Comme toutes les grandes célébrations, Rétromobile se doit de se raccrocher à des événements marquants ou à des anniversaires pour susciter encore et toujours l’intérêt des visiteurs. Avec les soixante-dix ans de la création de deux des plus mythiques marques de l’automobile sportive, et sans parler de tout le reste, le cru 2017 a de quoi ravir les « fanatiques », comme disait l’ancien !
Pierre Ménard
Indiscutablement, Rétromobile 2017 va faire date pour les amateurs de compétition, dont nous sommes. Dans « Classic Courses » il y a le mot « Course », et la vue de toutes les merveilles exposées sur les différents stands a de quoi faire prendre des tours à notre petit palpitant. La désormais soirée inaugurale du mardi soir est cette année bien trop courte pour prétendre faire le tour de la question, et nous nous limiterons volontairement (pour cette fois-ci) aux modèles de Grand Prix, tant ils sont nombreux et variés.
En 1947, deux visionnaires décidèrent, chacun dans son pays, de jeter les bases de ce qui allait devenir des légendes dans le monde de l’automobile de prestige et de compétition. David Brown et Enzo Ferrari ne partaient pas totalement d’une feuille blanche, mais tout restait à construire pour ces deux ambitieux que Rétromobile ne pouvait pas ne pas fêter en cette édition 2017. Puisque nous parlerons de la marque de Newport Pagnell dans une prochaine note, concentrons-nous cette fois sur les monoplaces produites par Maranello, et il y a de quoi faire dans les allées du hall 1.
Des Ferrari, il y en a un peu partout à Rétromobile, mais le stand officiel des 70 ans de Ferrari se trouve tout en haut, tout au bout du bout, dans le Pavillon 3. On y découvre une demi-douzaine de superbes voitures, certes – comment pourrait-il en être autrement avec des Ferrari ? – mais posées là sans aucune mise en valeur particulière, dans une présentation terne « ni fait ni à faire » qui respire plus la banalité qu’autre chose. Vraiment dommage quand on envisage un anniversaire pas ordinaire à célébrer. Les amateurs de monoplaces relèveront la présence d’une très belle 500 F2 qui courut la saison 1952 aux mains de Taruffi, Farina, Villoresi ou Ascari, apportant le premier titre mondial pour la Scuderia grâce à la maestria du dernier nommé.
Plus rare, une fine 156 aero, qui fut utilisée par John Surtees et Lorenzo Bandini en 1963 (et épisodiquement en 64) et qui préfigura la 158 aero qui offrirait un titre mondial à Surtees et Ferrari en 1964.
Nous redescendons dans le Pavillon 1 pour rallier le stand Tradex qui rassemble une petite dizaine de monoplaces Ferrari à moteur V12 (à l’exception d’une Dino F2 de 1968) allant de 1965 à 1974, toutes plus intéressantes les unes que les autres.
Une rare 512 de 1965 trône en plein milieu, voiture dont le moteur V12 1,5 litre à 180° servit d’étude pour le futur Flat 12 des seventies en religion à Maranello. Flat 12 équipant quelques beaux exemplaires présents sur le stand : une 312 B de 1971 dans son jus, la fameuse 312 B2 Spazza Neve (ou pelle à neige) expérimentale – qui ne courut pas mais permit à Mauro Forghieri de mieux appréhender l’effet de sol sur une monoplace large et de concevoir la future B3/B4 de 1974 – et justement une B3/B4 ex-Regazzoni, qui faillit être championne du monde 1974.
Aux côtés de ces « valeurs sûres », deux 312 V12 de 1969 sont là pour évoquer cette période charnière durant laquelle Enzo Ferrari prit l’importante décision de confier sa pérennité à FIAT. Ces monoplaces préfigurent l’arrivée de la génération « Flat 12 ». Pour être complet, signalons une superbe 312 T3 de 1978 sur le stand – toujours remarquablement fourni – de Gregor Fisken, non loin de là.
Juste à côté du stand Tradex, se trouve celui des « F1 extraordinaires ». Extraordinaires car propulsées soit en mode « intégral à quatre roues », soit en six-roues.
Le mode « intégral » intrigua beaucoup les ingénieurs dans les années soixante, suite aux prestations encourageantes de la Ferguson de 1961 (évoquée dans la note « Aintree 1961 » https://www.classiccourses.fr/2016/09/aintree-1961-double-volant-stirling/). Disons-le tout de suite : tous ceux qui se lancèrent dans l’exploration de cette voie se plantèrent magistralement, que ce soit Tony Rudd pour sa BRM P67 de 1964 (qui ne courut pas), Jo Marquart pour la McLaren M9A, Robin Herd pour la Cosworth expérimentale ou même le grand Colin Chapman himself pour sa Lotus 63, toutes trois datant de 1969.
L’avantage escompté d’une meilleure motricité, surtout sous la pluie, était annihilé par un poids considérable sur l’avant qui nuisait à la tenue de route et bouffait des pneus et des plaquettes de façon dramatique. Tous les pilotes ayant subi le pensum de conduire ces autos ne furent pas tendres dans leurs commentaires, Hill et Rindt chez Lotus refusant carrément à la fin de monter dedans, pour la plus grande colère de Chapman.
Bien plus intéressante fut l’idée de Derek Gardner chez Tyrrell de concevoir pour la saison 1976 une drôle de six-roues, la P34. Pour minimiser l’effet néfaste de la rotation des roues avant sur le flux aérodynamique de la voiture, il réduisit la taille des roues pour les cacher derrière le bouclier avant, et les dédoubla pour retrouver la surface de pression nécessaire à la tenue de route et au freinage. Si la saison 1976 fut encourageante, avec une victoire en Suède de Scheckter et une 3e place finale au championnat, celle de 1977 fut catastrophique : des calculs mathématiques erronés ainsi que le refus de Goodyear de développer ces pneus de 10’’ uniquement pour Tyrrell condamnèrent définitivement le concept. Le modèle présenté est un modèle 1977, mais enveloppé d’une carrosserie 1976.
Le concept fut repris fin 1977 par Robin Herd sur la March 2-4-0, mais avec une étude sur quatre roues à l’arrière, l’avantage étant de diminuer la traînée et d’avoir six roues identiques. Les inconvénients (empattement long et tenue de route approximative) furent tellement plus importants que, là-encore, l’idée fut remisée dans les (même si fin 1981, Patrick Head réétudia le concept sur sa Williams FW07E).
Nous avons terminé dans le Pavillon 2 notre tour d’horizon des belles de Grand Prix par une plongée dans la folie des années vingt et du championnat d’Europe des marques. Elles devaient être six, elles ne sont finalement « que » cinq Delage 1500 sur le stand Delage. Dont une (la n°3) à l’état de châssis nu. Conçue en 1926 par l’ingénieur Albert Lory, cette biplace racée et extrêmement basse atteint son optimum la saison suivante. Elle permit à Robert Benoist de gagner les quatre manches officielles du championnat et d’offrir à Delage le titre de champion d’Europe des Marques (le championnat des pilotes n’existant pas à cette époque).
Quatre 1500 furent construites dans les années vingt et deux en 1936. Au terme de passages de mains en mains et autres mélanges de pièces, c’est donc six châssis numérotés de 1 à 6 qui étaient annoncés. Seul manque à l’appel le n°4 (son propriétaire néo-zélandais a jugé le trajet trop coûteux et a finalement décliné la participation de sa voiture à Rétromobile) qui date de 1927 et appartint – entre autres – à Louis Chiron, Lord Howe, Richard Seaman, et Rob Walker.
Malgré cette absence notoire, il est exceptionnel de pouvoir admirer en un seul et même endroit ces autos tellement modernes qu’elles furent toujours compétitives dix ans plus tard (même si les moteurs et les suspensions subirent une cure de jeunisme pour l’occasion).
Photos © Pierre Ménard
1- Ferrari 312 B 3/B4 1974 2- Ferrari 500 F2 1952 3- Ferrari 156 Aero 1963 4- Ferrari 512 1965 5- Ferrari 312 B2 Spazza neve 1972 6- Ferrari 312 B3 1978 7- Cosworth 1969, McLaren M9A 1969, Tyrrell P34 1977 8- BRM P67 1964, Cosworth 4WD 1969 9- Lotus 63 1969 10- Tyrrell P34 1977 11- March 2-4-0 1977 12- Delage 1500 n°1 1927 13- Delage 1500 n°2 1927 14- Delage 1500 n°5 1927