19/09/2025

Jim Clark 1965, un génie dans les alpages

Lors de cette fantastique saison 1965 de Jim Clark que Classic Courses passe en revue depuis quelques mois, l’Écossais est sur tous les fronts : F1, Indy, Tasman, mais aussi F2, protos, Tourisme, … et même courses de côte !

Formule Tasman, Indy, F1, Pierre Ménard a rappelé ces derniers mois les résultats de Jim Clark dans les principales catégories de monoplaces. Mais l’Écossais ne s’est pas limité à cela. On l’a vu aussi en Formule 2 chez Ron Harris, le team quasi officiel de Lotus. Ainsi qu’en protos avec la délicate Lotus 30 et en saloon cars avec la spectaculaire Cortina Lotus. Certains week-ends il courait dans deux ou trois catégories. Et il pouvait très bien les gagner toutes, comme il le fit le dimanche de Pâques à Goodwood. F1, protos et tourisme, trois victoires en un seul après-midi !

Un été en Suisse

Dans le calendrier du championnat du monde F1 1965 il y a en plein été un trou béant entre le 1er août, date du GP d’Allemagne, que Clark remporte s’assurant ainsi de son second titre mondial, et le 12 septembre, jour du GP d’Italie. Un trou relatif car à cette époque les pilotes ont toujours de quoi occuper leurs week-ends. Et le tout frais double champion du monde ne s’en prive pas en montant en Suède (Karlskoga F2) (1), puis en redescendant en Sicile pour le 15 août (Enna F1 hors championnat). Mais il reste le dimanche 22, jour de la course de St Ursanne-Les Rangiers dans le Jura suisse. Les organisateurs locaux aimeraient bien que leur épreuve, encore un cran en dessous des manches du championnat d’Europe, franchisse un cap supplémentaire (2). Qui de mieux que Jim Clark pour cela ?

Clark 62 Ollon-Villars
Première apparition de Clark à Ollon-Villars en 1962 – © DR

Comme chacun sait, la Suisse a interdit les courses automobiles après la catastrophe des 24 Heures du Mans 1955. Une exception cependant : les courses de côte, dont le format semble moins propice à une tragédie de cette ampleur. Et comme les ascensions de manquent pas en Suisse, le pays des Helvètes devient un haut lieu (si l’on ose dire) du championnat d’Europe de la montagne, recréé en 1957 par la FIA. Lenzerheide et Klosters-Davos (canton des Grisons), Sierre – Crans-Montana (Valais) et Ollon-Villars (Vaud) se succèdent ainsi au calendrier au fil des années soixante.

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D’Indy à la Suisse

Robert Lévy, l’un des organisateurs de St-Ursanne, se déplace donc au GP de France fin juin et le contrat avec Chapman et Clark est signé à Clermont-Ferrand. La prime de départ sera de 1 400 livres. Une belle somme à l’époque : près de 20 000 F (3) ou 4 000 dollars. Le contrat précise aussi que la participation du Team Lotus et de Jim Clark se fera avec une Lotus Indy du type de celle qui a gagné les 500 Miles un mois plus tôt. Une Lotus 38 dans les Alpes suisses ? Quelle drôle d’idée ! Une option que l’on comprend mieux cependant si l’on considère que l’objectif n’est pas le résultat brut mais le potentiel publicitaire de l’opération. Car la double apparition de Clark dans les Alpes fin août 65 est surtout pensée par Ford comme une tournée promotionnelle pour maximiser l’impact de la victoire à Indy.

Clark 65 Les Rangiers

Promotion ou pas, Chapman aborde l’opération avec sérieux. La Lotus 38, qui n’est pas le châssis n°1 vainqueur à Indy mais le n°4 (sur 8 construits) (4), est (un peu) adaptée à ces parcours totalement différents du « Brickyard ». Les suspensions sont désormais symétriques, la boîte est toujours une ZF mais à 5 rapports au lieu de 2 et les freins sont plus gros. Le moteur, lui, reste le V8 Ford 4,2 litres. Très puissant (500 ch) mais pas du tout adapté aux reprises à faible régime qu’exigent les lacets d’une course de côte. Le 10 août, entre Karlskoga et Enna, Clark teste cette nouvelle 38 à Snetterton, réalisant des temps comparables à ceux des F1. Justement, plus légère et maniable, une 33 serait bien plus à son aise dans la montagne avec son petit 1 500 cc. Mais l’effet ne serait pas le même.

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St Ursanne-Les Rangiers

Clark 65 - Les Rangiers
Le samedi il fait encore beau … © DR

Arrivé dès le vendredi avec Chapman dans le Piper Comanche de ce dernier (qu’il rachètera bientôt), Clark est sur le pont dès 6h30 le samedi. S’attelant sérieusement à la tâche, il enchaîne six montées du parcours de 5,2 km. La meilleure se solde par un très bon temps, à moins de 4 secondes de Jo Siffert et sa Brabham-BRM Rob Walker. Hélas, le dimanche matin il pleut et la 38, dépourvue de pneus pluie, est quasiment inconduisible. Sans doute est-ce pour cette raison que Jim Clark grimpera hors classement, en démonstration. Le terme est d’ailleurs parfaitement adéquat, puisqu’il réalise dans ces conditions exécrables – il y a des coulées de boue sur la route – avec force patinages et contre-braquages une performance honorable, à environ 18 secondes du vainqueur Jo Siffert.

Clark 65 Les Rangiers
… mais le dimanche la pluie s’invite et il n’est donc plus question de performance brute – © DR

Ollon-Villars

Le week-end suivant Jimmy va devoir se partager entre Brands Hatch où se déroule le « August Bank Holiday meeting » et les Alpes vaudoises, décor de la course d’Ollon-Villars. Il n’est pas trop dépaysé cette fois, il a déjà roulé ici trois ans plus tôt. C’était dans le baquet d’une Lotus 21 de la Scuderia Filipinetti. Cette année la course d’environ 8 km est inscrite non seulement au championnat européen de la montagne mais aussi au championnat du monde des marques. Ceci en vertu d’un règlement étrange, voire abscons, que votre serviteur vous a narré par le menu il y a trois ans : https://www.classiccourses.fr/magazine/grand-tourisme-grande-complication-ou-pourquoi-faire-simple/

Clark 1965
Jo et Jim discutent alors que Chapman paraît perdu dans ses pensées – © DR

Le samedi l’Ecossais se qualifie trois fois à Brands Hatch. En Tourisme (Cortina), en F2 (Lotus 35) et en proto (Lotus 40). Puis il file en avion jusqu’à Genève. Comme il a manqué les qualifications, on l’autorise à faire trois montées d’essai le dimanche matin. La première est faussée par un montant de suspension fissuré qu’il faut ressouder. Des ratés d’allumage le gênent dans la troisième, de sorte que seul son deuxième essai est significatif : 4’34’’5. L’après-midi l’allumage fait encore des siennes, ce qui le relègue à plus de 35 secondes de la Ferrari Dino du vainqueur Scarfiotti. Mais pas le temps de s’attarder sur le problème. Il reprend l’avion jusqu’à Heathrow où Chapman le récupère dans son Piper Comanche, direction Brands Hatch. Il y rencontre des fortunes diverses : victoire en F2 devant Denny Hulme, mais une multitude de problèmes en Tourisme et protos.

Clark 65 Ollon-Villars
Les Alpes vaudoises, un majestueux décor pour la Lotus 38 – © DR

Unique

La victoire de Clark à Brands Hatch est sa 30e de l’année. Un mois plus tard à Albi, toujours en F2, il s’adjuge la course et les Trophées de France. Son compteur personnel s’arrête alors sur le total extravagant de 31 victoires sur 55 courses en 1965. Soit un ratio de plus de 50%. Bien plus tard, Schumacher, Hamilton ou Verstappen auront des ratios encore meilleurs. Mais leur saison se limitera à une vingtaine de grands prix F1. Aucun autre pilote que Clark n’aura accumulé en une seule année autant de victoires dans quasiment toutes les disciplines majeures en circuit. Et bien souvent « à la Clark », en dominant de la tête et des épaules. Ce sont donc non seulement les statistiques mais aussi la manière qui font de l’année 1965 de Jim Clark un millésime définitivement unique dans l’histoire du sport automobile.

Clark 65 Ollon-Villars
Soirée festive à Villars – © DR

Ci-dessous Jo Bonnier se fait reporter pour la télévision suisse lors de la course des Rangiers :

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NOTES :

(1) Le lendemain de la course de Karlskoga où Clark abandonne, le Daily Express titre « Jim Clark loses » (Jim Clark perd). Ses victoires sont devenues tellement courantes qu’elles ne constituent plus une info.

(2) St Ursanne-Les Rangiers devra encore attendre sept ans avant de compter pour le championnat d ‘Europe en 1972.

(3) Soit à peu près le prix d’un cabriolet Peugeot 404 ou d’une Matra Djet.

(4) Ce châssis n°4 se classera deuxième à Indy en 1966 avec Clark, puis sera vendu à AJ Foyt.

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