Après les trois premiers épisodes qui sont revenus chronologiquement sur l’aventure du Meubles Arnold Team, nous allons évoquer à présent les Ferrari de M. Arnold et les rapports entre Marcel et Enzo.
Olivier Favre – photos © JC Arnold
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Une 312 dans le couloir
Jean-Claude est allé plusieurs fois à Maranello. Sa deuxième visite l’a particulièrement marqué.
Jean-Claude Arnold : En 1967 on est venus à Maranello une première fois en touristes. On a été accueillis par Franco Lini, qui était le directeur sportif à l’époque, c’était sympa. C’est à cette occasion que j’ai pu me glisser dans une Dino jaune. Deux ans plus tard, on y est retournés pour que Marcel achète une Ferrari. Il hésitait entre une Lamborghini Espada, une Oldsmobile Toronado et une Ferrari 365 GT4. Finalement, il a opté pour la Ferrari et on est tous partis en famille à Maranello. On a été accueillis par Ermanno della Casa, le directeur financier. Il était content qu’on vienne acheter chez lui plutôt que chez Pozzi (1), car Ferrari gagnait plus d’argent sur une voiture qu’il vendait directement.

Classic Courses-Olivier Favre : Et vous voilà dans les couloirs pour une visite de l’usine …
JCA : J’ai trouvé qu’il y avait un bordel monstre. Pourtant je ne suis pas un maniaque de l’ordre, loin s’en faut ! La chaîne de fabrication, ça allait, c’était propre. Mais le reste : couloirs encombrés, vitres sales, portes qui couinaient. C’était grand mais artisanal. Moi, à chaque bifurcation, je voulais aller au service courses. Et della Casa « No, non si puo ». Et puis je vois un truc dans un couloir, sous une bâche. Je me dis « ça c’est une bagnole ! une monoplace même ». J’attends que le groupe s’éloigne, je soulève un coin et là le choc : les ouïes caractéristiques d’une 312 ! J’appelle mon père et je demande à della Casa si je peux soulever la bâche complètement. Bon sang, c’est bien une F1 ! Elle n’avait pas de roues ni de volant, plus de haut moteur …
Une F1 à Phalsbourg
CC-OF : Une quasi épave quoi.
JCA : Je glisse à mon à mon père qu’on pourrait l’acheter. Il avait un pote carrossier qui savait tout faire et qui pourrait nous la remettre en état pour pas cher. On mettrait un gros sticker Arnold dessus, ça nous ferait de la pub. Marcel y réfléchit un peu et demande à della Casa si on pourrait avoir des roues et l’acheter. Celui-ci, un peu éberlué, nous dit qu’Enzo Ferrari n’a jamais vendu de voiture de course à un particulier. A des musées oui, mais pas à un quidam. Et mon père de demander : « M. Ferrari est là ? Oui ? – Eh bien, demandez-lui ! » Il part et revient un quart d’heure après : « C’est d’accord – Combien ? – Je vais en reparler au Signor Ferrari, donnez-moi un numéro et je vous appelle ».
CC-OF : Et il a appelé !
JCA : Je n’y croyais pas trop, mais oui. Le prix : 4 millions de lires, presque rien, 20 000 F de l’époque. Transport compris ! Évidemment, les jours suivants je guettais à la fenêtre. Au bout de trois semaines, toujours rien. Mon père appelle, on le rassure : ne vous inquiétez pas, le camion arrive la semaine prochaine. Puis le temps passe … Quand soudain un camion rouge apparaît, un vieux camion ouvert, avec la 312 sous une bâche. On descend la voiture : elle était comme neuve ! Et complète. Pas en état de rouler, mais en état expo. J’étais éberlué. J’ai eu peur, je me suis dit qu’on s’était fait avoir, qu’on allait recevoir une facture salée. Marcel a appelé della Casa : « C’est un ordre de M. Ferrari, aucune épave ne doit sortir de son usine ! ». Voilà pourquoi on l’avait attendue six semaines ! (2)

Remise en marche
CC-OF : Il était tentant de la remettre en état de marche …
JCA : Jean-Claude Guénard ne courait plus mais habitait Phalsbourg. Il voulait essayer de la faire tourner, mais il y avait du boulot ! Il a réussi à se faire envoyer des bielles de Maranello. Mais il y avait un gros trou au fond de la pompe à eau. Mon père avait un copain industriel qui fabriquait ses propres bidons de lait en alu. Il lui a demandé de nous refaire une pompe. Guénard a mis un an et demi à la mettre en état de rouler. Un matin elle était prête et il a demandé qui allait se mettre au volant. Mon père voulait que ce soit Guénard, ça lui paraissait juste. On a tiré à pile ou face entre les deux Jean-Claude, il a gagné mais m’a quand même laissé la place dans le baquet.

CC : Sacrée responsabilité !
JCA : Pompe à essence, accélérateur ouvert à moitié, point mort. Au 2e ou 3e essai elle a démarré, je donnais des coups d’accélérateur, j’étais aux anges ! J’ai effectué quelques allers-retours dans la cour de l’usine. Je n’en menais pas large, j’ai juste laissé la boîte en seconde et, ouf ! tout s’est bien passé. La voiture est restée longtemps en expo au magasin, elle attirait la foule ! C’était une idée de génie finalement. On l’a gardée jusqu’en 1989, toujours en expo, elle n’a roulé que deux fois dans la cour. Mais évidemment l’intérêt s’est émoussé, au bout d’un moment tout le monde l’avait vue. Puis les affaires ont commencé à devenir difficiles. Mon père a décidé de la vendre. J’ai contacté Christian Huet, l’expert, il est venu la voir et a trouvé un Suisse, Albert Obrist, qui l’a achetée pour 1,5 MF. Ensuite Obrist l’a vendue à Bernie Ecclestone (3).

Une Ferrari au lycée
CC-OF : Il y a aussi, je crois, une anecdote amusante avec la Ferrari 365 GT de ton père qui t’a servi à moucher un de tes profs …
JCA : Mon prof d’économie, au lycée à Strasbourg, ne m’aimait pas. Il m’avait dans le collimateur en permanence. Un jour, il m’a carrément fait exclure pendant deux jours. Je suis donc rentré à Phalsbourg. Mes parents étaient partis en vacances. La Ferrari était dans le garage, mais je n’avais pas le droit d’y toucher. J’ai réussi à trouver le numéro de l’hôtel où étaient mes parents et j’ai demandé si je pouvais faire un petit tour avec, pour frimer devant une copine. Mon père m’a dit « Bon, OK, mais fais gaffe, hein !? » En fait, je suis allé au lycée et je me suis garé pile à côté de la voiture de mon prof. Le soir, j’ai attendu qu’il monte dedans pour m’installer dans la Ferrari, devant tous les copains bien sûr. La tête qu’il a faite ! Il ne m’a plus causé du reste de l’année !

CC-OF : Marcel et Enzo étaient en contact de façon régulière. Par courrier avec notamment des cartes de vœux, mais ils se voyaient aussi, comme en témoigne par exemple cette carte postale que tu as reçue en septembre 1973.

JCA : Je pense qu’il était allé à Maranello pour défendre la cause de Jarier, au moment où son accord avec Ferrari était remis en cause par l’intransigeance de Mosley.
Réveillon à Maranello
CC-OF : Il y a aussi une anecdote étonnante entre Marcel et Enzo …
JCA : Je ne me souviens plus de l’année exacte, c’était dans les années 70. Noël est passé, le Nouvel An approche et chacun dans la famille a des projets : moi, j’ai une soirée prévue avec des potes, ma sœur aussi, ma mère passera le réveillon à Metz avec ses parents. Il y a juste Marcel qui se retrouve seul. D’habitude ça ne le dérangeait pas, mais cette fois ça l’emmerdait. Donc le matin du 31 il essaye de trouver quelqu’un avec qui passer la soirée. Mais personne n’est libre. Alors il se dit qu’il ne risque rien à contacter Enzo Ferrari. Il appelle l’usine et demande le patron. Le standardiste lui dit que l’usine est vide : il y a juste Enzo et lui !
CC-OF : Et il lui passe le Commendatore …
JCA : Mon père lui demande : « Vous avez quelque chose de prévu ce soir ? Non ? Alors, on pourrait peut-être passer le Nouvel An ensemble ? – Oui, vous êtes où ? A Phalsbourg ? Ça fait loin ! – Oui, mais j’ai une Ferrari ! » Il est arrivé vers 20h, ils ont dîné ensemble au Cavallino. Vers une heure du matin, Enzo a dit qu’il allait se coucher. Et Marcel est rentré à Lugano, puis le lendemain à Phalsbourg. Quand il nous a raconté ça, on a eu des doutes. Mais il n’était pas le genre à inventer. Pour en avoir le cœur net, j’ai demandé au mécano qui s’occupait de la Ferrari de vérifier le compteur : il y avait 2 000 km de plus en à peine trois jours. Mon père avait du culot, il ne doutait de rien. Ça devait plaire à Ferrari.

NOTES :
(1) Charles Pozzi était l’importateur Ferrari en France.
(2) Précisons pour les amateurs de numéros de châssis que d’après les recherches de Jean-Claude, il s’agirait de la 312/010 que Surtees a pilotée en 1966, à Syracuse, Silverstone (International Trophy), Monaco et Spa où il gagne. Ensuite, après que Surtees ait quitté la Scuderia, c’est Bandini qui l’a récupérée pour le reste de la saison. Elle aurait encore fait la course des Champions en 1967 à Brands Hatch avec Amon. Puis, d’autres 312 ont été construites avec des pontons plus hauts le long du moteur et les versions 66 n’ont plus été utilisées en course.
(3) Albert Obrist est l’un des plus grands collectionneurs de Ferrari : https://www.ferrari.com/fr-FR/magazine/articles/love-stories-from-switzerland-astonishing-ferrari-owner-collections. Quant à Bernie Ecclestone, on ne le présente plus. Sa collection de 69 Formule 1 a été rachetée dans son intégralité en mars par Mark Mateschitz, le fils du fondateur de Red Bull. le montant de la transaction n’a pas été révélé, mais une somme de 600 millions € a été évoquée.