime à 360°, voit sept étages plus bas la foule s’allonger devant les caisses du Gaumont Ambassade qui projette cette semaine un western attendu, « On l’appelle Trinita ».

Là-haut, dans le saint des saints où nul n’entre s’il n’est capitaine d’industrie en vogue, crooner international, star de cinéma… ou jeune pilote de course, lauréat de l’année, on l’appelle Serge, le chef barman qui officie à la Terrasse Martini. Nul ne sait son patronyme, Boniface, sauf Lona Pergola, l’adjointe, et son boss Len Sales, un ancien commandant de sous-marin durant la Guerre, qui a fait surface en tant que directeur des relations extérieures de Martini & Rossi il y a 25 ans. Grand, affable, l’élégant Len commande auprès de Serge un « Formule 3 » pour Jean-Pierre Jaussaud qui s’est vu remettre tout à l’heure le Trophée Sport-Auto de F3 des mains de « notre directeur Jean Lucas »[1]. Shaker, deux dixièmes de vodka, autant de liqueur de fraise, de jus de pamplemousse, on complète avec du tonic, le cocktail F3 inventé par Serge en 1949, sans lien donc avec la F3 Tecno du Normand, va changer ce dernier de son cidre génétique.

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Comme intimidés, plus sages dans leurs costumes neufs qu’au freinage du Nouveau Monde dans des Nomex raides de sueur, François Lacarrau (à droite), vainqueur du Trophée Champion de Formule France, et Christian Ethuin, deuxième, sont sous les feux du photographe dépêché par DPPI, sans doute Manou. « Notre directeur Jean Lucas » déroule le résumé de la troisième saison du Critérium national de Formule France, en glissant pudiquement sur les innombrables incidents et plus qui l’ont émaillé, ce qui amènera Champion à titrer : » Les pilotes de F.F. sont-ils des sauvages ? ». Ancien coureur automobile revenu à des occupations plus paisibles comme la direction du mensuel Sport Auto et la gestion d’un bar de pilotes, Le bar de l’Action, plus accessible que la Terrasse Martini, « notre directeur Jean Lucas » sait ce que courir dans un peloton de furieux signifie, lui qui écumait les circuits marocains avec sa fine équipe de brigands nommés Los Amigos.

Christian Ethuin – Tintin pour tout le monde en raison de sa ressemblance avec le personnage de Hergé, et du petit chien blanc qui l’accompagne -, assure que non, on n’est pas des sauvages, « mais il faut s’attendre à ce que chacun défende chèrement sa place ». La plupart de ses pairs citent les noms de François Lacarrau et Alain Serpaggi comme les plus fréquentables en peloton. Posé, réfléchi, très rapide, le Lyonnais Lacarrau tutoie ce soir, sans l’imaginer une seconde, le sommet de sa courte carrière. Après deux ternes saisons en F3, anonymes, il glissera dans le néant de l’anonymat, ne sachant se vendre ou répugnant à se prostituer pour le faire. Il montera une affaire de peinture et vitrerie à Charbonnières, sa région d’origine, qui perdure encore. Tintin a la grinta, la hargne, il courra jusqu’à l’année de ses trente ans, en 1976, arrachant notamment une cinquième place de classe en 1974 au Mans sur une Ferrari Daytona.

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Fleuron de la distinction internationale, la Terrasse Martini ne résistera pas au rabotage des libertés, à une prohibition de l’alcool par voie d’affichage, elle s’éteindra dans les années 1990 pour ressusciter épisodiquement depuis 2011 sous l’appellation convenable de Terrasse 50, privatisée de temps à autre par la mondanité du XXIe siècle, Youtubeurs consensuels, influenceuses incultes, rappeurs lourds.

[1] Cette expression désignait immanquablement Jean Lucas sous la plume de Gérard Crombac dans Sport-Auto.

Image © DPPI, in Champion N°61, 1971

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